Les films/séries en 2020: cinéphagie partout, cinéphilie nulle part!

Tenet, de Christopher Nolan © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Une tendance de l’année, selon ce Crash Test S06E15: voir très peu de nouveaux films et séries alors qu’il semble pourtant ne jamais en avoir eu autant de disponibles. La faute au Covid, bien sûr… Ou pas? Et si ce n’était pas la fermeture des salles qui avait pourri cette année de cinéma mais bien une mutation plus profonde de comment se fabrique, se consomme et s’apprécie une histoire filmée?

Entrez « best movies of 2020 » dans la barre de recherche Google, il en sort 50 propositions. Dont 41 me sont inconnues. Vraiment. Je ne sais pas de quoi il s’agit, je ne vois pas ce que c’est. Je me tiens pourtant raisonnablement informé sur « le cinéma » mais ces titres-là, je ne les connais pas. Je ne suis jamais tombé dessus au cours de mes lectures, de mes recherches de « trucs à voir ». Sur ces 50 films, je n’en ai vu que 2 et encore, pas en entier. Le score n’est guère plus brillant sur IMDB. Sur les 100 premiers des 932 films listéscomme étant sortis entre le 1er janvier et le 31 décembre de cette année, je n’ai vu que Tenet, ce dont je me serais d’ailleurs bien passé. En fait, des films « sortis » cette année, je n’en ai vraiment vu, jusqu’au bout, que 7: Uncut Gems, The Social Dilemna, Da 5 Bloods, The King, Jusqu’au déclin, Borat 2 et Tenet, donc. Vivarium aussi, mais je ne sais pas si on peut compter Vivarium comme étant sorti en 2020, puisque son millésime date de 2019 et qu’il me semble en fait ne jamais avoir été officiellement commercialisé. On dira, bien entendu, que 2020 fut une année extrêmement difficile pour le cinéma. En plus, j’ai personnellement souffert d’un déficit d’attention assez gênant: il me reste depuis le premier confinement difficile de m’asseoir devant un film sans avoir envie de checker mon smartphone toutes les 10 minutes et sans que je ne pense à tout à fait autre chose qu’à ce qui se passe sur l’écran.

Une partie des
Une partie des « meilleurs films de 2020 » selon Google© capture d’écran Google

Le truc, c’est que je pense qu’en 2021 aussi, je ne verrai qu’une dizaine de films sur les centaines qui sortiront. Ainsi qu’en 2022. Et puis, pareil en 2034. C’est que la crise sanitaire et les cinémas fermés ne sont sans doute pas les raisons les plus déterminantes à ce manque d’emballement pour les nouveautés cinématographiques. Déjà, moi, je n’aime ni les superhéros, ni les comédies françaises, ni le prêchi-prêcha inclusif, ni le cinéma d’horreur qui entend transmettre un message moral. Voilà donc qui zappe déjà du catalogue pas mal de productions actuelles. Malgré ces boycotts, il reste certes beaucoup de choses à voir, peut-être même beaucoup plus de choses qu’il y a, mettons quinze ans, maintenant qu’il faut non seulement checker ce que sortent Hollywood, la France, l’Asie, le Brésil et la télé britannique mais aussi Netflix, Amazon, Disney+ et les Russes. J’ignore si les chiffres le confirment mais il y a une impression de surproduction, de suroffre et donc, forcément, de concurrence accrue. Elle-même en concurrence avec… le passé. Les films que j’ai vraiment appréciés cette année ont tous été tournés entre 1962 et 2011: Thérèse Desqueyroux, Thomas l’Imposteur, Unman, Wittering & Zigo, Messiah of Evil, La Longue Nuit de l’Exorcisme, Phase IV, American Gigolo, Berberian Sound Studio… Ceux-là, j’ai pu les suivre sans penser aux drones de Noël et m’y immerger sans maudire Frank Vandenbroucke.

Ils m’ont été recommandés par des gens dont je partage les affinités, les goûts. De vrais curateurs, un genre qui se fait rare dans la presse. Je ne critique pas ici les critiques de cinéma, dont le boulot est différent, puisqu’il s’agit de donner un avis sur ce qui sort, pas de recommander ce qui est à voir toutes périodes confondues. Contrairement aux critiques ciné, les curateurs sont libérés du diktat de l’actualité et sont aussi nettement moins la cible de campagnes marketing, du moins à l’échelle de ce qu’est capable de lancer Disney ou Warner. La bagarre pour les temps de cerveaux disponibles est ferme et cette guerre est donc totalement asymétrique. Que peut un curateur pointu face à la machine Disney? J’ai par exemple une certaine sympathie pour The Mandalorian, une série qui a le bon goût de donner à l’univers Star Wars un côté plus Métal Hurlant que gnangnan. N’en demeure pas moins que par rapport à certains classiques que je n’ai toujours pas vus, The Mandalorian est totalement anecdotique et futile. Mais comme Disney met le paquet sur le marketing viral et que les réseaux sociaux s’emballent, l’envie monte de binge-watcher The Mandalorian. Or, sur le même laps de temps que je mets à m’enfiler cette série aussi mims que nounouille, je pourrais voir une bonne partie de la filmographie de Franju ou les meilleurs Yves Boisset, films drôlement plus riches et intellectuellement stimulants. Plutôt que de sourire bêtement devant un spin-off Star Wars agréable mais dont je n’ai fondamentalement rien à foutre, je pourrais me lancer dans une autre série, The Terror, que je n’ai toujours pas vu 2 ans après sa mise en ligne, alors que c’est pourtant vachement plus mon genre que les aventures cosmiques du petit boudin vert et du troisième Daft Punk.

Je pensais que si je n’ai vu que peu de films cette année, c’était principalement dû au Covid. Il semble toutefois clair qu’il y a d’autres forces en jeu.

Le fait qu’en 2020, quelqu’un avec mes goûts a plus de chances de trouver son compte dans une série que dans un film de 120 minutes est d’ailleurs aussi à prendre en compte. Je suis très fan du Jeu de la Dame de Walter Tevis, roman dont est tirée la minisérie du même nom sur Netflix. Il me faut toutefois encore trouver le temps et l’envie de m’asseoir devant 7 épisodes de 45 minutes. L’idée me rebute même, parce que je pense que Le Jeu de la Dame est une histoire qui peut se raconter en 120 minutes et qu’il n’y a donc aucun besoin de l’étirer sur des heures et des heures. Il y a une autre minisérie diffusée cette année que j’avais fort envie de voir: The Third Day. Seulement voilà, l’un des épisodes dure douze heures. DOUZE HEURES! C’est une performance et j’apprécie qu’elle ait été permise par ceux qui ont mis les sous dans cette série. C’est sans doute aussi artistiquement très intéressant, mais douze heures, ça laisse quand même le temps de regarder Barry Lyndon 2 fois, de faire une sieste, d’ensuite se lancer d’une traite dans Apocalypse Now et après, d’encore aller se chercher tranquillement des sushis pour les manger devant un bon vieux Dracula. Bref, non seulement la concurrence est rude mais la méfiance s’installe et la question se pose: c’est quoi cette mode de raconter en 15 heures ce dont on faisait jadis le tour en 90 minutes? Cherche-t-on encore à vous raconter une histoire qui marque ou juste à vous coller le cul dans le canapé le temps qu’il faut pour analyser votre comportement et transformer le rapport en algorithmes? Et puis, voilà le mien, de rapport. Je pensais que si je n’ai vu que peu de films cette année, c’était principalement dû au Covid, aux restrictions sanitaires et au cerveau dans le brouillard qui en découle. Il semble toutefois clair qu’il y a d’autres forces en jeu. Une véritable mutation même de comment se fabrique, se consomme, s’apprécie, se transmet l’envie de la voir et se discute une histoire filmée. Signé: un ancien bon client qui ne s’y reconnaît plus du tout. Mais alors, vraiment pas.

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