L’éclectique Lubna Azabal
L’actrice belge joue une star de soap capricieuse dans Tel Aviv on Fire, rare incursion dans le champ de la comédie, politique pour le coup. Rencontre.
Troisième long métrage de Sameh Zoabi, Tel Aviv on Fire réussit, l’air de rien, une gageure: évoquer le conflit israélo-palestinien sans verser dans le pensum ni le pamphlet. À quoi le réalisateur préfère l’humour, généreusement dispensé à la faveur d’une mise en abyme en cristallisant les enjeux dans le soap au kitsch assumé qui donne son titre au film. Soit, produite par une télévision palestinienne à l’horizon de 1967, et donc de la guerre des Six Jours, l’histoire rocambolesque d’une Mata Hari arabe chargée de séduire un général israélien à des fins d’espionnage; du moins jusqu’à ce qu’un officier de Tsahal ne vienne mettre, incognito, son grain de sel dans le scénario, en modifiant les attendus. Sans, du reste, que le succès du feuilleton ne s’en trouve altéré, toutes communautés confondues…
Dans le rôle de l’agente secrète, Lubna Azabal excelle, diva capricieuse en faisant des caisses, sur et en dehors du plateau. Un régal de composition, évoqué à la faveur de la Mostra de Venise, où le film était présenté en section Orizzonti. « J’ai beaucoup apprécié le fait que Sameh ait voulu aborder la problématique israélo-palestinienne par le biais de l’humour, et d’une fiction rejoignant une sorte de réalité sur place. La façon dont il a écrit le scénario m’a semblé élégante et fraîche, ce qui est contradictoire par rapport à ce qui se passe là-bas. On peut dire beaucoup de choses par le biais de l’humour quand c’est intelligent, cela m’a séduite, sans compter que je n’avais pratiquement jamais tourné de comédie. » Une expérience à l’évidence concluante, l’actrice ayant conservé un souvenir résolument enjoué du tournage: « Ce qui était difficile, concrètement, c’était d’apprendre l’arabe à niveau, un défi conséquent. Et puis, les soap opéras, j’ai une sainte horreur de ça, c’est du cinéma Ikea pour moi, quand je tombe sur l’un d’eux, je zappe. Je n’ai donc pas voulu en regarder pour préparer le film, sans quoi j’allais interpréter une caricature de caricature. Mais je connais le principe du soap, où les acteurs se regardent jouer, je suis partie sur cette base-là et je me suis bien amusée. J’ai tellement l’habitude d’être dans des tragédies, dans le drame. Pouvoir enlever tout ce poids et aller vraiment dans la légèreté m’a fait un bien dingue. »
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Sous couvert d’en (sou)rire, Tel Aviv on Fire n’en multiplie pas moins les traits aiguisés sur la situation au Proche-Orient. « On peut faire passer tous les messages que l’on souhaite tant que cela ne blesse pas, et qu’on ne verse pas dans un humour risquant de faire mal, souligne la comédienne. Le film a le mérite de dire certaines choses de manière claire, avec des images fortes qui correspondent à la réalité. Comme lorsque Salam ne peut pas rentrer chez lui, et que l’on sent son désarroi. » Ou que son personnage laisse tomber: « Tu sais ce qu’il y a de bien à Paris? Il n’y a pas d’occupation. » Un échantillon parmi d’autres, pour un film réussissant à amener son propos en terrain sensible sans forcer, trouvant là une dimension politique qui constitue l’un des fils rouges du parcours de l’actrice.
Elle, toutefois, préfère parler d’un tout, confiant choisir ses rôles en fonction du scénario – « Ça doit me parler, et j’ai besoin de visualiser ce que je peux faire de mon personnage et lui apporter »-, du réalisateur – « il faut qu’il soit un bon capitaine »-, la tonalité politique n’intervenant, explique-t-elle, que de façon subsidiaire: « J’ai l’impression que presque tout est politique, en fait ». Un autre tropisme la conduit vers un cinéma estampillé auteur depuis qu’André Téchiné la choisit pour Loin, le film qui la révélait en 2001. « Cela s’est construit comme ça. On vient vers moi avec du cinéma d’auteur, et c’est grâce à ces scénarios-là que je trouve du plaisir à me donner et à projeter. Et puis, cinéma d’auteur, cela veut dire aussi cinéma fauché, avec la liberté de pouvoir oser plus de choses et prendre plus de risques, parce qu’on y a moins de pression. »
Elle ne s’en prive pas, qui se multiplie, éclectique, sur les terrains les plus divers, tâtant du film de genre belge le temps de Tueurs, dont elle confie qu’il l’a laissée quelque peu sur sa faim – « c’est un bon polar, mais je pensais qu’on allait vraiment aborder les tueries du Brabant en profondeur, presque à la Oliver Stone, avec un point de vue »; rebondissant dans le drame biblique hollywoodien avec Maria Magdalena; s’illuminant enfin à l’évocation de The Little Drummer Girl, la série de Park Chan-Wook attendue en DVD début mai, dont elle a tourné quatre épisodes: « Une rencontre extraordinaire. Pour moi, c’est Dieu! » Pas moins.
Comédie de Sameh Zoabi. Avec Kais Nashif, Lubna Azabal, Yaniv Biton. 1h37. Sortie: 01/05. ***(*)
1967, peu avant la guerre des Six Jours. Palestinien de Jérusalem, Salam (Kais Nashif) traverse matin et soir le même check-point pour se rendre à Ramallah, où il est conseiller en hébreu sur Tel Aviv on Fire, soap populaire racontant les aventures d’une espionne (Lubna Azabal) chargée de séduire un général israélien (Yousef Sweid) afin de lui soutirer des informations. Jusqu’au jour où, contrôlé par Assi (Yaniv Biton), un officier de Tsahal dont la femme se trouve être fan du feuilleton, le jeune homme se targue d’en être le scénariste. Pieux mensonge dont il ne mesure pas encore les conséquences, son interlocuteur lui intimant bientôt d’apporter des changements au script… Auteur, précédemment, du Chanteur de Gaza, Sameh Zoabi réussit, avec Tel Aviv on Fire, un joli numéro d’équilibriste, pour aborder, mise en abyme aidant, un sujet brûlant dans un mélange d’humour et d’ironie, et embrasser, l’air de rien, la réalité israélo-palestinienne d’un regard léger mais (im)pertinent…
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