Critique

[Le film de la semaine] El Club, au coeur des turpitudes de l’Eglise chilienne

El Club, de Pablo Larrain © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Cinquième long métrage du cinéaste chilien Pablo Larrain, El Club rassemble, dans une petite station balnéaire de bout du monde, des prêtres soigneusement marginalisés par l’église. Un film aussi fort que dérangeant…

« Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. » C’est sur cette citation, empruntée à la Genèse, que s’ouvre El Club, le cinquième long métrage du cinéaste chilien Pablo Larrain, l’auteur notamment du formidable No. Et c’est précisément à l’endroit où lumière et ténèbres semblent fusionner dans quelque halo incertain que le réalisateur situe son propos. Nous sommes à La Boca, une petite ville côtière avec des airs de bout du monde, où quatre prêtres marginalisés par l’Eglise vivent dans une maison quelconque, soeur Monica veillant sur ce petit monde s’affairant, pour l’essentiel, à entraîner un lévrier pour de futures courses. L’arrivée d’un nouveau pensionnaire, le père Matias, va venir ébranler cette communauté fort peu spirituelle et le semblant d’équilibre qui y préside. Sa présence, en effet, ravive douloureusement un passé que tous avaient préféré oublier, et cristallisé en la personne de Sandokan, pauvre hère du coin ayant reconnu sous les traits du dernier arrivant l’homme qui l’avait abusé dans son enfance. Et les autorités catholiques de dépêcher un enquêteur sur place afin de mettre bon ordre à la situation…

Changement de « décor » pour Pablo Larrain qui, après une trilogie consacrée aux années Pinochet, se penche dans El Club sur les agissements de l’Eglise chilienne, à travers ce groupe de prêtres, fort peu catholiques en définitive, soustraits à la justice civile -sujet on ne peut plus brûlant, et d’ailleurs au coeur, prochainement, d’un autre film non moins remarquable, Spotlight de Thomas McCarthy. Débutant dans une atmosphère étrange, le film s’enfonce dans un malaise toujours plus profond à mesure que le réalisateur y dénude une réalité sordide. Larrain excelle à restituer le marigot moral où évoluent ses protagonistes, s’appuyant sur un dispositif idoine où jusqu’à la lumière, crépusculaire, semble se dérober, figeant le mouvement dans un horizon trouble au son de la musique d’Arvo Pärt. Mais si El Club a tout du brûlot, le réalisateur préfère une manière souterraine au pamphlet édifiant, laissant ses personnages, et la situation, à leur ambiguïté. Et jouant avec maestria de la frontalité -de la parole, en particulier- mais aussi de la distance (et notamment celle, affectée, du génial Alfredo Castro, acteur fétiche du cinéaste incarnant comme personne l’horreur ordinaire), pour ne finalement ménager personne, et pas même le spectateur, tout à son inconfort face à un film déshumanisé jusqu’à en faire froid dans le dos. Magistral.

DE PABLO LARRAIN. AVEC ALBERTO CASTRO, ROBERTO FARIAS, ANTONIA ZEGERS. 1H37. SORTIE: 18/11.

Dans le Focus du 11 décembre, notre interview de Pablo Larrain.

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