Klapisch: « Ce simplisme qu’on me reproche souvent, je le revendique »

François Civil, Pio Marmaï et Ana Girardot dans Ce qui nous lie, de Cédric Klapisch. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Convivial et générationnel, le cinéma du réalisateur français Cédric Klapisch s’incarne dans Ce qui nous lie, « un film sur le temps qui passe ».

Cédric Klapisch, c’est une intelligence en mouvement dans un physique de bon vivant, un cinéaste masquant son style sous une priorité affichée aux acteurs, aux personnages. Bref, un type plus compliqué que le naturalisme de ses films peut le laisser supposer. Un artiste sensible et souvent inspiré, attachant à la jeunesse et à la filiation une importance qu’a sans doute nourri le fait d’être enfant de parents juifs ayant survécu au programme génocidaire nazi. Par une (très) chaude journée, il a commenté pour nous un Ce qui nous lie parlant de la famille, de la vie et du vin. Un film qui lui ressemble, comme un cru peut ressembler à celle ou celui qui l’élabore, des vendanges à la vinification… Mais si le raisin est la matière première d’où se fait le vin, quel est son équivalent dans le domaine cinématographique? « L’ingrédient premier, ce sont bien sûr les acteurs! Mais du scénario au montage, il y a plein d’autres ingrédients. Tout comme dans le vin, d’ailleurs. Car au goût du raisin il faut ajouter la chair, la couleur, toutes des choses qu’on peut travailler. Il y a la viticulture et puis la vinification, comme en cinéma vous avez le tournage et la post-production. Dans les deux cas, c’est un travail d’assemblage de plusieurs paramètres, pour un résultat personnel. Avec le même cépage et les mêmes conditions climatiques que son voisin, un bon vigneron fera SON vin, un produit unique. Avec le même chef-opérateur et le même lieu de tournage qu’un collègue, un cinéaste doit faire SON film, qui sera différent. »

Sa singularité, Klapisch a voulu l’alimenter en allant voir « à côté », « car la Bourgogne ce n’est qu’à deux heures de Paris mais c’est une autre vie, très dense et complète, on y travaille tous les jours, un travail très prenant et dominé par la nature« . Lui qui est parisien et « qui (a) déjà raconté plein d’histoires où le canapé est l’outil de base« , avait eu « un peu l’impression de tourner en boucle« . Ce qui nous lie affiche sa différence tout en ressemblant bien à son auteur, dans cet optimisme qu’il ose face au marasme ambiant du cinéma réaliste. « L’époque est anxiogène, cynique et dépressive, commente le cinéaste, moi je vois les problèmes mais je crois aux remèdes. Comment pourrais-je ne pas être optimiste avec des parents qui ont survécu à la guerre et qui ont su guérir de traumatismes autrement plus graves? »

Fraternité

Klapisch se souvient d’un article qu’il avait écrit pour le journal Le Monde, et que la rédaction avait titré « Le cinéma pour apprendre à vivre« . « J’ai pris par exemple des leçons sur comment me comporter avec les femmes en voyant des films de Woody Allen, de Bergman. Le cinéma, comme aussi la littérature, nous offrent des exemples de vie, bons ou mauvais. Ils peuvent nous aider à faire mieux. » Ce qui nous lie propose à cet égard et entre autres un exemple de ce que peut être « cette chose qui est inscrite dans la devise de la République française et qui ne peut rester théorique: la fraternité« . « Au départ d’un film sur le temps qui passe (sur Le Temps avec un grand L et un grand T), sur les cycles de la nature qui imposent leur temporalité aux personnages, je me suis retrouvé à évoquer en parallèle les cycles humains: être enfant, devenir adulte, devenir parent. De l’observation des rapports entre les trois frères et soeur est née une approche des relations entre fratrie et fraternité. C’est quoi être frères, par-delà le lien du sang? Pourquoi être frères et soeurs est important au point de figurer au fronton de toutes les écoles comme c’est le cas? Qu’ont ces rapports d’essentiel au point de pouvoir devenir une position citoyenne? »

Comme toujours, et même s’il réfléchit beaucoup aux choix qu’il pose (entre autres la référence à l’Antonioni de L’Avventura pour la manière d’inscrire les personnages dans le paysage), Klapisch se garde de tout intellectualisme, privilégiant un cinéma qui parle directement, qui touche, émeut. « Même dans l’art contemporain, conceptuel, on voit comment un Boltanski (1) est compréhensible par tous alors que pour tant d’autres il faut lire trois pages de mode d’emploi pour saisir l’intention. On peut avoir les trois pages, et c’est super intéressant, ça enrichit ce qu’on est en train de regarder. Mais il faut que le ressenti soit là! Je crois beaucoup à la vulgarité du ressenti, au fait que n’importe qui ait accès à la sensation. Vulgarité au sens de populaire, familier, pas dans l’acception péjorative. Je trouve bien et beau de se mettre au service des sensations basiques. Ce simplisme qu’on me reproche souvent, je le revendique. La simplicité est indispensable!« 

(1) Christian Boltanski, peintre, photographe, sculpteur et cinéaste français, âgé aujourd’hui de 72 ans.

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