Le cinéma-zen, promenade en pleine conscience

Un moine méditant dans le village des Pruniers dans le film Walk with me © Walk with me

Le film Walk with Me, centré sur une communauté bouddhiste en France rurale, propose un langage cinématographique qui s’inspire de la spiritualité orientale.

Le film documentaire Walk with Me, réalisé par Max Pugh et Marc J. Francis, résulte de trois années de tournage dans une communauté bouddhiste fondée en 1982 au Sud-Ouest de la France par le maître zen bouddhiste Thich Nhat Hanh: le village des Pruniers. Là, les membres de la communauté pratiquent le zen. Ce mot signifie médiation; l’école zen vient d’Inde puis s’est étendue, sous différents vocables, au Tibet, au Vietnam, en Chine, en Corée, puis au Japon. C’est une pratique bouddhique qui permet de trouver la paix intérieure grâce à la pleine conscience (mindfulness). Ainsi, plusieurs fois par jour, la cloche de la pleine conscience retentit au village des Pruniers. C’est le signal: tout le monde s’immobilise et se centre sur sa respiration.

Un autre langage cinéma

Thich Nhat Hanh dans Walk with me
Thich Nhat Hanh dans Walk with me© Walk with me

La pleine conscience, la paix intérieure, l’éveil, la contemplation de la nature semblent autant d’éléments du zen difficiles à rendre dans un film. La difficulté se pose en tout cas si l’on se base sur les séquences d’action consacrées par le cinéma hollywoodien. Lors de la réalisation de Walk with Me, pour représenter la façon de vivre de ces moines et moniales, Max Pugh avait conscience de la nécessité d’un langage cinématographique particulier.

Il a donc voulu développer « un langage cinématographique capable de communiquer la pratique réelle d’une vie vécue différemment et en pleine conscience« . La caméra devait de la sorte rendre l’importance du moment présent, le tournage et le montage devaient créer une expérience immersive pour exprimer la poésie que les réalisateurs ont ressentie alors qu’ils ont expérimenté la vie dans la communauté. Les codes traditionnels du cinéma occidental ont été interrogés. « Traditionnellement, la plupart des films utilisent quelques personnages avec des arcs narratifs clairs, explique Marc J. Francis, mais pour réaliser ce film, nous avons dû abandonner ces conventions car Thich Nhat Hanh ne voulait pas être mis en avant ou idolâtré de quelque façon. » Les réalisateurs désiraient trouver une manière de filmer qui appelle la médiation, alternant des plans rapprochés (par exemple, sur les expressions du visage) et les plans larges de la nature. La bande son est également particulière: il s’agit d’amplifier les sons de la nature, d’utiliser la musique avec parcimonie pour dégager l’intensité voulue.

Le modèle oriental

Ce « nouveau » langage cinématographique puise son inspiration en Orient. Les thèmes de l’éveil et de la méditation sont abordés au cinéma dès 1925 avec Lumière d’Asie, un film muet germano-indien sur l’enfance et la vie du Bouddha.

Moine méditant au bord de la rivière dans Walk with me
Moine méditant au bord de la rivière dans Walk with me© Walk with me

Le zen inspire notamment le réalisateur King Hu, pour son dyptique de 1979 Raining in the Mountain et Legend of the Mountain (1979), qui se déroulent dans un monastère bouddhique, mais aussi, avant ça, pour A Touch of Zen (1971). Il s’agit du premier film d’arts martiaux récompensé par le Festival de Cannes, en 1975. Le visuel est très esthétique: combats chorégraphiés, paysages majestueux… Le long-métrage a pour cela puisé ses ressources dans la peinture chinoise classique et la philosophie bouddhique, la composition des plans a été soigneusement étudiée pour un rendu plastique frappant, et il a d’ailleurs fallu près de quatre ans pour aboutir au résultat final. La spiritualité orientale se retrouve aussi dans la longue réalisation (cinq ans) de Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l’Orient? (1989) de Bae Yong-Kyun, L’histoire se déroule en Corée du Sud: trois personnages sont réunis, un vieux maître zen, un jeune moine et un orphelin, qui ensemble vont s’interroger sur le sens de l’existence. Plus récemment, le documentaire Zen for Nothing (2016) réalisé par l’Allemand Werner Penzel montre la quête spirituelle de l’actrice suisse Sabine Timoteo. Elle rejoint un temple bouddhique au Japon, la communauté zen d’Antajo. C’est l’occasion de critiquer la société consumériste, en pointant du doigt son rythme effréné et les désirs qu’elle instille en chacun.

Esthétique zen

Outre le fond, le zen est l’occasion de questionner la forme cinématographique. Il fournit de nouvelles manières d’appréhender le tournage et le montage. C’est ainsi que Max Pugh et Marc J. Francis se sont imprégnés de l’ambiance de la communauté du village des Pruniers pour Walk with Me. Ils ont également eu recours à la voix d’un narrateur pour figurer les paroles de Thich Nhat Hanh, l’acteur Benedict Cumberbatch. Le contenu de cette narration est puisé dans les journaux du maître zen, Fragrant Palm Leaves, tenus entre 1962 et 1966. Toujours avec cette volonté d’une réalisation évoquant la sérénité et le cheminement intérieur.

Les plans fixes sur des paysages qui poussent à la contemplation, la sobriété, l’intensité dramatique qui en résulte, donnent accès à une certaine culture et une certaine philosophie. Le temple ou monastère bouddhique prend l’aspect d’un refuge pour se reconnecter à l’instant présent. Le principe de la pleine conscience propose justement ce retour à ses racines: s’interrompre et se centrer sur soi, sans jugement de valeur, stopper le pilote automatique de notre vie et prendre conscience de soi et de ce qui nous entoure. Le cinéma peut ainsi interroger ses standards pour illustrer les principes de cette spiritualité.

Walk with Me, sortie le 27/09. Lire notre critique du film.

Monica Baur

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