Critique

Le film de la semaine: Leviathan, au bord de l’abîme

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Andreï Zvyagintsev signe un film prodigieux, vertigineux, rentrant sans crainte dans le vif de la question russe. Chef-d’oeuvre!

La mythologie phénicienne en faisait le monstre du chaos primitif. Les Hébreux de L’Ancien Testament le présentent comme une créature colossale, tenant du dragon, du serpent et du crocodile. Sa venue annonçant un terrifiant cataclysme, pouvant mener à la fin du monde… La figure imaginaire du Léviathan appelle des visions d’horreur et de dévastation. De catastrophe globale, plus largement, voire d’apocalypse. Ce n’est pas à la légère qu’Andreï Zvyagintsev (lire son interview dans le Focus du 17 octobre) a choisi d’en faire le titre de son nouveau film. Le génial réalisateur du Retour, du Bannissement et du déjà crépusculaire Elena poursuit son exploration de la société russe contemporaine et de ses dérives. Un sujet que son film précédent creusait à l’échelle d’un couple déchiré, mais que Leviathan porte à une sinistre et fascinante incandescence. Nous sommes tout au nord du pays, sur le rivage désolé de la mer de Barents. Kolia vit dans une petite ville de la côte, avec sa femme Lilya et Roma, son fils d’un précédent mariage. Le maire, Vadim Cheleviat, a des projets immobiliers. Il convoite la maison et le garage de Kolia, qui ne veut pas les lui vendre. Faute d’accord, le notable et ses amis en viendront à des méthodes plus radicales pour parvenir à leurs fins… Et la corruption érigée en système d’aller alors jusqu’à menacer ce qu’il peut rester de vie libre et la sauvage beauté d’une terre ingrate mais aimée.

L’ombre de Poutine

Zvyagintsev est bien trop subtil pour filmer la chose à la manière d’un film à message, dénonçant les uns et sublimant les autres. L’humour souvent noir est une arme dont il joue avec intelligence, tandis qu’il se rapproche (et nous avec lui) du gouffre où basculeront les illusions perdues. Il chante les derniers feux d’une vie simple et rude, mais sans jamais l’idéaliser, imbibée qu’elle est d’alcool, de pusillanimité, de révolte verbeuse et de soumission latente à l’autorité. Les séquences d’anthologie se succèdent dans une atmosphère de plus en plus lourde de menace. Celle du pique-nique durant lequel on s’exerce au tir sur des portraits de leaders historiques est une des plus frappantes. Le rôle de la religion ne manquant pas d’être épinglé dans une scène extraordinaire où apparaît un enfant ressemblant trait pour trait à Vladimir Poutine… Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, Leviathan faillit être interdit de sortie en Russie. Mais un retournement de dernière minute en fait aujourd’hui le film officiellement proposé à L’Oscar du film en langue étrangère! Ce qui ne diminue en rien l’impact d’un chef-d’oeuvre radical, glaçant, salutaire.

LEVIATHAN, D’ANDREÏ ZVYAGINTSEV. AVEC ALEXEÏ SEREBRIAKOV, ELENA LIADOVA, VLADIMIR VDOVITCHENKOV. 2H21.SORTIE: 22/10.

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