Critique

[Le film de la semaine] Leto, from Russia with love

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME/BIOGRAPHIE | Kirill Serebrennikov signe le portrait de la jeunesse russe de l’avant-perestroïka, célébrant le pouvoir subversif de la musique et l’élan de l’adolescence. Grisant.

Leningrad, à l’orée des années 80. Ray-Ban aviator et charisme rehaussé de ce qu’il faut de morgue, Mike Naumenko (Roma Zver) est la star de la scène rock alternative locale, petite communauté émergeant à l’ombre de Lou Reed, David Bowie, T. Rex et leurs rejetons punks. Et rameutant, lors de concerts sous contrôle strict, un public à l’enthousiasme refréné, les autorités veillant à museler d’éventuels débordements. Moment où débarque Viktor Tsoï (Tee Yoo), beauté troublante et talent incandescent, que Mike et sa femme, Natacha (Irina Starshenbaum), décident de prendre sous leur aile. Un triangle amoureux s’esquisse, porté par un élan irrésistible, ce même élan qui sous-tend le film, annonciateur d’un changement qui ravalera en profondeur la société soviétique.

[Le film de la semaine] Leto, from Russia with love

Noir et blanc

Quasiment inconnus sous nos latitudes, Tsoï et Naumenko sont des figures clés du rock russe, icônes trop tôt envolées, le premier, leader du groupe Kino, dans un accident, en 1990, à 28 ans à peine; le second, chanteur guitariste de Zoopark, en 1996, à 36 ans. Revenant sur les circonstances de leur rencontre, Leto (L’été) n’est pas pour autant un biopic classique, Kirill Serebrennikov s’attachant, à travers leur histoire, à retrouver l’humeur de l’URSS de l’avant-perestroïka, pour signer le portrait d’une jeunesse brûlant d’un feu intérieur intense, et opposant à la rigidité d’un régime déclinant un puissant cocktail d’innocence et d’énergie créatrice. Effervescence que le film capte dans un noir et blanc n’ayant rien d’une coquetterie – « C’est la seule manière de raconter l’histoire de cette génération, puisque la notion de couleur n’est apparue que plus tard dans l’inconscient collectif russe », écrit le réalisateur dans sa note d’intention-, tout en osant une stimulante audace, comme en écho au souffle de liberté animant ses protagonistes. Ainsi, notamment, lors des interventions distanciées d’un narrateur, ou lorsque l’auteur assortit Psycho Killer des Talking Heads, The Passenger d’Iggy Pop, ou autre All the Young Dudes de Bowie de collages inventifs en forme de jaillissements punks spontanés.

Célébrant le pouvoir subversif de la musique comme l’élan romantique de l’adolescence, il y a là un film grisant, en prise mélancolique sur ce qui aurait pu être. Une oeuvre éminemment politique aussi, l’histoire semblant bégayer alors que Kirill Serebrennikov est désormais assigné à résidence: « Ce qu’ils faisaient n’est pas étranger à ce que nous faisons aujourd’hui au Gogol Center (principal théâtre russe d’avant-garde situé à Moscou, NDLR), observait encore celui qui est aussi metteur en scène. Malgré notre environnement lourdement politisé, nous créons un théâtre moderne, anti- officiel, qui peut aussi être perçu comme un mouvement qui donne vie à une culture inacceptable à un niveau officiel. » Autres temps, même combat, qui fait aussi le prix et l’urgence de ce film enivrant.

De Kirill Serebrennikov. Avec Roma Zver, Teo Yoo, Irina Starshenbaum. 2h06. Sortie: 16/03. ****(*)

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