Critique

[Le film de la semaine] Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Céline Sciamma filme la passion naissante entre une peintre et sa modèle dans la Bretagne corsetée du XVIIIe siècle. Une oeuvre touchée par la grâce.

Portrait de la jeune fille en feu: le simple titre du quatrième long métrage de Céline Sciamma (lire son interview) est porteur de la promesse d’un embrasement des sens. Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce film lumineux, première incursion de la réalisatrice de Bande de filles dans le cinéma d’époque, la fin du XVIIIe siècle en l’occurrence, qui offre son cadre corseté à une passion amoureuse naissante. L’histoire commence lorsque Marianne (Noémie Merlant), une peintre, rejoint, ses toiles sous le bras, une île au large de la Bretagne, où elle a été appelée par une notable (Valeria Golino) pour réaliser le portrait de mariage de sa fille Héloïse (Adèle Haenel), tout juste sortie du couvent, et guère plus encline à servir de modèle qu’à se prêter à ces noces arrangées.

Et l’artiste d’être introduite comme dame de compagnie, à charge pour elle d’exécuter le tableau en secret, fruit de ses observations à la dérobée. Entre la peintre et son modèle débute un étrange ballet, à pas feutrés d’abord, l’austérité du cadre, ajoutée au contexte biaisé de leur rencontre, appelant à la retenue. Un dialogue cependant s’ébauche, qui passe par les regards autant que par les mots, comme pour mieux laisser le désir circuler et bientôt s’épanouir, libérateur.

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Un tourbillon

Cet élan, Céline Sciamma l’orchestre en deux temps, aux émotions contenues du premier mouvement succédant le vertige du second lorsque, s’affranchissant des contraintes du genre en plus de (se) jouer des conventions de l’époque (et de mettre en scène un monde sans hommes, sinon en creux), le film, porté par un souffle irrésistible, atteint à une dimension spirituelle pour ainsi dire. Convoquant alors lumineusement le mythe d’Orphée et Eurydice, la cinéaste réussit à cerner, dans un même tourbillon, le feu de la passion amoureuse naissante et l’écho, ravi comme troublé, de son souvenir, non sans esquisser au passage les contours d’une précieuse sororité.

Il y a là, au vrai, comme un film-monde, qui questionne la création autant que la condition de la femme, porté par un courant émancipateur dont l’écho n’en finit pas de résonner. Politique, dans son affirmation même des possibles. Et résolument moderne, mais plus encore intemporel. Après sa trilogie de l’adolescence, Céline Sciamma y confirme être une maîtresse portraitiste de femmes, la digne héritière de Jane Campion. Non sans toucher, dans une oeuvre à la fois cérébrale et épidermique, pudique et sensuelle, à ce qui ressemble à la grâce pure, posant un geste souverain de cinéma que Noémie Merlant et Adèle Haenel, sublimes, portent à incandescence. Un ravissement pour l’esprit et les sens, et sans conteste le plus beau film qu’il ait été donné de voir depuis longtemps.

De Céline Sciamma. Avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luàna Bajrami. 2h. Sortie: 02/10. *****

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