Jérémie Renier: « Les acteurs flamands n’ont aucune gêne »

Jérémie Renier © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Sa performance hallucinante électrise le polar urbain et nocturne Waste Land du réalisateur flamand Pieter Van Hees. Une ligne de plus sur un CV bien rempli.

Une ville, la nuit. L’homme relève le col de son blouson de cuir. Son regard est étrange, déterminé mais aussi quelque peu absent. Il s’appelle Leo Woeste. Il est flic. La ville, c’est Bruxelles. Brussels by night. Avec ses beautés mais aussi ses dérives, ses mystères, et puis ses quartiers colorés comme celui de Matonge, où son destin a fixé rendez-vous à Leo… Jérémie Renier signe dans le Waste Land du réalisateur flamand Pieter van Hees une interprétation d’une intensité extraordinaire. « J’ai d’emblée beaucoup aimé ce personnage atypique, explique l’acteur, cette force brute qu’il a tout en étant ultra sensible… Ce qui fait qu’il flanche. » « Le côté organique du cinéma de Pieter me plaît énormément, poursuit-il, c’est par ailleurs une marque de nombreux films flamands actuels, qui se caractérisent par une approche plus physique. »

Renier s’est ainsi plu à « franchir la frontière linguistique », à « aller de l’autre côté », vers un cinéma qui le passionne en tant que spectateur… et lui offre aujourd’hui l’opportunité d’une incarnation, au sens le plus fort du terme. « Les acteurs qui me fascinent, de Charlotte Gainsbourg à Olivier Gourmet en passant par Vincent Lindon, sont des acteurs du réel, ils sont vraiment là, leurs personnages existent en chair et en os », déclare celui pour qui « tout passe d’abord par le rapport au corps, c’est la première brèche dans laquelle je m’enfonce pour trouver le personnage. La transformation physique m’aidant à sortir de qui je suis pour aller chercher quelqu’un d’autre. »

Grand écart

Celui que les frères Dardenne révélèrent encore adolescent, dans le film de leur propre renouveau La Promesse (1996), n’a cessé de s’affirmer depuis, prenant de l’étoffe humainement et professionnellement. Au point d’être devenu, lui le gamin timide des débuts, un des acteurs les plus affûtés, les plus audacieux, de sa génération. « Ça va faire vieil acteur -déjà!- que je dise ça, mais je n’aime pas repasser dans mes propres traces. Dès que je retrouve, même dans un personnage extérieurement très différent, l’empreinte de choses par lesquelles je suis déjà passé, c’est très frustrant pour moi… ou alors je m’ennuie. Mon truc, ce sera toujours le grand écart! » Renier avoue que son « grand rêve d’acteur serait de disparaître totalement, pour laisser exister le seul personnage. » Mais il sait que « même transformé, ton corps est toujours ton corps, et même modifée, travaillée, ta voix reste toujours ta voix… »

Autodidacte et pas fâché de l’être, Jérémie sait bien « que moins tu es palpable, moins tu es reconnaissable, et plus tu peux te diversifier et aller vers plein de personnages… car on ne sait pas qui tu es! » Il se réjouit d’avoir « grandi avec le cinéma, d’abord dans le registre naturaliste (des Dardenne en premier, ndlr), puis d’avoir osé aller vers ce qui pouvait me faire peur au départ, comme le sur-jeu, l’excès. Concernant certains de mes films, je me dis qu’il fallait que je passe par là pour accéder à autre chose. Ces films marquent des paliers personnels, quelle que soit leur réussite globale par ailleurs … » Confronté à une réplique de Waste Land invitant à « faire face à ses propres démons », Renier vante les vertus de la désinhibition, de « ce lâcher-prise qu’ont plus que nous les acteurs flamands, qui n’ont aucune gêne, qui n’ont pas peur d’être vulgaires, grossiers, nus. Même dans le théâtre ils ont cette ouverture. No limit… Je trouve ça très excitant! Les Francophones -et les Français sûrement- intellectualisent plus, ils ont aussi le poids d’un patrimoine culturel qui peut être bloquant. Les Flamands, eux, s’en foutent! »

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Si Waste Land tient assurément du film noir et de sa tradition essentiellement américaine, c’est aussi un film « black », vu le nombre record de personnages d’origine africaine et l’accent mis sur Matonge, le « petit Kinshasa » ixellois. « Nous faisons trop peu de films où se mélangent les ethnies, regrette Jérémie Renier, alors que quand je vais voir un film américain, même une adaptation de Marvel Comics avec mes gamins, il y a toujours des Blacks, des Hispaniques, des Asiatiques… On gagnerait à s’en inspirer, cette diversité enrichit l’écran, les histoires. Cela s’appelle la vie! » Tourner à Matonge, « surtout dans les coulisses de Matonge », fut pour le comédien « une expérience géniale, tant par les rapports avec les gens sur place que ceux avec la police, dont j’ai côtoyé de nombreux représentants dans la préparation du rôle. Celle-ci passant toujours pour moi par des rencontres avec des gens de la réalité. » L’autre nouveauté pour Renier fut de jouer en bonne partie en néerlandais. « Je suis Bruxellois, j’ai donc appris la langue à l’école pendant plein d’années, commente-t-il, mais il n’en était pas resté grand-chose… Ce qui est triste! Il m’a fallu sérieusement m’y remettre pour jouer Leo. J’aimerais aller plus encore en immersion, faire des films belges avec différentes communautés. Des films que le public aurait envie d’aller voir. Car si les Flamands sont friands de leur cinéma et y vont en masse, il est tellement rare qu’un film belge francophone rencontre le succès chez nous… On est très fiers d’apprendre que les films belges se font remarquer en bien à l’étranger, qu’ils collectionnent les prix prestigieux. Mais on ne va pas les voir pour autant! » Le melting pot de Waste Land, où le métissage se fait entre les langues et entre les couleurs de peau, fera-t-il figure d’utile précurseur?

  • WASTE LAND DE PIETER VAN HEES. AVEC JÉRÉMIE RENIER, NATALI BROODS, BABETIDA SADJO. 1H37. SORTIE: 26/11. ***

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