Le Doulos est mort, Disney court toujours!

Jean-Paul Belmondo et Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississippi (1969) © ISOPIX
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Ça pourrait être un hommage à Jean-Paul Belmondo. Ça pourrait être une critique d’un manque flagrant de curiosité pour le cinéma et son histoire sur les réseaux sociaux et dans les médias généralistes. Ça pourrait être une rumination sur le jeunisme. Mais c’est le Crash Test S07E02 et c’est un peu tout ça à la fois!

À l’annonce de la mort de Jean-Paul Belmondo, Twitter a semblé se diviser en trois camps. Celles et ceux qui connaissent l’acteur par ses films les plus diffusés à la télévision (principalement Le Professionnel et Le Magnifique), celles et ceux le connaissant par des images d’Epinal (son look dans À bout de souffle, sa blueface de Pierrot le fou, ses gros flingues de la période René Château…) et celles et ceux ayant décrété que de toutes façons, le mec était juste un vieux ringard spécialisé dans les rôles de flics abusifs. De mon côté, j’ai checké sur Internet sa longue filmographie et il m’est apparu que de 1960 à 1975, beaucoup des films dans lesquels il avait joué m’avaient jadis vraiment plu et/ou me plaisent toujours. J’ai grandi devant la télévision des années 1970/80. Alors diffusés je pense à peu près une fois l’an, Peur sur la ville, Le Cerveau et Le Magnifique ont fortement marqué l’enfant que j’étais. Par contre, L’As des As, Les Morfalous et autres Joyeuses Pâques m’ont complètement désintéressé de la carrière de Belmondo. Et comme je n’aime vraiment pas Godard, il m’a en fait fallu des années pour que je me retrouve à louer et à streamer des films avec l’acteur. Cela m’est revenu via Un Singe en hiver, totalement culte chez mes amis fêtards et poivrots. Via Weekend à Zuydcoote, qui est en fait Dunkirk avant Dunkirk bien meilleur que Dunkirk. Via L’Aîné des Ferchaux, passion Simenon. Via La Sirène du Mississipi, que durant trop d’années, j’avais imaginé douce comédie romantique alors que c’est un film profondément bouleversant. Via Le Voleur, aussi, au scénario foncièrement anar. Et bien d’autres…

Ce ne sont pas là des films difficiles, réservés aux cinéphiles pointus. Ils ont au contraire été fabriqués pour remplir les salles, pour plaire au peuple. Mais fabriqués d’une autre façon que ceux dans lesquels s’illustre Belmondo à partir des années 1980. Sur Twitter, j’ai donc vu des gens se plaindre que Bébel s’était fort complu dans l’image de flic en veste de cuir courte qui refile des torgnoles aux femmes en lâchant des plaisanteries douteuses. Okay mais ce n’est qu’à la charnière 1970-80 que cela devient sa signature. De 1960 à 1975, on l’a certes déjà vu en flic abusif mais on l’a aussi croisé en prêtre qui préfère Dieu à la gaudriole et en babtou fragile tellement amoureux de sa femme qu’il l’excuse les larmes plein les yeux lorsqu’il s’avère que celle-ci l’a empoisonné pour hériter de sa fortune. Une question se pose, dès lors: lorsque cette posture de mâle alpha devient finalement systématique, est-ce juste Belmondo qui change ou le cinéma de façon plus large? Est-ce la cinquantaine qui ne lui fait plus choisir que des rôles sévèrement burnés ou un contexte faisant que les producteurs ne lâchent alors plus l’oseille que pour ce genre de projet cliché à l’américaine, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle de Clint Eastwood et Alain Delon dans celui de Charles Bronson? Audiard, Verneuil, Giovanni: tous les grands réalisateurs/scénaristes populaires des années 1960 usinent à cette époque dans la série noire générique et outrancière et ça marche. Grave. Au point que, comme le rappelait il y a quelques jours sur Twitter un compte spécialisé, en 1983, Le Marginal cartonna en France bien davantage que Le Retour du Jedi!!!

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De checker la carrière de Belmondo m’a aussi rappelé une vieille discussion repérée il y a quelques années sur un forum américain, Reddit ou Cracked je pense. Quelqu’un y avait lancé un sujet sur ces périodes où des acteurs et des actrices ont aligné les très bons films les uns à la suite des autres, quasi d’une traite. Dustin Hoffman, par exemple, entre 1967 et 1979, a joué dans Le Lauréat, Midnight Cowboy, Little Big Man, Les Chiens de Paille, Papillon, Lenny, Les Hommes du Président, Marathon Man et Straight Time, première adaptation à l’écran d’un incroyable roman du taulard Edward Bunker. De 1969 à 1980, Jack Nicholson aligne quant à lui Easy Rider, Five Easy Pieces, The Last Detail, Chinatown, Profession: Reporter, Vol au-dessus d’un nid de coucou et The Shining. Robert De Niro a lui aussi sa période d’or, de Mean Streets (1973) à Once Upon a Time in America (1983). Al Pacino nous fait aussi un sans-fautes de Panique à Needle Park (1971) à Scarface (1983). Paul Newman, Robert Redford, Warren Beatty et Catherine Deneuve ont également leurs « golden years ». De même que Julie Christie, de Billy Liar (1962) à Don’t Look Now (1973) et Meryl Streep, qui dans les années 70/80, est dans chaque film à la fois véritable ouragan et gage de qualité première.

Or, comme pour Belmondo, on constate que là aussi, à partir d’un moment, ça part quelque peu en saucisse. Les rôles se font moins variés, plus clichés. Les hommes ont alors généralement entre 45 et 50 ans et les femmes de 35 à 40. Mais est-ce vraiment l’âge qui les rend cabots et cabotines? Le fric? La stature? Il est indéniable que Belmondo a enchaîné les beauferies un moment mais était-ce un penchant personnel qui l’attirait vers de telles couillonnades ou un contexte de cinéma industrialisé qui faisait que c’était ça contre un très gros chèque et l’assurance de se marrer entre vieux potes ou bien aller jouer chaque soir du Labiche sur les boulevards contre une côte à l’os, 200 grammes de frites et un zeste de subventions? Ajoutons qu’il n’est d’ailleurs pas particulièrement scandaleux que Gérard Lanvin se soit un moment retrouvé dans les rôles pour lesquels Belmondo aurait été signé 15 ans plus tôt. C’est la vie. Mais soit. On sait qu’à 50 piges, bien souvent, les acteurs ne se voyaient souvent plus proposer que des rôles de flics, de diables et de types en colère. Il a souvent aussi été dénoncé qu’une actrice de 40 ans doive éventuellement se résoudre à ne plus jouer que le rôle de la grande bourgeoise ménopausée ou de la mère de famille vouée à être sauvagement assassinée durant la première demi-heure de film jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge où elle pourrait interpréter une grand-mère mourante dans un enième drame à Oscars cousu de fil blanc. Ce n’était pas forcément comme ça avant les années 1980 et ça n’a fait qu’empirer depuis; encore qu’il existe désormais pléthore de séries télé où se coltiner des rôles mieux écrits et plus osés que ce tout-venant. Mais bref, ce que je suis en train de dire ici, c’est que Jean-Paul Belmondo, entre beaucoup d’autres choses, symbolise peut-être bien aussi le parfait chaînon entre un cinéma populaire de grande qualité comme on n’en fait plus et un cinéma populaire feignasse torché avec des moufles comme on en fait beaucoup trop depuis. Dans un monde moderne où le cinéma se consomme à moitié endormi, à moitié abruti, 100% intellectuellement désinvesti et se fabrique comme on broie des poussins dans le curry pour faire du poulet à tartiner, il n’est d’ailleurs guère étonnant que dans ses nécrologies, on parle surtout de Godard, des comédies familiales et des fliqueries écrites à la louche. Parce que le reste fait partie d’un monde mort, d’une culture engloutie. Le cinéma populaire d’avant 1975 est vu comme prétentieux et compliqué. De la branlette cinéphile. Le Doulos est mort, Disney court toujours. Voilà qui est encore plus triste. In Gloria Dei Patris, Léon Morin.

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