Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec le flou continuant à entourer la réouverture des salles de cinéma, diverses initiatives pour relancer les drive-in ont vu le jour. Zoom sur une pratique vintage dont le grand écran a su faire bon usage…

Conséquence inattendue du Covid-19 et du flou continuant à entourer la réouverture des salles de cinéma, le drive-in pourrait opérer un retour « en force » cet été. Si le phénomène ne semble pas encore avoir atteint la Belgique, plusieurs initiatives ont vu le jour en France, en Allemagne et, bien sûr, aux États-Unis, où ces vastes cinémas en plein air font pour ainsi dire partie du paysage. Rien de tel il est vrai, en termes de distanciation sociale, qu’un film regardé sur écran géant depuis le confort de sa bagnole, un modèle vintage si possible, histoire d’être raccord avec un concept né à Camden, dans le New Jersey, dans les années 30 avant d’exploser à l’échelle américaine dans les années 50, quand on les comptait par milliers. S’ils ne sont plus que 300 aujourd’hui sur le territoire états-unien, le drive-in movie theater n’en demeure pas moins un élément phare de la pop culture, abondamment célébré à ce titre par le 7e art. De Robert Stevenson, pour une mémorable scène de That Darn Cat! qui voyait un chat facétieux interférer avec les évolutions de surfers glissant sur des rouleaux, à Michael Mann, faisant du parking d’un drive-in le théâtre d’une fusillade dans Heat; de Quentin Tarantino, installant Brad Pitt à côté de l’un d’eux dans Once upon a Time in America, à John Lasseter, ponctuant le générique de Cars devant le drive-in theater de Radiator Springs (où est programmé Toy Car Story), d’innombrables cinéastes, Américains pour la plupart, y ont fait écho. Retour en dix scènes emblématiques sur une pratique rétro dont le culte a traversé les époques…

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

American Graffiti

De George Lucas, 1973.

Avec American Graffiti, George Lucas, le futur réalisateur de Star Wars, signait un classique du teen-movie, revisitant non sans nostalgie l’Amérique du début des sixties, celle du rock’n’roll (avec Wolfman Jack pour DJ), du « cruising » en bagnole à la nuit tombée, et des drive-in. Lequel, en l’occurrence, n’est pas un « movie theater » mais bien un diner, le « Mel’s Drive-in », rendez-vous privilégié de tout ce que Modesto, Californie, compte comme adolescents. Et notamment ceux que le film suit pendant une nuit mouvementée de l’été 1962 avant de les laisser, au petit matin, à l’orée de l’âge adulte. Soit quelque chose comme un concentré de mythologie juvénile, relevé d’une chronique à haute teneur mélancolique de la fin de l’innocence, celle des protagonistes (parmi lesquels on reconnaissait Harrison Ford, Ron Howard et Richard Dreyfuss) appelant celle de l’Amérique que l’assassinat de JFK un an plus tard et la guerre du Viêtnam ramèneront durement à une réalité moins frivole.

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Grease

De Randal Kleiser, 1978

Concentré de teen-culture, Grease retrace les amours (d’abord contrariées) de deux adolescents que tout sépare a priori: Sandy (Olivia Newton-John), jeune fille de bonne famille débarquée de son Australie natale au lycée de Rydell, Californie, et Danny (John Travolta), blouson noir y traînant avec une bande de bras cassés, les T-Birds. La suite suit un schéma éprouvé, passant en revue différents clichés de la mythologie ado américaine, bandes rivales, bal de promotion, concours de danse, courses de voiture, et bien sûr drive-in où, croyant enfin arriver à ses fins, Danny se voit rembarrer par Sandy d’un sévère:  » Laisse-moi sortir de cette auto du péché… » Qu’à cela ne tienne, quelques chorégraphies enlevées réconcilieront les tourtereaux, Olivia Newton-John se fendant au passage d’un changement de look spectaculaire, tandis que le film, parfaitement huilé, accédera pour sa part au statut de cultissime. Quarante ans plus tard, il se revoit avec un plaisir pas même coupable…

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Polyester

De John Waters, 1981.

Réalisé à l’orée des années 80 par John Waters, le pape du mauvais goût, Polyester est passé à la postérité pour son recours au procédé « Odorama », le spectateur disposant d’une carte à gratter lorsqu’un numéro apparaissait à l’écran, avec force surprises olfactives à la clé. Satire délirante de la famille américaine, le film accompagne la descente aux enfers d’une femme au foyer (Divine) tentant d’oublier dans l’alcool ses déboires quotidiens -un mari pornographe et adultère, un fils dégénéré carburant à la colle et une fille nymphomane et enceinte. Moment où un play-boy sur le retour entre dans son existence, et avec lui la promesse de jours meilleurs; un individu aux motivations incertaines cependant, le genre à programmer dans son drive-in une nuit… Marguerite Duras, alignant Le Camion, India Song et Détruire dit-elle. Waters reviendra au drive-in 20 ans plus tard, situant dans l’un d’eux l’apothéose de Cecil B. Demented, comédie déjantée en forme de doigt d’honneur à Hollywood.

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Christine

De John Carpenter, 1983.

Adapté par John Carpenter d’un roman de Stephen King, Christine est le récit d’une passion dévorante, celle d’Arnie, un adolescent californien renfermé, pour une Plymouth Fury dont la carrosserie rutilante était sortie des chaînes de Detroit 20 ans plus tôt, en 1957. Laquelle le lui rend bien, ne concevant de relation qu’exclusive, et s’employant, avec ses pouvoirs surnaturels, à éloigner quiconque voudrait s’interposer entre eux, Leigh, sa girlfriend, la première. Ainsi lors d’une scène de drive-in restée fameuse, la voiture vorace se refermant sur l’infortunée jeune femme qui ne devra qu’à l’intervention décidée d’un témoin d’échapper à l’étouffement – « This car is a girl », ne pourra-t-elle que constater à l’endroit de sa « rivale ». Voire… La matrice, en tout état de cause, d’un film fantastique de haut vol, travaillant aussi bien cette relation obsessionnelle que la mythologie et les tourments adolescents, croqués par Carpenter d’un regard acéré. Culte, jusqu’à sa bande-son…

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Twister

De Jan De Bont, 1996.

Fort du succès tonitruant de Speed, le film qui fit de Sandra Bullock une star, le Néerlandais Jan De Bont se lance, en 1996, dans Twister, un film catastrophe mastoc où il emboîte le pas à une équipe de chasseurs de tornades officiant au coeur de l’Oklahoma. On passera sur une intrigue sentimentale prétexte réconciliant Helen Hunt à Bill Paxton, un couple en instance de divorce, au gré de rebondissements ultra-prévisibles, pour ne s’en tenir qu’à l’essentiel, à savoir un déluge de vents mauvais et d’effets spéciaux envoyant voltiger dans les airs vaches, matériel agricole et jusqu’aux camions-citernes. Une entreprise de destruction menée sur un tempo soutenu, l’un des climax du film se situant dans un drive-in projetant The Shining, l’écran où Jack Torrance joue de la hache étant pulvérisé par les éléments dans un grand moment de panique générale. Un pop corn movie soufflant, où l’on croise encore, entre deux rafales, un Philip Seymour Hoffman passablement allumé…

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Under the Silver Lake

De David Robert Mitchell, 2018.

Film noir labyrinthique, Under the Silver Lake se déploie dans les profondeurs de Los Angeles sur les pas d’un « privé » incertain, Sam, la trentaine peuplée de rêves de célébrité aux contours de plus en plus flous. Et passant le plus clair de son temps à mater ses voisines du quartier de Silver Lake -le James Stewart de Rear Window est passé par là-, jusqu’au jour où l’une d’elles se volatilise, le précipitant dans une quête aussi obsessionnelle qu’embrumée. Si Andrew Garfield est épatant dans le rôle principal, David Robert Mitchell mène de main de maître ce film virtuose multipliant les références -on pense encore au Privé, de Altman, ou à Mulholland Drive, de Lynch. Non sans trouver son horizon propre, rébus fascinant saturé d’éclats de pop culture (parmi lesquels une envoûtante séance de cinéma en plein air, comme une variante avantageuse et plus commode du drive-in), et film multiple fantasmant la ville tout en s’érigeant en portrait générationnel doublé d’une errance sur le front des déflagrations amoureuses.

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Lolita

De Stanley Kubrick, 1961.

Au sortir de Spartacus, Stanley Kubrick décide d’adapter Lolita, le sulfureux roman de Vladimir Nabokov. Soit l’histoire de Humbert Humbert (James Mason), professeur de littérature française décidant de passer l’été à Ramsdale, une petite ville du New Hampshire, où il loue une chambre chez une veuve excentrique, Charlotte Haze (Shelley Winters). Mais si cette dernière lui fait une cour assidue, son séduisant pensionnaire n’a d’yeux que pour sa fille de 14 ans, la sensuelle et provocatrice Dolorès (Sue Lyon, époustouflante dans son premier rôle au cinéma), surnommée Lolita… Une situation cristallisée d’emblée dans une magistrale scène de drive-in, lorsque paniquées l’une et l’autre à la vision de The Curse of Frankenstein, de Terence Fisher, mère et fille s’empressent l’une comme l’autre d’empoigner une main de Humbert, ce dernier ne retournant que le geste de l’adolescente. Un cas d’école, pour un film oscillant ensuite avec brio entre la farce et la tragédie, magistralement incarné par James Mason…

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The Outsiders

De Francis Ford Coppola, 1983.

Producteur d’ American Graffiti, Francis Ford Coppola cède à son tour à la veine du teen-movie au milieu des années 80, enchaînant deux perles du genre, The Outsiders et Rumble Fish. Le premier a pour cadre Tulsa, Oklahoma, où deux bandes adolescentes rivales, les Greasers et les Socs, rejouent inlassablement la lutte des classes, le drame se nouant bientôt dans un drive-in projetant Beach Blanket Bingo. Le schéma de départ est classique, Coppola s’écarte des stéréotypes à la faveur d’une fugue campagnarde de toute beauté, pour signer, sous les auspices du poète Robert Frost, un film bercé tout autant de douloureuse mélancolie que d’un souffle lyrique puissant. Le tout, porté par un casting étincelant saluant l’avènement d’une génération d’acteurs qui marqueront le cinéma américain des années suivantes, les Tom Cruise, Patrick Swayze, Diane Lane et autre Matt Dillon. Ce dernier apparaissant également dans le quintessentiel Rumble Fish aux côtés de Mickey « Motorcycle Boy » Rourke.

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Pee-Wee’s Big Adventure

De Tim Burton, 1985.

Premier long métrage de Tim Burton, Pee-Wee’s Big Adventure suit les (més)aventures de Pee Wee Herman, un grand enfant excentrique et farfelu lancé à travers les États-Unis à la recherche de son vélo adoré dérobé par un voisin mal intentionné. L’association entre Paul Reubens, reprenant le personnage qu’il avait créé pour la télévision, et le réalisateur fait des étincelles, succession d’épisodes burlesques qui conduiront l’infortuné PW d’un musée préhistorique à Alamo avant un détour par un bar de Hell’s Angels et un autre par les studios Warner. Soit un road-movie loufoque se terminant, comme de juste, dans un… drive-in, à la faveur de la première mondiale de ses aventures, revisitées en mode hollywoodien. Le Studio drive-in de Culver City où fut tournée la séquence a été détruit en 1993; Pee-Wee a, pour sa part, poursuivi sa carrière cinématographique, apparaissant notamment dans Big Top Pee-Wee, une suite signée par Randal Kleiser, le réalisateur de Grease.

Le cinéma drive-in en dix scènes emblématiques

Eternal Sunshine of the Spotless Mind

De Michel Gondry, 2004.

L’imaginaire débridé de Charlie Kaufman et Michel Gondry engendre une balade intensément mélancolique sur le fil incertain de l’existence. Soit l’histoire de Joel (Jim Carrey), un homme qui, découvrant que sa petite amie Clementine (Kate Winslet) a fait appel à l’inventeur du procédé Lacuna afin d’effacer leur relation tumultueuse de sa mémoire, décide d’en faire autant, pour bientôt réaliser ne pouvoir vivre sans leur amour. Le réalisateur de Be Kind, Rewind! cisèle ce scénario romantissime en un pur joyau de cinéma, les souvenirs se chevauchant pour s’envoler inexorablement, à moins que -ainsi d’une scène de drive-in filmée en suspension, et s’estompant à mesure qu’ils tentent de s’y raccrocher. Ingénieux et émouvant, sans conteste l’un des films les plus inspirés de ces 20 dernières années. Meet Me in Montauk…

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