L’éthique, le féminisme et la pornographie: une relation utopique?

© REUTERS/Fabrizio Bensch
Antoinette Reyners Stagiaire

Le retour du documentaire Hot Girls Wanted, désormais au format série, offre un regard sur la pornographie éthique et féministe. Apparu dans les années 80, ce mouvement féministe est aujourd’hui en plein éveil.

Après un premier documentaire en 2015 sur ces jeunes filles qui entrent dans l’industrie du porno, Hot Girls Wanted revient en une série de six épisodes, disponible depuis le 21 avril dernier sur Netflix. Les réalisateurs Jill Bauer, Ronna Gradus et Rashida Jones nous proposent une plongée passionnante, glaçante et émouvante dans l’univers du porno amateur à l’heure d’Internet. À travers cette exploration, une question se pose: le féminisme et la pornographie sont-ils compatibles?

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Sur les traces d’Ovidie et d’Erika Lust, la réalisatrice X Anoushka, 34 ans, répond sans hésitation: oui. Cette jeune réalisatrice a lancé depuis janvier notasexpert.com, un site porno « éthique et esthétique » qui vise aussi bien les hommes que les femmes.

Originaire de Metz, cette jeune femme ne souhaite pas révéler sa véritable identité. C’est donc derrière son pseudonyme « Anoushka » qu’elle nous explique par téléphone sa vision du porno et son site Notasexpert. Cette plateforme de vidéos pornographiques se veut une alternative aux sites tels Youporn ou Pornhub: Anoushka propose ainsi un condensé de sexe éthique et esthétique où les femmes partagent et échangent leur désir avec leur partenaire sur un même pied d’égalité. Après ses études d’art et cinéma, la jeune femme intègre la boite de production French Lover TV sur Canalsat. C’est lors de sa rencontre avec Ovidie, actrice et réalisatrice X dans la boite, qu’elle découvre l’univers porno « féministe, éthique et respectueux » à 31 ans. Après cette expérience, Anoushka se lance dans la réalisation et décide de « faire ses propres films en partageant les mêmes valeurs« .

Anoushka
Anoushka© via twitter.com/anoushka_nsp

Cette fan de John Cassavetes et Xavier Dolan ne trouvait pas son compte dans le porno mainstream. « J’avais le sentiment que les filles n’appréciaient pas le sexe, que l’homme prenait une dimension machiste et que la femme hurlait son faux plaisir« , partage-t-elle sur son site. Aux antipodes des productions « hard », cette entrepreneure d’un nouveau genre souhaite « proposer quelque chose de différent et d’authentique pour casser les codes du porno mainstream et en finir avec les séquences mécaniques orientées sur la performance« .

Comment la pornographie peut-elle devenir éthique?

Pour Anoushka, l’éthique se construit sur base du respect avec les acteurs. « J’évite de séquencer l’acte sexuel comme dans le porno mainstream, ou de leur imposer des positions durant le tournage. J’essaie de faire en sorte que les couples se parlent. Dans le porno mainstream, il n’y a même plus de script, plus de création d’ambiance« , déplore-t-elle. À travers ces courts métrages, Anoushka donne une place importante au jeu d’acteur, à la comédie. « Les filles sont super contentes. Elles n’ont généralement pas l’occasion de jouer leur rôle d’actrice« , explique-t-elle. « Ici, le sexe est libre avec le coeur et la sensibilité« , ajoute-t-elle souriante. De plus, la jeune réalisatrice française essaie d’établir un lien de confiance avec ses acteurs: « Après le tournage, on va généralement manger tous ensemble dans une bonne ambiance. Ce n’est pas seulement le travail. Une réelle relation se construit. Les actrices deviennent des copines avec lesquelles je reste en contact« , se réjouit-elle.

Le réalisme est l’autre clef vers lequel tendent ses scénarios: « Fini le plombier qui vient réparer la machine à laver et se fait payer en nature, ici vous allez trouver du porno réaliste parfois drôle comme peut l’être notre vie à tous et surtout avec mon point de vue« , précise-t-elle dans la présentation de son site. Elle souhaite proposer un vrai regard sur le plaisir.

J’ai envie d’un porno qui ressemble au vrai sexe, où tout n’est pas stéréotypé et joué d’avance

Anoushka

La célébration du plaisir féminin

Les histoires qu’elle raconte se veulent dénuées de clichés patriarcaux dans lesquelles la femme est l’objet de l’homme, soumise et dépendante du plaisir de son partenaire dont la performance se veut infaillible. « C’est un porno qui ne prend pas les hommes pour des gros beaufs et les femmes pour des bouts de viande« , souligne-t-elle.

Les actrices avec lesquelles Anoushka travaille exercent habituellement une autre profession à côté de leur métier X. « Elles sont actrices porno mais ce n’est pas seulement pour le buisiness ou pour l’argent, c’est surtout pour le plaisir« , insiste Anoushka.

« Le sexe peut être absolument magnifique et passionné, pourquoi le réduire à un acte purement mécanique?« , se questionne une autre réalisatrice française de 29 ans, Lucie Blush, rencontrée par le magazine Elle Belgique. Dans ses films pornographiques qui suivent la même tendance qu’Anoushka, « les personnages féminins sont actifs, prennent le contrôle de leur sexualité, n’ont pas honte de prendre du plaisir ou d’exprimer ce qu’ils désirent« , explique Lucie Blush. Cette jeune femme a d’ailleurs commencé sa carrière chez l’une des pionnières du genre, Erika Lust.

Erika Lust
Erika Lust© PG

Suédoise et diplômée en sciences politiques, Erika Lust est l’une des premières à avoir voulu révolutionner l’industrie du sexe en proposant il y a déjà plus de dix ans une pornographie féministe. Elle vit aujourd’hui à Barcelone et continue de renouveler le genre. « Le sexe, ce n’est pas quelque chose qu’un homme inflige à une femme, c’est un acte que l’on réalise à deux« , relève la réalisatrice de 40 ans. Elle a « la ferme conviction que le sexe est une partie saine et naturelle de la vie et qu’il faut créer du contenu érotique qui reflète cela.« 

« La pornographie féministe a le mérite d’exister mais je ne dirais quand même pas qu’elle est révolutionnaire« , nuance Catherine Wallemacq, coordinatrice de Sophia, le réseau belge des études de genre dans le magazine Elle. Selon elle, ce genre pornographique ne doit pas se substituer aux cours d’éducation sexuelle. Le travail pour comprendre la construction de la masculinité et de la féminité (et la hiérarchie implicite entre les deux), les représentations du genre et de la sexualité et les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, est un travail de longue haleine qui concerne tous les pans de la société.

Amarna Miller: actrice X, féministe et libre

Sous pseudonyme, Amarna Miller est une actrice et réalisatrice X de 26 ans. Originaire de Madrid, elle travaille aujourd’hui aux États-Unis et revendique librement sa profession. Diplômée des Beaux-Arts et engagée auprès du parti de gauche radicale Podemos, Amarna utilise la pornographie comme arme pour défendre son féminisme.

« Pendant des siècles, la sexualité des femmes a été bafouée et censurée. Le porno n’existe pas uniquement pour les hommes, malgré ce que l’on croit, il s’adresse aussi aux femmes qui sont des êtres sexuels qui ont le droit de désirer« , défend-elle lors d’un entretien avec TV5 Monde.

En janvier dernier, Ovidie, réalisatrice de films X, dévoile une enquête dénonçant les dérives du porno 2.0 consommé sur les sites de streaming. « On a atteint un stade de violence inouïe dans le porno« , soulève-t-elle. « C’est devenu plus brutal. Les gens sont devenus fous, bien plus fous qu’avant« , confie une actrice dans la bande-annonce du documentaire. Entre productions hardcore et sexistes de plus en plus violentes, l’image de la femme se voit incontestablement dégrader. La vision de l’actrice X Amarna Miller est claire: il ne s’agit pas de condamner la pornographie, mais de la réinventer.

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De plus, la pornographie est généralement considérée comme un produit de consommation purement masculin. « C’est faux!« , intervient la jeune espagnole lors de l’interview, « Les femmes aussi regardent du porno mais elles ne l’avouent pas par peur des regards accusateurs« . Le secteur du sexe en ligne compte en moyenne 28.258 visiteurs de sites pornographiques par seconde dans le monde. Parmi ces internautes, une personne sur trois serait une femme. Pour Amarna Miller, l’industrie du plaisir, et non du X, lui permet de vivre, en tant que femme, sa sexualité et ses fantasmes comme elle le désire. C’est donc à ses yeux un acte totalement féministe inscrit dans une liberté de droit et de soi: « Pour moi, c’est justement ça la pornographie: faire ce que je veux de mon corps. »

Le mouvement est en marche

« Il y a deux visions féministes qui se posent sur la pornographie: les intégristes radicalistes qui s’y opposent et les pro-sexes, celles auxquelles je m’identifie« , explique Anoushka. Pour elle, la femme doit se libérer à travers son corps. Elle le perçoit dans son milieu, la pornographie féministe est en plein essor.

Selon Sevara Irgacheva, conseillère en Production et Création au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA belge), le mouvement s’intensifie depuis les années 2000 avec le développement d’Internet et les moyens de diffusion et de production qui se démocratisent et se simplifient. Le phénomène reste cependant assez discret: « le marché est plus confidentiel et les entreprises qui défendent ce porno sont petites afin de justement conserver une éthique de travail« , constate-t-elle. Mais à ses yeux, la pornographie féministe n’est pas foncièrement un mouvement révolutionnaire.

Selon elle, le problème de la pornographie est le même que la société en général. Ce sont les représentations véhiculées. « La pornographie mainstream est un miroir de la société sexiste et des représentations en place« , soulève-t-elle. « La pornographie féministe permet effectivement de déconstruire les clichés et de se réapproprier sa sexualité mais ne remet pas forcément en question les normes de beauté, par exemple. Avoir un corps beau, mince et épilé reste le critère par définition« , constate Serana V. De plus, la chercheuse considère que ce porno peut devenir une niche en plus dans l’univers du mainstream. « Ce mouvement ne va pas changer d’un coup le monde, mais on peut considérer que c’est un début pour faire évoluer les mentalités« , nuance-t-elle.

« On devrait tous être féministe, ce n’est ni un gros mot, ni une honte« , souhaite conclure Anoushka au bout du fil.

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