Critique

Le film de la semaine: Aimer, boire et chanter

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Avec Aimer, boire et chanter, Alain Resnais signait un film en prise sur le temps qui passe, au carrefour du cinéma, du théâtre et de la bande dessinée.

Aimer, boire et chanter
Aimer, boire et chanter© DR

Testament cinématographique d’Alain Resnais, disparu le 1er mars dernier, Aimer, boire et chanter est un film comme seul pouvait les imaginer un cinéaste s’étant employé, de L’année dernière à Marienbad à Vous n’avez encore rien vu, à réinventer les formes. Ainsi, encore, de cet ultime opus, au dispositif ingénieux autant qu’inédit. Et ce, même si inscrit, à l’évidence, dans la continuité de l’oeuvre, tant par son inspiration -il s’agit, après Smoking/No Smoking et Coeurs, de la troisième incursion du réalisateur dans l’univers du dramaturge britannique Alan Ayckbourn-, que par sa thématique, la mort ayant résolument pris ses quartiers dans son cinéma, et certainement à compter de l’onde mélancolique qui balayait Coeurs, justement.

Encore est-on ici chez Resnais, et ces choses-là s’envisagent avec doigté, sinon légèreté. Si l’ombre de la grande faucheuse plane sur Aimer, boire et chanter, dont elle scelle d’ailleurs le dernier plan, le film n’a pour autant rien d’une procession funèbre -comme le laisse d’ailleurs entendre son titre, emprunté à une valse de Johann Strauss. Resnais y orchestre, dans la campagne anglaise et avec le concours de sa troupe d’acteurs (habitués, comme Sabine Azéma ou André Dussollier, ou nouvelle venue, comme Sandrine Kiberlain, le curieux ballet de trois couples confrontés à l’annonce de la mort prochaine d’un de leurs proches. A savoir George Riley, atteint d’un cancer en phase terminale, et bientôt omniprésent dans les esprits, à défaut d’apparaître à l’écran. C’est que l’homme, en effet, n’en a pas fini d’exercer une étrange séduction sur les femmes, et la perspective de l’accompagner dans ses derniers mois déclenche bientôt une douce cacophonie, ronde des sentiments amoureux où chacun(e) est amené(e) à reconsidérer le fil de son existence.

Courts-circuits

Le ressort n’est guère éloigné de celui d’un vaudeville; il se déploie, devant la caméra de Resnais, en un hybride particulièrement stimulant. Sans en occulter le moins du monde l’essence théâtrale, le réalisateur réussit pourtant à la court-circuiter, bien aidé par Blutch, dont les dessins assurent les transitions d’un récit glissant d’un décor minimaliste à l’autre, un simple jeu de rideaux permettant les entrées et sorties des comédiens. Tour de force du metteur en scène, la vie -et la mort- s’imposent bientôt dans ce jeu d’artifices, et avec elles la mesure du temps qui passe, envisagée en une épure purement cinématographique celle-là, et avec cette liberté de ton n’appartenant qu’à lui. Démiurge d’un monde ne ressemblant à aucun autre, le cinéaste aura par ailleurs encore veillé à apporter une ultime ponctuation ludique à son oeuvre, sous les traits d’une petite taupe surgie comme pour mieux y apposer sa signature. Car voilà, Resnais s’en est allé. Et déjà sa fantaisie et son génie inventif nous manquent.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content