Critique

Le film de la semaine: The Duke of Burgundy

The Duke of Burgundy de Peter Strickland © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

DRAME | L’Anglais Peter Strickland touche à la grâce absolue le temps d’une expérience cinématographique totale, affolante, où sous le jeu feutré d’une relation lesbienne sadomasochiste palpite une bouleversante histoire d’amour aux désirs contrariés.

Champion dans l’art du faux-semblant, Peter Strickland explique avoir choisi le titre de son nouveau film parce qu’il trouvait amusant de donner un nom masculin à un récit se déroulant exclusivement dans un monde sans hommes. Mais le Duke of Burgundy, ou Lucine, est aussi un papillon d’Europe dont les couleurs oscillent entre l’orange et le marron. Soit l’un des sujets d’étude favoris de Cynthia (Sidse Babett Knudsen, la Birgitte Nyborg de la série Borgen), lépidoptériste autoritaire entretenant une relation perverse à base d’humiliations et de punitions avec la soumise Evelyn (Chiara D’Anna). A ce qu’il semble, du moins. Mais une fois tombés les masques de ce petit théâtre sans cesse rejoué de la domination consentie, où la montée du désir, scénarisée jusqu’à l’absurde, le dispute au jaillissement du plaisir, bien éphémère, que reste-t-il à vivre? Qui est le chat et qui est la souris de cet amour aux exigences dévorantes, chausse-trapes possiblement fatales de cette vieille antienne qu’est la vie à deux -son lot d’insatisfactions chroniques traînées comme une brouette de feuilles mortes, d’abdications de soi nécessaires pour permettre à l’autre d’exister?

Si Peter Strickland, cinéaste surdoué aux coups d’éclat restés bien trop confidentiels (Katalin Varga, Berberian Sound Studio), observe avec la méticulosité d’un entomologiste les moindres frémissements, les infimes mutations de ce couple au bord de l’abîme, c’est aussi pour mieux se perdre dans le labyrinthe des passions qu’il entend sublimer, actant l’inanité de la quête d’absolue volupté en même temps qu’il célèbre la magie virginale, totale, du 7e art. Porté par la musique, sublime, de Cat’s Eyes -la chanteuse d’opéra Rachel Zeffira et Faris Badwan de The Horrors-, et épousant le rythme des saisons, le film se construit comme une longue boucle hypnotique -sans doute parce que le début de toute chose en annonce aussi la fin. Et il suffit parfois d’un simple craquement de bois, de quelques bulles irisées qui éclatent à la surface d’une eau savonneuse où baignent des sous-vêtements chics, pour que culmine un pur sentiment d’euphorie cinéphile, puisant sa source dans le mystère vertigineux d’une féérie surréelle, hors du temps, à la beauté souveraine. Quelque part entre Buñuel et Jess Franco, Stan Brakhage et Alain Robbe-Grillet, un rêve de film dont on voudrait qu’il ne finisse jamais.

DE PETER STRICKLAND. AVEC SIDSE BABETT KNUDSEN, CHIARA D’ANNA, FATMA MOHAMED. 1H44. SORTIE: 17/06.

Dans le Focus du 12 juin, notre interview de Peter Strickland.

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