L’aplomb de Karin Viard

Karin Viard affiche une filmographie contrastée, manière de s'"épanouir dans la différence". © Alexis Christiaen/BELGAIMAGE
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Les Chatouilles, d’Andréa Bescond et Eric Métayer, raconte l’histoire d’une jeune femme tentant de se reconstruire après avoir été abusée dans son enfance. L’actrice y campe avec brio une mère dans le déni.

L’air de rien, voilà près de vingt-cinq ans que Karin Viard occupe le haut de l’affiche, se mouvant avec naturel entre cinéma populaire et films d’auteurs. Le genre d’actrice à pouvoir enchaîner La Famille Bélier, d’Eric Lartigau, et Lolo, de Julie Delpy; 21 nuits avec Pattie, des frères Larrieu, et Les Visiteurs 3, de Jean-Marie Poiré, pour ne citer que quelques exemples récents. Et à s’en trouver fort bien, elle qui confie se sentir autant à l’aise dans un registre que dans l’autre: « C’est toujours mon métier. Le cinéma populaire, oui, bien sûr, si ça m’intéresse, si c’est vraiment drôle et si le sujet me plaît. Et le cinéma d’auteur pour les sujets, les situations, des personnages plus complexes, souvent un peu tordus, moins cousus de fil blanc… » Ainsi, aujourd’hui, de la mère qu’elle campe dans Les Chatouilles, d’Andréa Bescond et Eric Métayer (lire notre critique), une femme qui, confrontée à la révélation des attouchements dont sa fille a été victime enfant, va lui opposer un déni cassant – un rôle difficile que la comédienne endosse avec aplomb. Avec ce qu’il faut de nuances aussi pour que le propos gagne encore en aspérités; ce qui s’appelle une composition magistrale.

Il y a des personnages qu’il ne faut pas chercher u0026#xE0; du0026#xE9;fendre.

A l’origine du film, on trouve la pièce de théâtre autobiographique écrite par Andréa Bescond, Les Chatouilles ou la danse de la colère, Molière du seul(e)-en-scène 2016. A savoir l’histoire d’Odette, une jeune femme abusée lorsqu’elle était enfant par un proche de sa famille, et ses tentatives de reconstruction. « J’ai vu le spectacle, et je l’ai adoré, s’enflamme Karin Viard. C’est même allé au-delà: j’ai aimé cette fille, Andréa, et le regard qu’ils posaient, elle et son compagnon, Eric Métayer, le metteur en scène, sur cette histoire-là. » La suite, qui voit la comédienne jouer la mère de la jeune femme dans le prolongement de la pièce à l’écran tiendra, dès lors, de l’évidence, sous l’effet conjugué d’une ressemblance physique troublante et d’affinités profondes. Et de se retrouver donc à défendre un personnage « sans doute indéfendable » alors qu’on la rencontre au festival de Cannes, où le film a enthousiasmé le public d’Un certain regard. « Quand je m’empare d’un rôle, la question morale n’intervient jamais, poursuit-elle. J’ai eu envie de faire partie de cette aventure, d’accompagner ce couple dans cette première au cinéma, d’accompagner ce sujet. Et je me suis dit qu’au passage, j’allais faire un rôle comme on ne m’en avait jamais proposé et très difficile, parce qu’inconcevable dans son manque d’empathie. »

Assumer plutôt que défendre

Chacun a ses raisons, professait Jean Renoir dans La Règle du jeu, celles-là même que Karin Viard s’est employée à aller chercher, histoire de nourrir son personnage. « C’est quelqu’un de terrifiant par son souci très poussé du « qu’en-dira-t-on », une peur qui prend toute la place. J’ai essayé d’alimenter son amertume, sa méchanceté par quelque chose qui n’est pas exprimé ni défini dans le film, mais qui est sans doute une violence qu’elle a subie et qu’elle a décidé de taire, continuant à avancer coûte que coûte. Il y a donc un certain déni, une certaine violence et une certaine aigreur à voir que sa fille a le droit de le dire, de se plaindre, de réclamer un statut de victime qu’elle n’a, elle, jamais songé à revendiquer. Cela fait le lit de quelque chose qui, à mon avis, explique le rôle. Mais je n’ai pas voulu la défendre, j’ai juste essayé de la jouer le mieux possible. Il y a des personnages qu’il ne faut pas chercher à défendre – à la limite, il ne faut jamais chercher à défendre le moindre personnage. La meilleure façon de le faire, c’est de l’assumer totalement, avec ses failles, ses crevasses, ses points positifs, son humanité. »

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Jusqu’à s’y engouffrer, comme Karin Viard semble s’en être fait une délectable spécialité, elle qui y va généralement plein pot, qu’il s’agisse de jouer une nymphomane au verbe débridé dans 21 nuits avec Pattie ou une pisse-vinaigre décomplexée doublée d’une envieuse pathologique dans Jalouse, deux exemples parmi d’autres émaillant une filmographie contrastée. Voire, aujourd’hui, une mère à la dureté chargée… « Je suis assez libre, comme femme. Dans mon métier, je réclame de la liberté, et je la prends. Je n’ai jamais le souci de ce que l’on va penser de moi, j’ai juste la nécessité de m’épanouir. Et je m’épanouis dans la différence, dans l’audace et dans une forme de liberté. Je continue à avoir la chance qu’on me propose encore des choses si différentes. Je savoure, mais je pense aussi y participer… » C’est peu de le dire, elle qui confesse encore goûter tout particulièrement à sa « période méchante ». « Je n’ai eu que des gentilles pendant très longtemps, beaucoup de gentilles désargentées, puis des femmes un peu plus aisées, et maintenant je passe aux méchantes. J’adore, c’est plus grinçant, moins aimable, plus vaste. Jouer un personnage cruel, difficile, féroce est plus intéressant parce qu’on va chercher des choses en soi, et qu’il faut aussi essayer de les humaniser… »

Avec Les Chatouilles, la comédienne joint par ailleurs l’utile à l’agréable, puisque le film, porté par l’énergie viscérale émanant d’Andréa Bescond, aborde la thématique ultrasensible de l’enfance abusée de manière aussi originale que parlante. « Le cinéma, parfois, peut avoir cette vertu de mettre en lumière des sujets de société qui sont moins pris en considération, soupèse-t-elle. Parler de la violence faite aux enfants par cet angle-là, filmé et joué par quelqu’un qui l’a vécue et s’en est servi pour en faire quelque chose, et qui parle aussi de reconstruction – parce que c’est possible, même si malheureusement pas pour tout le monde ; pouvoir s’emparer de ce sujet en ayant la légitimité pour le faire et le traiter de la sorte, cela m’a donné envie de servir ce propos. C’est un film qui va compter pour les victimes et leurs familles, parce qu’on réalise qu’il y a des mécanismes que l’on retrouve chez tout le monde. Il y a dix ans, on ne savait pas ce qu’était le processus de sidération des victimes. Aujourd’hui, on sait ce que c’est, la sidération des victimes d’attentats, de violences sexuelles. Les mentalités ont évolué, la reconnaissance du statut de victime aussi. Il ne faut pas être trop excessif, mais ce film pose un regard là-dessus. » La résilience en ligne de mire…

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