Huit films qu’on retiendra de la 68e Berlinale

Adina Pintilie, Ours d'or de la 68e Berlinale pour Touch Me Not. © REUTERS/Fabrizio Bensch
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Globalement décevante, la 68e Berlinale s’est inscrite au moment du verdict dans la marche féminine du temps, sacrant la Roumaine Adina Pintilie pour le controversé Touch Me Not. Survol et retour en images sur quelques films attendus sur nos écrans…

Les années se suivent et se ressemblent à Berlin, le festival semblant s’époumoner à courir après sa grandeur passée. En cause, une programmation pléthorique -plus de 400 films, toutes sections confondues-, mais pas toujours à la hauteur, donnant à la sélection des allures de fourre-tout où le meilleur (La Prière de Cédric Kahn, Don’t Worry… de Gus Van Sant…) côtoie le quelconque mais aussi le pire (The Bookshop d’Isabel Coixet, The Real Estate d’Axel Petersén et Mans Mansson, Damsel des frères Zellner, …), sans toutefois que le succès de la manifestation ne s’en ressente -330 000 tickets ont été vendus pour cette édition 2018.

À défaut de toujours convaincre sur les écrans, la Berlinale n’a par contre pas failli à sa réputation de plus engagé des grands festivals de cinéma, la vague #MeToo déferlant sur la Potsdamer Platz. C’est sans doute sensible à cette réalité nouvelle que le jury présidé par Tom Tykwer a pris tout le monde (ou presque) de court en couronnant de l’Ours d’or le clivant Touch Me Not, de la Roumaine Adina Pintilie, et en octroyant son Grand Prix au médiocre Twarz, de la Polonaise Malgorzata Szumowska. La suite du palmarès (avec notamment Wes Anderson récompensé pour la mise en scène de Isle of Dogs, et la révélation du festival, Las Herederas, du Paraguayen Marcelo Martinessi, deux fois primé) est plus conforme aux attentes. On ne s’explique cependant pas plus l’absence de U: July 22, du Norvégien Erik Poppe, que celle du cinéma allemand, Transit de Christian Petzold, et In den Gängen de Thomas Stuber comptant parmi les rares films franchement enthousiasmants qu’il fut donné de voir pendant cette 68e Berlinale, l’avant-dernière dirigée par Dieter Kosslick…

Isle of Dogs, de Wes Anderson

Huit ans après Fantastic Mr. Fox, Wes Anderson renoue avec l’animation en stop motion pour Isle of Dogs. Échevelée, l’histoire expédie sur une île-décharge les chiens d’une petite ville japonaise. Contexte qui n’empêche pas ce film foisonnant de s’inscrire dans la lignée de l’oeuvre du cinéaste texan.

Huit films qu'on retiendra de la 68e Berlinale

7 Days in Entebbe, de José Padilha

On avait quelque appréhension à voir José Padilha, le réalisateur musclé de Tropa de Elite, Ours d’or 2008, s’emparer de la prise d’otages de Entebbe, en 1976. Le résultat dépasse les espérances: soit un film d’action efficace qui, à défaut parfois de nuances, essaie d’ouvrir des pistes de réflexion…

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La Prière, de Cédric Kahn

La filmographie de Cédric Kahn n’en finit pas d’emprunter des chemins inattendus. Dans La Prière, le réalisateur de L’Ennui suit un jeune toxicomane rejoignant une communauté retirée où l’on combat la dépendance par le travail et la foi, proposition au coeur d’une oeuvre émouvante et interpellante.

Huit films qu'on retiendra de la 68e Berlinale

U: July 22, d’Erik Poppe

Le Norvégien Erik Poppe revient sur le massacre d’Utoya, perpétré le 22 juillet 2011 par un terroriste d’extrême droite, en signant un film choc, adoptant le point de vue des vic-times dans un unique plan- séquence suivant Kaja, une jeune fille, dans sa fuite éperdue pour échapper au tueur. Un glaçant tour de force.

Huit films qu'on retiendra de la 68e Berlinale

Unsane, de Steven Soderbergh

Le nouveau film de Steven Soderbergh a été tourné avec… un iPhone, et c’est peu dire que le résultat est probant, le cinéaste américain signant, autour d’une jeune femme internée en quelque cauchemar kafkaïen, un film de genre éminemment jouissif tout en renouant avec l’élan de Sex, Lies, and Videotape

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Becoming Astrid, de Pernille Fischer Christensen

Oscar Wilde dans The Happy Prince de Rupert Everett, John Callahan dans Don’t Worry… de Gus Van Sant: le biopic se décline en mode artistique. Ainsi encore de Becoming Astrid, de la Danoise Pernille Christensen, revisitant en mode classique et tire-larmes les années pré-Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren…

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Cobain, de Nanouk Leopold

La cinéaste néerlandaise Nanouk Leopold, dont on avait notamment pu apprécier Boven is het stil, signe, avec Cobain, un récit d’apprentissage inspiré, opposant à la noirceur de l’environnement où évolue l’ado de quinze ans une mise en scène en tous points lumineuse. Smells Like Teen Spirit

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Une belge au bout du monde

Ma’Ohi Nui, de la cinéaste belge Annick Ghijzelings, part à la rencontre d’un peuple de Polynésie lancé à la poursuite de son identité et de son indépendance.

Pléthorique, le programme de la Berlinale aligne, aux côtés des incontournables Compétition, Panorama et Forum, une myriade de sections aux objets les plus divers, allant des films destinés au jeune public (Generation) à ceux traitant de la nourriture (Culinary Cinema). C’est dans l’une d’elles, NATIVe, dévolue au cinéma indigène, que l’on a pu découvrir -sur écran IMAX encore bien-Ma’Ohi Nui, Au coeur de l’océan mon pays, le nouveau long métrage de la documentariste belge Annick Ghijzelings. Assurément peu banal, le film met le cap sur la Polynésie française, à la rencontre d’un peuple que l’Histoire coloniale et 30 années d’essais nucléaires, de 1966 à 1996, ont laissé aliéné.« À l’image de la radioactivité qu’on ne peut ni sentir, ni voir, mais qui persiste pour des centaines de milliers d’années, la contamination des esprits s’est lentement et durablement installée, écrit la cinéaste dans sa note d’intention.Aujourd’hui le peuple Ma’Ohi est un peuple dominé qui a oublié sa langue, qui ignore son histoire et qui a perdu le lien à sa terre et à son rapport au monde. Pourtant (…), quelque chose survit, qui résiste à la disparition. » Et c’est cette histoire mais aussi cet élan, avec la poursuite de l’indépendance pour corollaire, que s’emploie à cerner le film.

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Poétique et politique

Philosophe de formation se consacrant depuis une quinzaine d’années au cinéma, Annick Ghijzelings raconte avoir eu l’impulsion initiale du projet en 2011, alors qu’elle s’était rendue en Polynésie pour le tournage de 27 fois le temps,  » un film plus culturel autour de la perception du temps, à travers la planète et à travers l’Histoire. En travaillant avec la population sur place, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet beaucoup plus politique à faire, lié à la situation du peuple Ma’Ohi, qui est en train de disparaître. J’ai commencé à travailler avec les personnages, à recueillir des témoignages, le film est vraiment le fruit de sept années de travail, de recherches et de confiance mutuelle avec les gens impliqués, à Tahiti et dans les îles… » Au gré des voyages, et tandis que les relations s’approfondissent, le film prend forme,  » très dirigé, très écrit« . À une première partie conceptuelle, montrant un peuple assoupi, paralysé par son passé colonial, en succède une autre, plus classique, nourrie notamment de témoignages -ainsi, celui d’Oscar Temaru, leader indépendantiste qui porta la cause devant les Nations Unies en 2013. Mais si le film est ancré dans la réalité -et notamment celle des « quartiers », comme l’on appelle les bidonvilles de Papeete-, il convoque aussi l’onirisme et la légende y infuse le quotidien, notamment à travers la voix insistante d’une ancêtre-narratrice (interprétée par Flora Devatine, première auteure polynésienne à avoir été publiée). Manière, en définitive, de concilier démarches poétique et politique.  » Comme tous les cinéastes, je crois, j’ai commencé en faisant des films un peu intimistes, à la première personne. Et puis, peu à peu, on nourrit cette première personne en résonance avec le monde, et la politique vient s’insinuer dans une démarche plus personnelle, jusqu’à tourner un film comme celui-là… » Singulier et universel. Et qui, après le circuit des festivals internationaux -prochaine étape, Taipei-, est annoncé sur les écrans belges pour la fin de l’année…

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