La vie après: quelles perspectives pour le cinéma?

© BELGAIMAGE
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Salles de cinéma, tournages, festivals, rien ne va plus et le monde du 7e art affiche une bien triste bobine…

Le déconfinement n’est pas pour demain dans le monde du cinéma. Cinéastes, producteurs, distributeurs et exploitants vivent avec angoisse et difficultés la mise à l’arrêt total de leur secteur d’activité. Certains pays moins touchés que le nôtre par le Covid-19 permettent ou vont bientôt permettre la réouverture des salles (Norvège, République tchèque, Espagne, Portugal, Kosovo, Pologne, Suisse, Slovaquie, Irlande et Chypre), au prix bien sûr de mesures restrictives en termes de nombre de spectateurs et de précautions sanitaires. D’autres, comme la France, veulent imaginer la reprise des tournages sous conditions sévères. Mais chez nous, un grand flou continue de régner. Qui ne manque pas d’alimenter les inquiétudes des professionnels.

Silence, on ferme

Deux mois déjà que les salles de cinéma, grands complexes commerciaux comme écrins art et essai, ont dû fermer leurs portes. On pourrait penser que les exploitants ont hâte de rouvrir. Mais ce n’est pas si simple. « La prudence est de mise pour tout le monde, constate Jérôme Branders, de l’Aventure à Bruxelles. Certes une fréquentation de 50% (les mesures envisagées condamnent une rangée sur deux, NDLR) nous permettrait de fonctionner, explique l’exploitant, mais les problèmes de viabilité, de faisabilité, ne sont pas seuls à se poser. Il faut aussi savoir ce que nous pourrons mettre à l’affiche. L’offre de films risque d’être fort réduite, les Américains vont vouloir des sorties mondiales (presque rien de prévu avant 2021, NDLR ), et nous ne pouvons pas sortir de films français avant leur sortie là-bas. Il n’y aura pas de films du Festival de Cannes comme d’habitude en cette période… » Branders n’est pas le seul à parler d’une réouverture souhaitée à la mi-juillet au plus tôt (la date du 8 juin envisagée par le fédéral étant « un effet d’annonce »), en septembre plus raisonnablement. Car être ouvert sans film porteur et avec peu de public est souvent plus coûteux que de rester fermé…

Fabrice Du Welz était à trois semaines du tournage d’Inexorable quand tout s’est arrêté suite au confinement. Une des quelque 190 productions belges (dont neuf longs métrages) reportées à une date inconnue. « Nous vivons des temps empoisonnés« , clame le réalisateur de Calvaire et d’Adoration, qui a « perdu des camarades » fauchés par le coronavirus. Du Welz anticipe une période difficile par-delà la reprise des tournages quand elle sera permise. « Je suis inquiet de voir se multiplier des contrôles renforcés sur tout, aussi de ce climat de peur qu’amplifient les médias et qui pourrait empêcher les gens de revenir voir les films en salle. Et la question des assurances reste capitale pour pouvoir recommencer à filmer. »

Manque d’assurances, manque de soutien

Une des questions-clés, en plus des aspects sanitaires, est bien cette suspension aux autorisations que les assureurs ne sont pas près d’accorder, on s’en doute, au redémarrage des tournages, par rapport au risque qu’une actrice ou un technicien soit atteint par le Covid-19. Jean-Yves Roubin, coprésident de l’Union des Producteurs de Films francophones, fait de ce point un aspect crucial des négociations, espérant qu’une solution puisse venir d’une intervention des pouvoirs publics, sous la forme d’une garantie ou (comme la France en prend le chemin) d’un fonds d’intervention temporaire, d’incitants à voir les assurances revenir dans le jeu.

L’autre question fondamentale est chez nous celle du tax shelter, ce système de réduction d’impôts pour les entreprises investissant dans la production. « Des négociations ont eu lieu avec les experts de la task force, explique Roubin, débouchant sur deux recommandations positives: l’élargissement à 12 mois du délai de dépenses pouvant être faites en amont du tournage, et surtout l’augmentation à 2 millions d’euros du plafond d’exonération (aujourd’hui fixé à 1 million, NDLR). Mais rien n’a suivi, tout est bloqué au niveau ministériel alors que ces mesures ne demandent aucune intervention financière des pouvoirs publics… » Jeanne Brunfaut, directrice du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, se demande elle aussi d’où vient le blocage. Avec ses partenaires, dont le Vlaams Audiovisueel Fonds (« Nous travaillons constamment ensemble, Flamands et francophones« ), Brunfaut tâche d’obtenir des réponses, de « négocier aussi l’indispensable protocole pour la reprise des tournages« . Elle envisage aussi et déjà « le lancement d’une campagne de promotion pour faire revenir le public dans les salles quand ces dernières pourront se relancer. »

Rester actif

Dans l’attente de dates pour une reprise des tournages et la réouverture des salles, certains se refusent à rester inactifs. Les initiatives se multiplient pour aller vers le spectateur confiné, de la part des cinémathèques (la Cinémathèque française offre par exemple sur son site de vieux films rares restaurés, celui de la Cinematek belge propose des films muets accompagnés en direct au piano chaque jeudi à 15 heures en live Facebook) mais aussi de quelques distributeurs. Cinéart est le plus actif, organisant des « sorties » de films neufs et inédits en VOD Premium sur différentes plateformes. Stephan de Potter, à la tête de la société, veut ainsi « rester actif, présent, par considération sociale -les employés sont toujours au travail- et aussi pour expérimenter des choses potentiellement utiles pour l’avenir« .

Du côté des festivals, cela bouge aussi. Cannes empêché de se dérouler en ce mois de mai promet « un rendez-vous sous une autre forme« . Le plus modeste Festival de Thessalonique a pour sa part commandé à plusieurs cinéastes connus (dont Jia Zhangke) des courts métrages tournés en confinement, abordant ce thème. Et mis à disposition sur YouTube. À suivre…

En quête de proximité

Les choses ne seront plus jamais les mêmes. Mais le cinéma supposera toujours contact et intimité…

Pinocchio de Matteo Garrone
Pinocchio de Matteo Garrone© ARCHIMÈDE FILM

« Faire du cinéma, c’est une partouze! Au sens figuré bien sûr. Pas possible de faire un film sans se toucher, sans se parler de près« , rappelle avec justesse Fabrice Du Welz, pour qui « la seule solution pour reprendre les tournages serait de se confiner tous ensemble, réalisateur, interprètes, techniciens, en équipe« . De quoi faire passer en priorité les tournages avec lieu unique et peu de comédiens? Une piste, sans aucun doute. Plus engageante que de voir les personnages tous porter un masque et respecter la distance de sécurité d’1 mètre 50! Les productions qui en ont les moyens feront encore plus appel aux images de synthèse pour offrir les foules et armées en rangs serrés devenues aujourd’hui humainement improbables tant que virus circule.

La manière de faire du cinéma se voit bousculée, mais la situation sanitaire pourrait aussi inspirer des écritures nouvelles, des thèmes adaptés. Le producteur Jean-Yves Roubin voit la chose comme une évidence: « Je suis curieux de voir, aux prochains marchés en marge des festivals, les projets incluant des histoires où se reflètent des sujets comme la distance sociale, par exemple. Il y aura vraiment un avant et un après! » À Hollywood aussi, où la crise pourrait, selon nombre d’observateurs, sonner l’heure du crépuscule pour les (très) grosses productions incroyablement lourdes à faire bouger et surtout terriblement chères à faire assurer…

Le digital contre la salle?

Les modes de découverte des films à venir seront eux aussi influencés par des bouleversements que l’impact du Covid-19 aura accélérés. On signale çà et là un regain de la formule drive-in. Autre aspect plus important sur la durée: Stephan de Potter, distributeur, évoque la toute récente vente des droits du très attendu Pinocchio de Matteo Garrone à Amazon Prime, où le film sortira en exclusivité sans connaître de vraie sortie en salle. « Pour les vendeurs, pour les producteurs, c’est le pactole avec les plateformes dont les bénéfices ont encore augmenté avec le confinement« , souligne de Potter, tout en épinglant aussi le « carton » réalisé par le grand studio américain Universal en sortant son blockbuster d’animation Trolls World Tour simultanément en salles et en VOD. Un pari gagnant qui pourrait inciter d’autres studios à suivre son exemple. « D’autant que Disney lance sa propre plateforme en septembre, ajoute le distributeur. Le risque d’un basculement est bien présent. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content