Critique

[Le film de la semaine] I’m Not Your Negro, de Raoul Peck

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

DOCUMENTAIRE | Raoul Peck réveille les mots de James Baldwin et décline dans un film coup de poing le livre inachevé du penseur afro-américain.

C’est un film d’utilité voire de nécessité publique. Alors que les États-Unis se sont choisi Donald Trump pour Président, que la France devra se contenter d’Emmanuel Macron ou, peut-on se l’imaginer, de Marine Le Pen, le réalisateur haïtien Raoul Peck met en lumière la pensée de James Baldwin. Noir et gay, abusé à l’âge de dix ans par deux officiers de police, cet intellectuel du mouvement des droits civiques qui passa sa vie à dénoncer l’oppression à l’égard des minorités fut une figure tutélaire, un phare, pour le gamin puis l’homme né à Port-au-Prince, élevé au Congo pour échapper à la dictature des Duvalier, puis formé dans des écoles américaines et européennes. En 2000, Peck avait raconté Patrice Lumumba, son ascension politique, ses relations avec Mobutu, son rôle dans l’indépendance du pays et son assassinat à travers une fiction accessible au grand public. C’est cette fois sous la forme d’un documentaire brillant et percutant que le directeur de la FEMIS, l’École Nationale Supérieure des Métiers de l’image et du son à Paris, s’est attaqué au cas de son héros James Baldwin. Un documentaire (déjà récemment diffusé sur Arte) pour le moins original puisqu’il donne vie en images à un manuscrit inachevé.

Réalité brutale

[Le film de la semaine] I'm Not Your Negro, de Raoul Peck

Dans Notes for Remember This House au sujet duquel il envoyait déjà une lettre à son agent littéraire en juin 1979, Baldwin voulait raconter l’histoire de l’Amérique, ce pays dominé par des Blancs, à travers les combats et les destins tragiques de trois de ses amis. Trois hommes assassinés avant même d’avoir fêté leurs 40 ans. Martin Luther King et Malcolm X, bien sûr. Mais aussi Medgar Evers, cet ardent défenseur des droits de l’homme, membre de l’Association nationale pour la promotion des gens de couleur qui inspira Only a Pawn in Their Game à Bob Dylan et Mississippi Goddam à Nina Simone. Maniant très habilement images d’archives télévisuelles (interviews filmées, débats, documentaires…), photos en tout genre et extraits de films (La Case de l’Oncle Tom, La Chaîne, Devine qui vient dîner…), renforçant par ailleurs son propos par des clichés de ces gamins afro-américains récemment abattus par la police (la preuve que rien n’a fondamentalement changé), Peck a reconstruit de manière kaléidoscopique la pensée humaniste et incroyablement articulée de Baldwin. Il dénonce avec les mots de son guide spirituel, qu’ils soient extraits de ses livres, de ses essais, de ses discours ou de ses films, une société américaine (et par extension occidentale) aveugle et lâche face à son Histoire. Décrypte le racisme anti-noir notamment véhiculé par Hollywood. Et plonge dans l’éveil d’une conscience sociale, raciale, politique pour mieux nous confronter à la réalité brutale qui est la nôtre. Interprété, vocalement, par Samuel L. Jackson (Joey Starr pour la version française), James Baldwin y étincelle par sa lucidité et ouvre les yeux avec une prose vibrante et implacable. Essentiel.

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