« Je savais que ça amuserait Catherine Deneuve de jouer une femme qui perd un peu la tête »

Catherine Deneuve, cheveux blancs, vide-grenier et bric-à-brac.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Julie Bertuccelli lâche la bride à Catherine Deneuve dans une fantaisie autour d’une femme à la croisée des chemins… Rencontre.

Révélée en 2003 par Depuis qu’Otar est parti…, Grand Prix à la Semaine de la Critique à Cannes, Julie Bertuccelli s’est, depuis, partagée entre fiction et documentaire, passant avec bonheur de L’Arbre, tourné avec Charlotte Gainsbourg en Australie, à La Cour de Babel, autour de jeunes collégiens d’horizons divers réunis dans une classe d’accueil pour apprendre le français. À l’origine de Claire Darling, le film qui consacre son retour dans le champ de l’imaginaire, on trouve Le Dernier Vide-Grenier de Faith Bass Darling, roman américain de Lynda Rutledge que la réalisatrice a choisi de transposer en France. « J’avais tourné mon premier long métrage en Géorgie et le deuxième en Australie, et je m’étais dit qu’autant je faisais beaucoup de documentaires en France, autant la fiction me donnait envie de voyager, ayant besoin de cette distance pour parler de choses qui me sont en fait proches. J’aurais pu tourner en Amérique, mais en lisant le livre, j’ai eu l’image de la France et d’une maison de famille. Il y a eu presque tout de suite un décor, et une évidence de cohérence comme de très jolies choses à faire à mes yeux en France. »

L’âme des objets

Si le cadre du film s’est imposé avec une telle force c’est peut-être parce que, du propre aveu de la cinéaste, cette histoire lui parlait tout particulièrement, intimement presque. Claire Darling raconte l’histoire d’une dame d’un âge respectable vivant entourée d’un nombre incalculable d’objets et bibelots accumulés tout au long de son existence -personnage dans lequel Julie Bertuccelli n’a guère eu de peine à se reconnaître. « L’histoire était racontée à travers des objets, qui avaient un rôle hyper-important. Et c’est aussi le cas dans ma vie. Je suis issue d’une famille très collectionneuse, accumulatrice, où les objets sont mémoire de famille, de passé, de voyages, de vies. Nous chinons aussi beaucoup dans les brocantes, parce que ce sont des traces de l’humanité, de plein de petites vies. Les objets ont une âme, en tout cas celle qu’on y projette, et ils sont également la mémoire de nos vies, de nos tensions, de nos tristesses, ils cristallisent beaucoup de choses. » Signe, du reste, d’une connexion étroite à cette histoire, la cinéaste a substitué à ceux du livre certains de ses objets personnels. « Autant quand je fais des documentaires, je suis passionnée par le fait de passer un an, deux ans, trois ans avec des gens et de me fondre dans leur vie, autant en fiction, j’ai besoin et j’ai envie d’y mettre de moi. » Avec, pour le coup, un effet madeleine de Proust totalement assumé.

Comme l’est le côté conte d’un film à l’esthétique ouvertement antinaturaliste, envolées oniriques et réminiscences étranges phagocytant l’écran. Ce qu’elle y gagne en fantaisie, La Dernière Folie de Claire Darling le perd toutefois un tantinet en consistance, et cela, même s’il y est question d’une histoire de famille tapissée de mensonges et de non-dits, d’une relation mère-fille passée au prisme changeant du temps, ou encore d’un indispensable lâcher-prise. Pour incarner cette femme à la croisée des chemins, Julie Bertuccelli a fait appel à Catherine Deneuve, une évidence à plus d’un titre. « D’abord, c’est une actrice somptueuse, magnifique, une icône pour moi comme pour plein de gens. Elle a une vie flamboyante, et comme il s’agit de l’histoire d’une femme qu’on retrouve sur une journée dans une grande maison, il fallait qu’on ait le sentiment de ce passé que Catherine Deneuve incarne pleinement. En plus, elle est libre et ose prendre des risques, je savais que ça pourrait peut-être l’amuser d’avoir des cheveux blancs et de prendre le rôle d’une femme qui perd un peu la tête. » Mission dont la comédienne s’acquitte sans sourciller, juste comme à l’accoutumée, en ce compris dans les situations les plus incongrues où la place le scénario. Si, suivant un modèle désormais éprouvé -elles alignent douze films en commun-, Catherine Deneuve donne la réplique à sa fille Chiara Mastroianni, la « réalité organique » infusant la fiction, elle croise aussi son double affichant la quarantaine, sous les traits cette fois… d’Alice Taglioni: « C’était un défi difficile, parce que Catherine Deneuve, on la connaît à 40 ans. Elle a traversé tout le cinéma mondial, français, elle véhicule une image hyper-forte. Alice a cette beauté, cette classe, cette froideur que Catherine peut avoir. Et puis, elle a travaillé pour essayer de lui ressembler, on a revu des films ensemble, une manière pour elle d’entrer dans le rôle. Jouer Catherine Deneuve jeune était lourd, mais quand elle a vu que par sa démarche et sa diction, elle pouvait en être proche, on a oublié, pour se consacrer au rôle et aux scènes… » Deneuve vs Deneuve, en somme, pas la moins belle idée du film…

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