Critique

[Le film de la semaine] Border (Gräns), un petit miracle de cinéma déviant

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

DRAME/THRILLER FANTASTIQUE | Venue de Suède, cette déroutante chronique ordinaire de la différence se double d’un thriller fantastique aux idées assez folles.

Emmené par Benicio del Toro, le jury de la section Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes s’est montré particulièrement sensible à la question de la frontière. Ou plutôt de son absence. En choisissant d’abord, on le sait, de décerner un prix d’interprétation unique -ni masculine ni féminine- à Victor Polster pour sa prestation hors norme dans Girl de Lukas Dhont. En couronnant, ensuite, le film suédois Gräns (Border, pour le titre international) du cinéaste danois d’origine iranienne -une certaine idée de l’abolition des frontières à lui tout seul…- Ali Abbasi. Soit une déroutante chronique ordinaire de la différence doublée d’un thriller fantastique aux idées assez folles opérant un radical renversement de perspective en matière d’identité sexuelle.

Border, c’est avant tout l’histoire de Tina, douanière de son état. Redoutable agent au physique ingrat, elle repère les contrevenants à la manière d’un infaillible radar grâce à son odorat surdéveloppé. Mais quand sa route croise celle de l’improbable Vore, freak insolent aux combines suspectes, son flair légendaire s’affole et se trouble, tous les voyants d’une existence marquée jusque-là du sceau d’une insatisfaction qui ne dit pas son nom passant irrémédiablement au rouge. Commence alors une quête de vérité d’autant plus vitale qu’elle est avant tout intérieure, Tina s’aventurant sur un chemin sans retour qui la mène à elle-même.

[Le film de la semaine] Border (Gräns), un petit miracle de cinéma déviant

Jusqu’à la sidération

Adapté d’une nouvelle de John Ajvide Lindqvist, auteur scandinave dont le travail avait déjà inspiré un Morse (Let the Right One In) vampirique de très belle mémoire, Border pourrait n’être qu’une énième et très banale fable sur l’altérité. À sa barre, Abbasi (le drame horrifique Shelley en 2016), qui se revendique notamment dans l’esprit du réalisme magique latino-américain d’un Gabriel García Márquez, accouche pourtant d’un objet d’une liberté absolue, quasiment inespérée, traversé de fulgurances poétiques qui laissent bouche bée, elles-mêmes inscrites au coeur d’une nature à la beauté souveraine suggérant l’univers des contes de fées pour mieux en pervertir les enjeux.

Bien au-delà de la simple dialectique du bien et du mal, du charme et de la disgrâce, de la grandeur d’âme et de la monstruosité, le résultat déjoue les attentes comme les codes établis, affichant notamment un naturalisme très profil bas aux antipodes de ses incroyables excentricités de scénario: c’est cette intelligence à figurer l’extraordinaire de la manière la plus ordinaire qui soit qui fait tout le prix de Border, film-ovni dont il est systématiquement impossible d’anticiper le prochain coup. Mieux: il y a quelque chose de l’ordre de la sidération à observer ces deux êtres défier les lois de l’attraction sexuelle qui les lie -cette scène d’accouplement puis de communion avec les éléments, d’une bouleversante intensité, qui est le pivot du film. Entre l’inconfort crade et le pur enchantement, un petit miracle de cinéma déviant!

D’Ali Abbasi. Avec Eva Melander, Eero Milonoff, Jörgen Thorsson. 1h48. Sortie: 23/01. ****

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