[Le film de la semaine] Le Jeune Ahmed, des frères Dardenne
DRAME | Un adolescent comme tant d’autres. Belge, arabe et musulman. Sous sa chevelure frisée et ses grosses lunettes lui donnant l’air intello, Ahmed (Idir Ben Addi, une révélation) cache une sensibilité aiguë, à fleur de peau. Et une timidité, un caractère influençable qu’un imam salafiste de sa région liégeoise n’a pas manqué de remarquer.
L’homme fait percoler dans la foi sincère du gamin des idées radicales, une vision de l’islam et du Coran où -entre autres- on déteste les Juifs et où on ne sert pas la main aux femmes. Madame Inès (Myriem Akheddiou), la prof d’Ahmed, elle-même d’origine arabe, est déçue et choquée par son changement brutal d’attitude envers elle. En plus de fuir son contact, Ahmed lui reproche de vouloir donner des cours d’arabe en dehors de l’apprentissage du Coran. Quand l’ado apprendra (par son imam, toujours) que l’enseignante a un nouveau compagnon, et que cet homme est juif, son sang ne fera qu’un tour. Et toute la propagande reçue à la mosquée, mais aussi sur Internet, lui inspirera le plus terrible des actes… Ainsi commence, et commence seulement, ce qui est le plus beau film des frères Dardenne depuis leur chef-d’oeuvre, Le Fils, en 2002. Le plus beau et aussi le plus important, car le sujet qu’il aborde soulève des questions cruciales pour notre société que menacent communautarisme et dérives islamistes.
Juste distance
Le Jeune Ahmed est sans doute, avec L’Enfant (Palme d’Or cannoise en 2005), l’oeuvre la plus évidemment « bressonienne » des Dardenne. Par la tenue, la rigueur, la juste distance et l’accent mis sur les enjeux moraux. Par le coup du destin qui se manifeste à un moment crucial, aussi, et que nous nous garderons bien de révéler ici. Les frères n’ont jamais fait, et ne feront jamais, de film sentimental. Ni non plus, depuis La Promesse (1996), de film intellectuel. Ils ont fait le pari d’utiliser un langage cinématographique de plus en plus maîtrisé pour travailler l’humain dans ce qu’il peut avoir à la fois de plus intime (l’amour, la maternité et la paternité, les liens familiaux) et de plus ancré dans la réalité sociale (les rapports de générations, la quête d’un travail, les gens exploités ou poussés vers la marge). Leur travail est potentiellement chargé d’une immense émotion, d’autant plus belle qu’elle se veut constamment retenue. Mais il reste, et c’est chose admirable, toujours rationnel. Ahmed suscite l’évidente empathie des Dardenne, mais cela ne les mène pas une seconde à justifier ses actes. Assumant un regard tout à la fois profondément humain et d’une lucidité tranchante, les cinéastes ont en fait trouvé l’approche optimale pour évoquer le terrifiant sujet du film. Loin des slogans réducteurs et racistes, mais loin aussi de l’angélisme que beaucoup (notablement dans le monde politique et culturel belge) continuent à pratiquer avec un opportunisme et une hypocrisie aussi navrants que hautement dangereux.
De Luc et Jean-Pierre Dardenne. Avec Idir Ben Addi, Olivier Bonnaud, Myriem Akheddiou. 1h24. Sortie: 22/05. ****(*)
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