Les femmes s’imposent au festival de Toronto: étincelle ou feu de paille?

Annette Bening, ici à la Mostra de Venise. © REUTERS/Alessandro Bianchi
FocusVif.be Rédaction en ligne

Les organisateurs du festival du film de Toronto affichent une volonter de donner plus de visibilité aux femmes. Mais un long chemin reste à faire pour les réalisatrices, les actrices ou les productrices dans le monde très masculin du cinéma.

Un tiers des longs métrages projetés au festival international du film de Toronto (TIFF) sont réalisés par une femme, une proportion rarement, sinon jamais, atteinte dans les autres grands rendez-vous du cinéma mondial.

La réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven (Kings), l’Irlandaise Rebecca Daly (Good Favour), l’Autrichienne Barbara Albert (Mademoiselle Paradis) ou la Française Agnès Varda (meilleur documentaire à Cannes avec Visages, Villages) sont quelques exemples du féminisme intergénérationnel du cinéma. Et au Canada, ce « féminisme » est plutôt naturel, car fièrement défendu par le Premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement, où la parité est devenue une évidence.

« La parité est à l’avant-garde, mais le changement au cinéma est lent », a confié à l’AFP Piers Handling, directeur du festival. « Aux Etats-Unis, ça ne s’améliore pas et, en fait, la situation empire pour les femmes. »

« Beaucoup de sexisme »

Que ce soit dans la direction d’acteurs ou dans les émoluments des stars, les disparités sont criantes. « Nous n’avons vu aucune amélioration pour le nombre de réalisatrices de film de premier plan », a relevé Stacy Smith, professeure à l’université de Californie du Sud à Los Angeles. A partir d’un échantillon de 109 longs métrages, seulement 3,4% avaient été réalisés par des femmes l’an dernier, selon elle.

Pour les cachets des stars, selon le magazine Forbes, le rapport est de un à trois entre Mark Wahlberg, héros du film de science-fiction Transformers, et Emma Stone, Oscar de la meilleure actrice pour La La Land, qui est à Toronto dès dimanche dans le rôle de la tenniswoman Billie Jean King pour le film La Bataille des sexes de la réalisatrice Valerie Faris.

Sans dénier que les choses vont dans le bon sens, l’actrice américaine Annette Bening déplore que « la route est (encore) longue » pour un équilibre des genres au cinéma. « Il y a bien sûr beaucoup de sexisme, cela ne fait pas de doute », a-t-elle dit depuis Venise où elle préside le jury de la Mostra. Au festival italien, cette année, une seule réalisatrice, la Chinoise Vivian Qu, est en compétition face à 20 hommes.

« Ils pensent mâle »

La critique était également venue au printemps de sa compatriote Jessica Chastain. « Il faudrait davantage de réalisatrices, je reconnaîtrais ainsi plus les personnages et les rôles de mon quotidien », avait déclaré l’actrice américaine à Cannes, festival qui n’a décerné qu’une seule fois une Palme d’or à une femme, la réalisatrice australienne Jane Campion, il y a… 24 ans!

Ce déséquilibre au détriment des femmes trouve racine à la fois dans le machisme de la profession et dans le fait que le cinéma s’inspire souvent des héros de bandes dessinées, estime Stacy Smith. L’expérience montre que quand les producteurs pensent « réalisateur, ils pensent mâle ». « Autrement dit cela relève d’un mode de pensée à propos des qualités requises pour dénicher un bon réalisateur, dans la droite ligne des stéréotypes masculins, à savoir être agressif ou donner des ordres », dit-elle.

Autre facteur, selon Piers Handling, « le cinéma américain s’éloigne de films auxquels les femmes sont plus sensibles, pour des films à gros budget, bourrés d’effets spéciaux et basés sur des bandes dessinées ».

Pour le patron du TIFF, « les pays européens, comme la France, l’Allemagne ou la Scandinavie, ont une très bonne approche de la diversité ». Grâce aux aides en partie publiques, comme l’exemple français des avances sur recettes, des réalisatrices peuvent plus facilement monter une production à l’abri de pressions.

Une réalisatrice doit prouver davantage qu’un réalisateur

Le sexisme au cinéma existe et, comme dans bien d’autres corps de métier, une femme doit en faire beaucoup plus qu’un confrère masculin, explique Joan Chemla, réalisatrice française du film Si tu voyais son coeur en compétition au Festival international du film de Toronto (TIFF).

Avez-vous dû faire face au sexisme dans votre métier?

Pour mes trois courts métrages, je n’ai jamais été confrontée à ce problème lié au fait que je sois une réalisatrice et pas un réalisateur. Je m’en suis aperçue pour mon premier long métrage. A compétences égales, il faut parfois prouver maintes fois plus qu’un réalisateur, mais sans aucune raison. Quel est l’enjeu entre un court et un long métrage? Un enjeu économique peut-être avec plus de pression par rapport à un budget mais personnellement j’ai fait ce long métrage avec la même application et le même professionnalisme. Sur un plateau il y a souvent plus d’hommes, des ambiances plus masculines et une femme peut se sentir exclue, c’est même parfois fait un peu exprès.

Les organisateurs du TIFF cherchent à tendre vers la parité avec plus de films réalisés par des femmes. Est-ce une solution pour éliminer toute disparité?

Quelle que soit la problématique, j’ai du mal à me mettre dans une position de victimisation car les torts sont partagés. Les responsabilités incombent à la fois aux hommes et aux femmes et pour que les choses progressent il y a aussi la façon dont une femme se positionne, et inversement un homme. On se construit nos propres prisons.

Dans votre métier, comment vous positionnez-vous face à cette question?

J’essaie de rester moi-même au-delà du genre. Jeune et débutante, je découvre les choses par moi-même et je n’ai pas d’idées figées même si certains gardent des idées préconçues. Récemment, un professionnel renommé du cinéma m’a dit: « Joan, c’est incroyable, tu es restée féminine ». Comme si une femme réalisateur perdait une partie de sa féminité!

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