Lukas Dhont pour le lancement de LaCinetek: « Voir des films, c’est aussi une manière de trouver sa singularité par dissemblance »

Pour le lancement de LaCinetek en Belgique, Lucas Dhont, réalisateur de Girl, nous ouvre sa cinémathèque et "partage une partie de son identité". © MAYLI STERKENDRIES
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Premier site VOD dédié aux grands films de l’Histoire du cinéma, sélectionnés et présentés par des réalisateurs du monde entier, LaCinetek sera enfin disponible en Belgique à partir du 22 octobre. Lukas Dhont, le réalisateur de Girl, est à l’honneur à l’occasion de ce lancement.

C’est la concrétisation d’un rêve de cinéastes-cinéphiles. Il y a quelques années, en effet, plusieurs réalisateurs français (Pascale Ferran, Cédric Klapisch, Laurent Cantet…) font le constat commun d’un manque d’offre légale disponible sur Internet pour les films dits « de patrimoine », rendant parfois singulièrement complexe la possibilité de voir ou revoir certaines des oeuvres les plus importantes de l’Histoire du cinéma.

Dans la foulée, ils jettent alors les bases de ce qui deviendra bientôt LaCinetek, site de vidéo à la demande consacré aux plus grands films du XXe siècle, avec un catalogue exclusivement composé d’oeuvres sélectionnées et commentées par des réalisateurs. Accessible depuis le 5 novembre 2015 en France, la plateforme le sera également dès le 22 octobre prochain en Belgique et au Luxembourg. « Enfin nous allons pouvoir visionner les films de LaCinetek en Belgique!« , s’exclament ainsi d’une même voix Luc et Jean-Pierre Dardenne dans le dossier de presse dévolu à ce nouvel ancrage.

Le principe est le suivant: chaque mois, un nouveau cinéaste compose sa cinémathèque idéale et dévoile 50 films, réalisés avant 2005, qui ont influencé son travail. Ce mois-ci, à l’occasion du lancement du site chez nous, c’est Lukas Dhont qui s’y colle. De Jeanne Dielman de Chantal Akerman à La Leçon de piano de Jane Campion, de La Fureur de vivre de Nicholas Ray à Birth de Jonathan Glazer, le jeune réalisateur gantois de Girl, premier long métrage couronné de la Caméra d’or à Cannes en 2018 faisant le portrait d’une talentueuse adolescente née dans un corps de garçon qui rêve de devenir danseuse étoile, dévoile les racines coups de coeur de son inspiration. En ce début d’automne, il nous a ouvert les portes de son appartement.

Scream
Scream

Tu es à l’honneur à l’occasion du lancement de LaCinetek en Belgique avec une sélection personnelle de 50 films de patrimoine qui t’ont marqué et influencé. Comment ça s’est fait?

Je connaissais le principe de la plateforme et ils m’ont contacté pour que je partage à mon tour ma liste de films formateurs. Il n’y avait pas à hésiter. En tant que cinéphile, je brûle de savoir quels sont les films favoris des réalisateurs et réalisatrices que j’aime. Pour mieux comprendre qui ils sont et comment ils se sont construits. Je veux absolument connaître les 50 films qui ont marqué le parcours de Céline Sciamma, par exemple. Et puis, en tant que cinéaste, partager ses coups de coeur c’est, je crois, un peu comme partager une partie de son identité. Les films que j’ai vus et qui m’ont marqué en grandissant m’ont appris des choses sur le cinéma, bien sûr, mais aussi sur le monde et sur ma personne. Mais voir des films, c’est aussi une manière de trouver sa singularité par dissemblance. Quand j’ai fait Girl ou quand, comme aujourd’hui, je termine le scénario de mon deuxième long métrage, c’est aussi dans l’esprit de créer des personnages que je n’ai jamais vus sur un écran. En regardant des films pendant toutes ces années, je me disais souvent: telle expérience personnelle je ne l’ai jamais vue sur un écran montrée d’une manière que moi j’aimerais exprimer. C’est une vraie motivation, ça, pour moi.

Distinguer ta voix personnelle par rapport à ce qui existe déjà?

C’est ça. Au début, bien sûr, quand tu es à l’école, tu regardes des films, tu essaies de comprendre comment ils ont été faits et tu copies. Et puis, petit à petit, tu commences à trouver ce qui peut être spécifique dans ton langage à toi. Même si ce langage s’inscrit toujours dans un héritage, et que tu crées souvent en réaction à autre chose. Par exemple, je peux dire que mon deuxième film s’écrit dans un rapport très fort aux 400 Coups de Truffaut, à The Tree of Life de Malick ou à Ratcatcher de Lynne Ramsay. Il y a des films comme ça que je peux regarder une fois chaque mois. Par contre, quand je vais commencer la pré-production de mon film, je vais arrêter de regarder des choses. Parce qu’à ce moment-là, je dois créer mes propres images. Par exemple, la scène d’ouverture de mon prochain film est une pure réaction à la scène d’ouverture du Retour d’Andreï Zviaguintsev. Donc je sais que quand je vais la tourner, je vais constamment penser à ce film, mais dans un rapport de transformation, d’appropriation.

Et sur le tournage de Girl, tu aurais un exemple d’un film qui, parfois, s’imposait à ton esprit?

The Red Shoes de Michael Powell et Emeric Pressburger. C’est un de mes films préférés de tous les temps. Même si Girl, pour moi, était moins un film sur la danse que sur une quête d’identité, filmer la danse y relevait d’une certaine gageure. C’est un exercice complexe, parce que la danse perd trop souvent de son côté physique, viscéral, à l’écran. Dans The Red Shoes, on ne perd rien de l’émotion de la danse. Tout comme dans Black Swan de Darren Aronofsky. Là aussi, j’ai regardé plusieurs fois le film et le making of pour comprendre comment il faisait pour rendre toute cette émotion dans les séquences de danse. Dans une autre perspective, j’ai également beaucoup étudié le travail de David Cronenberg. Parce qu’avec Girl, je voulais flirter avec une dimension de « body horror » (sous-genre horrifique où le corps, mutilé, déformé ou transformé, est le lieu de tous les excès, NDLR). Cronenberg utilise le cinéma de genre pour parler de corps transformés et de questions morales. Chez moi, l’horreur est beaucoup plus dans la réalité du corps lui-même.

Le Retour
Le Retour

Comment t’y es-tu pris pour choisir 50 films et finaliser ta liste?

C’était un sacré casse-tête (sourire). J’ai commencé par noter tous les titres qui me venaient spontanément. Par exemple, Titanic m’est venu immédiatement. Au-delà des éléments qualitatifs indéniables de ce film, il y a aussi tout un côté nostalgique qui a pesé dans ce choix. J’avais six ou sept ans quand il est sorti. Ma mère est allée le voir quatre fois au cinéma et quand elle revenait à la maison elle ne parlait que de ça. C’était vraiment magique. Mon frère, aujourd’hui, fait également du cinéma et je pense vraiment que quelque chose est né, à la maison, en écoutant notre mère parler de Titanic. Un autre choix évident pour moi, c’est Scream de Wes Craven. Parce que c’est un film de mon adolescence, qui a été marquée par le cinéma d’horreur. Je ne regardais que ça. Je voulais m’approcher au plus près du sentiment de peur. Ça m’a toujours fasciné. Massacre à la tronçonneuse, Halloween… J’avais l’habitude d’aller au vidéo-club et mon père me laissait choisir quatre films. Je ne prenais que des films d’horreur. C’est en regardant ces films que j’ai compris de plus en plus précisément comment créer un certain sentiment. Et puis le concept du monstre m’a toujours intéressé.

À cause de la question de la différence, de l’intolérance? Comme dans Elephant Man, qui est aussi dans ta liste…

Oui, c’est l’idée de quelqu’un qui est vu par les autres comme tellement différent qu’il crée un sentiment de peur ou de gêne. J’aime la figure du marginal, du personnage qui a dû se construire loin des normes. Plus tard, j’ai réalisé que beaucoup de réalisateurs homosexuels ont cette relation particulière avec les films d’horreur. Durant mon adolescence, je me sentais tellement différent, tellement isolé, à distance du monde, que je crois que je trouvais une grande résonance dans ces personnages de freaks au cinéma. C’est pour ça que j’adore quand un cinéaste utilise les outils et la grammaire du cinéma de genre pour parler d’identité. Comme Julia Ducournau dans Grave, par exemple. J’ai trouvé ça tellement intelligent.

Les Chaussons rouges
Les Chaussons rouges

Dans un autre registre, tu pointes également Toy Story dans ta sélection…

Oui, la relation qui unit Buzz et Woody m’a toujours tellement ému… Mon nouveau film portera sur des questions d’enfance, d’amitié, de perte de l’imagination, de fin de l’innocence… Tout ça se retrouve très fort dans Toy Story. Ce film est un chef-d’oeuvre, avec une dimension quasiment existentielle. Mais, en creux, c’est aussi l’histoire d’un enfant qui grandit et qui va arrêter de jouer.

Ce deuxième long métrage en préparation, qu’est-ce que tu peux déjà en dire?

Je pense finir de l’écrire début décembre. Le scénario commence vraiment à être solide. C’est à la fois très spécifique et suffisamment universel. Si tout va bien, j’espère le filmer à l’été 2021. Récemment, on a déjà organisé un grand casting sauvage. Parce que c’est un film où on a besoin de trois jeunes garçons de 12-13 ans. On a vu quasiment 500 jeunes la dernière semaine d’août. Et en novembre, on en revoit une cinquantaine. Si on a commencé le casting si tôt, c’est parce que je voudrais que les acteurs influencent aussi l’écriture. En rencontrant quelqu’un, on voit comment il parle, comment il marche. Et ça, c’est important pour moi. J’aime l’idée de lancer certains éléments du processus de production au stade de l’écriture. Le casting, la musique, le décor, les costumes… Ça me facilite la préparation.

Comment te sens-tu par rapport à ce deuxième film? Libéré par le succès de Girl ou plutôt sous pression?

Girl était ma première véritable expérience. C’est un film qui s’est construit complètement sur l’intuition et sur une énorme passion. J’ai voyagé durant un an et demi pour le défendre. J’ai connu des moments très beaux, d’autres pas nécessairement super pour moi. Il m’a fallu du temps après ça… Au début, je me précipitais sur chacune de mes idées. J’ai commencé par travailler sur un film policier. Je m’y suis lancé tête baissée. Parce que j’avais peur. Je ne savais pas vraiment quoi faire. Et je voulais camoufler ça en me consacrant immédiatement à quelque chose. La vérité c’est que je cherchais désespérément un truc qui pourrait me passionner autant que l’histoire de Girl. Donc je me mentais à moi-même. Pour me rassurer. Comme pour cette histoire de film policier, que j’ai fini par laisser tomber. Girl avait été une évidence absolue. J’avais besoin d’en trouver une autre pour avancer. Et j’ai fini par la trouver ( sourire). Ce film dont je suis en train de terminer l’écriture, il est tellement proche de moi que je n’aurais pas pu le faire comme premier film. Girl parlait de moi à travers un personnage différent de moi. Cette fois, je peux vraiment m’attaquer frontalement à une expérience très proche de celle que j’ai vécue.

Patrimoine à domicile

Non, cent fois non, il n’y a pas que Netflix dans la vie. À côté des films récents et des nouvelles séries à binge-watcher, c’est tout un pan du cinéma dit « de patrimoine » qui s’invite désormais dans les salons du royaume. À commencer par la Cinematek, vénérable institution belge qui, sous le label Cinematek@Home, propose en ligne, et moyennant quelques maigres deniers, une sélection de classiques restaurés (Déjà s’envole la fleur maigre, Jeanne Dielman, Any Way the Wind Blows…) en collaboration avec les plateformes Sooner et Lumière – Ciné chez vous. Son homologue hexagonal, lui, sous le nom de code Henri, offre la possibilité de découvrir gratuitement sur son site des films rares de la Cinémathèque française: oeuvres signées Jean Epstein, Otar Iosseliani, Jean-Claude Brisseau ou Raoul Ruiz… Une véritable mine d’or, disponible également depuis la Belgique! Tout comme une bonne partie de la sélection de films de patrimoine concoctée par le distributeur et éditeur parisien Carlotta au sein de la section Vidéo Club de son site (5 euros par mois l’abonnement): La Ronde, Le Festin de Babette, Mariage à l’italienne, The Intruder… Que du plaisir! D’autres trouveront encore leur bonheur sur Mubi, excellente plateforme à l’orientation très auteuriste qui propose régulièrement tant des grands classiques incontournables que de belles raretés anciennes.

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