Laurent Raphaël

L’édito: Changer à tout prix

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Plus de doute, le virus du changement démange nos sociétés. On peut l’observer tous les jours, à l’échelle microscopique des moeurs (sur la question du genre notamment), comme sur le terrain plus global de l’économie, dans le sillage d’une mondialisation friande de ruptures brutales et d’innovations disruptives.

« Le changement, c’est maintenant« , clamait en 2012 un François Hollande soudain conquérant. Un slogan aux accents mitterrandiens qui a permis à celui qu’on surnommait encore Flanby quelques mois plus tôt de remporter cette année-là l’élection présidentielle. Si la suite a viré au pudding, Hollande ne faisant finalement qu’un petit tour à l’Élysée, chassé par un ambitieux se revendiquant lui aussi du changement, sa prophétie n’a, quant à elle, pas pris une ride. Et quelque part, le discrédit accéléré dont il fut la victime -ou l’acteur, c’est selon-, et auquel n’échappe pas son successeur, parti de plus haut mais qui pourrait bien tomber plus bas, démontre par l’exemple qu’on n’échappe plus à l’obsolescence, programmée ou non.

Plus de doute, le virus du changement démange nos sociétés. On peut l’observer tous les jours, à l’échelle microscopique des moeurs (sur la question du genre notamment), comme sur le terrain plus global de l’économie, dans le sillage d’une mondialisation friande de ruptures brutales et d’innovations disruptives pour utiliser un terme en vogue. « Le coeur de la société moderne, c’est désormais la vie discontinue, explique le sociologue Jean Viard dans l’hebdomadaire Le 1. À la différence de la société d’après-guerre qui reposait sur la recherche de stabilité. Le but des gens était de se marier, d’être fonctionnaires, d’avoir un emploi sûr, de devenir propriétaires ou d’obtenir un HLM (…). Peu à peu est apparue une société de l’individu, où chacun va avoir successivement plusieurs emplois, plusieurs maisons, plusieurs conjoints. »

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Le côté pile de cet emballement, et qui va de pair avec un allongement de l’espérance de vie, c’est que l’on peut se réinventer en permanence, les cartes sociales ne sont pas distribuées une bonne fois pour toutes à la naissance comme par le passé. Même si, ne soyons pas naïfs, il est toujours plus simple pour les classes moyennes supérieures et aisées de profiter de l’éventail des possibles que pour les milieux ouvriers qui sont le plus souvent assignés à résidence par la honte, l’ignorance et la misère. Une injustice que dénonce avec virulence une nouvelle intelligentsia de la gauche radicale incarnée par Édouard Louis ou Geoffroy de Lagasnerie.

Côté face, on trouve l’instabilité émotionnelle chronique, la précarisation du monde du travail, et plus généralement la dictature de l’inconstance, érigée en valeur cardinale de la coolitude. Selon le bout par lequel on prend ces ruptures, on parlera de liberté de choix ou de traumatisme. C’est vrai pour nos modes de vie -demandez aux enfants de parents divorcés ce qu’ils en pensent…-, ce l’est encore plus pour la société de consommation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on doit le terme « disruption » à un fils de pub, Jean-Marie Dru, lequel a dès 1992 théorisé ce concept d’innovation de rupture. Les Apple, Red Bull, Ryanair ou Uber sont nés dans ce moule. On se rend compte aujourd’hui que derrière la vitrine attrayante pour le consommateur, les cuisines laissent largement à désirer. Le low-cost par exemple nous a certes ouvert les portes du monde, mais il a aussi détricoté les filets sociaux, généralisé un modèle en surpression permanente. Véritable Janus, le changement est à la fois la meilleure et la pire des choses.

Le monde culturel n’échappe évidemment pas à ces bouleversements. Il aurait même une place de choix au premier rang. Après Spotify qui a dynamité l’industrie de la musique, c’est l’arrivée de Netflix dans la cour des grands -un statut définitivement scellé par la présence de deux de ses films sur le podium de la Mostra de Venise (lire notre bilan)- qui fait trembler les murs. Il y aura des gagnants: la plateforme numérique qui s’offre une crédibilité cinq étoiles, le festival de la lagune qu’on disait moribond, les vendeurs de télés grand écran probablement aussi. Et il y aura des perdants: ceux qui résistent à l’inéluctable, comme le festival de Cannes, et surtout les salles, et avec elles une certaine conception du cinéma. Les multiplexes pourront encore s’en sortir en vendant du pop-corn et des blockbusters américains, mais les salles d’art et d’essai seront dépendantes du bon vouloir de producteurs/distributeurs/diffuseurs ultra puissants et tournés en priorité vers le petit écran. À moins, car un changement en cache toujours une autre, que Netflix et Amazon se lancent à leur tour dans l’exploitation de salles…

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