Jacques Doillon, invité d’honneur du BRFF: « Faire des films comme je le fais est de plus en plus difficile »

Jacques Doillon © Getty Images/Gareth Cattermole
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Éloigné du système, Jacques Doillon n’en persiste pas moins à chercher la vérité en filmant. Il est le cinéaste invité d’honneur du Brussels Film Festival, qui débute ce 5 juin.

Le Brussels Film Festival en a fait son invité d’honneur. Son dernier opus en date Mes séances de lutte (projeté l’an dernier par ce même BRFF) sort enfin dans nos salles. Et sa master class promet, même si l’appellation ne lui plaît pas forcément. Jacques Doillon sera passionnant à écouter le 8 juin, tant le sujet du 7e art l’inspire, et tant il aime l’idée de transmission, lui qui n’a cessé de placer la jeunesse au coeur de son travail. Avec une trentaine de longs métrages à son actif (dont Les Doigts dans la tête, Un sac de billes, La Drôlesse, La Pirate et Le Petit Criminel) le réalisateur parisien de naissance ne se déclare pas rassasié. « J’aurais aimé en faire bien plus, comme dans ces trois ou quatre années où j’ai pu enchaîner à chaque fois deux tournages à la suite », soupire un cinéaste impatient de donner un successeur à Mes séances de lutte. Ce dernier film en date exprimant de manière originale et intense le rapport de désir, la relation organique, de Doillon avec l’image comme avec les acteurs.

« Faire des films comme je le fais, sans tout écrire d’avance, en partant à la découverte, est de plus en plus difficile, explique le cinéaste, parce que personne ne veut les financer, personne n’en veut tout court. Alors j’ai tourné Mes séances de lutte chez moi, et je l’ai financé moi-même en recréant (pour la quatrième fois) une petite structure de production qui va sans doute de nouveau fermer bientôt. Du bricolage! Faut de l’énergie, de l’envie surtout! L’envie de s’amuser… » A ses débuts, Doillon s’était vu proposer plusieurs films de commande, et en avait accepté un (Un sac de billes, adaptation à succès du roman de Joseph Joffo sur deux enfants juifs sous l’Occupation) parce qu’il était « dans la dèche la plus grande ». Le reste de sa trajectoire est faite de projets personnels, risqués. « Et ce n’est pas maintenant que je vais faire machine arrière! », s’exclame un artiste qui a fait son dernier film « en avançant chronologiquement, scène après scène, sans savoir où j’allais mais avec un appétit énorme de le découvrir. » « Mon inconscient semblait d’accord avec ce que j’écrivais au fur et à mesure! », rit Doillon qui poursuit: « Je préfère cet accord-là que celui qui me lierait aux marchands… »

Résistance

S’il n’a pas tourné depuis 2013, c’est que le réalisateur est « encore dans cette résistance à tourner un film dont je n’aurais rien à faire, dans un contexte de frilosité où l’on ne produit presque plus que de tels projets, dépourvus d’intérêts autres que commerciaux. » Et d’aussi pointer du doigt un public « de plus en plus mal éduqué, de notre faute », dont l’absence de curiosité tire la production vers le bas. Doillon revendique un droit à l’exigence, vis-à-vis du spectateur comme des acteurs qu’il n’hésite pas à « pousser, voire bousculer un peu » pour obtenir d’eux « autre chose de plus fort, de plus profond ». « On ne refait jamais une prise, c’est toujours différent et de l’une à l’autre les choses prennent forme, se précisent, explique-t-il, c’est tellement musical en fait… Un tournage, c’est la vie, un scénario aussi. Avec moi, on va toujours vers quelque chose qu’on ignore au départ. Mais si on n’est pas tout à fait couillon, on sent assez vite qu’il y aura quelque chose au bout! »

Au bout, parfois, Doillon trouve « une de ces émotions qui submergent, qui font tout oublier, qui vous font venir des larmes ». Ces émotions qu’il ressentit en premier devant des films de Mizoguchi et de Dreyer, le cinéaste avoue avec des étoiles dans les yeux qu’il lui arrive d’en ressentir de pareilles durant certains tournages. Et de quitter alors le plateau par pudeur, s’abandonnant à « ces sentiments intenses qui me traversent, qui justifient tous les efforts et pour lesquels je remercie les acteurs. Parce que cela vient d’eux! »

Plaisir

« Je n’ai d’énergie que pour faire des films, et le plaisir que j’y prends est bien plus grand que toutes les angoisses! », lance Jacques Doillon. La pellicule? Il ne la regrette aucunement, le digital lui permettant de « ne plus devoir couper dans ses longs plans séquences et aussi d’enchaîner les prises sans interruption. » Jamais il ne fera, comme tant d’autres, « ce truc si emmerdant qui est d’exécuter un scénario, de tourner 1400 plans dessinés à l’avance façon petits mickeys. » « Ce qui est bien, avec une scène, c’est qu’elle nous cache toujours des choses. Une scène à tourner, c’est une scène à découvrir! », constate un réalisateur « en quête permanente de vérité ». Et en quête de plus en plus difficile de financement… « Comme j’ai déjà réalisé une trentaine de films, on me dit: « Vous n’allez pas vous plaindre!? Fermez votre gueule et soyez déjà content d’avoir tourné bien plus que vos petits camarades! » Mais avec les films que je n’ai pas faits, j’en serais à 50, déjà! Je sais bien que Dreyer, à la fin, ne tournait plus qu’un film tous les dix ans. On s’étonne aussi que ma petite notoriété, bien palie aujourd’hui, ne me permette pas d’obtenir de l’argent. Avec d’autres scripts, peut-être… Et puis n’oubliez pas qu’avant, on était un petit peu aidé par les comédiens, par Isabelle Huppert, par Michel Piccoli… Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous sommes dans une société où le divertissement est roi… Et ce n’est pas vraiment mon créneau. » Enfant, Doillon dévorait pourtant les westerns, et adorait les films de Gary Cooper. Mais « il faudrait faire aujourd’hui des films qui peuvent passer à la télé à 21 h, et ramener plein de pubs? » Le pirate n’en sera pas. Il prendra d’autres films à l’abordage, avec cette liberté qui fait toute la différence!

MASTER CLASS DE JACQUES DOILLON LE LUNDI 8 À 17H À FLAGEY ET AVANT-PREMIÈRE DE MES SÉANCES DE LUTTE LE MÊME JOUR À 19H À LA CINEMATEK. RÉTROSPECTIVE À LA CINEMATEK JUSQU’AU 21/08. SORTIE DE MES SÉANCES DE LUTTE LE 10/06.

Brussels Film Festival, c’est reparti!

Bref, voici le BRFF… Le Brussels Film Festival reprendra ses quartiers à Flagey et dans ses alentours du 5 au 12 juin, avec comme toujours l’ambition de célébrer le cinéma dans un esprit de fête. La Cinematek sera une fois de plus associée à l’événement, dont le coeur battant restera néanmoins plus que jamais le fabuleux bâtiment de l’ex-INR et la place Sainte-Croix adjacente, où le soleil est invité à briller pour les festivaliers entre deux projections… Le BRFF porte haut sa cinéphilie en faisant de Jacques Doillon son invité d’honneur. 70 longs et courts métrages, en provenance de quinze pays européens, sont programmés par Ivan Corbisier et son équipe. Des séances en plein air et des DJ sets accentueront l’aspect festif d’une manifestation par ailleurs très sensible à la diversité culturelle, et où l’ambiance pourrait une fois de plus se révéler chaude. Avec un air de vacances pour savourer The fabulous european cinema!

BRUSSELS FILM FESTIVAL, DU 5 AU 12/06 À FLAGEY ET À LA CINEMATEK. www.brff.bewww.cinematek.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content