Gourmet: « Il y avait une ambition de faire un film tel qu’on n’en produit pas souvent en Belgique »

"C'est amusant de se glisser de temps en temps dans la peau d'un héros, même si d'habitude, je vais vers des personnages qui n'en sont pas." © Jo Voets/Versus
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

L’acteur campe un truand à cheval sur le code moral dans Tueurs, le premier film de François Troukens et Jean-François Hensgens, un polar revisitant le cinéma de genre sur arrière-plan de tueries du Brabant.

Olivier Gourmet s’est composé, en une vingtaine d’années de présence sur les écrans, un profil de comédien hyperactif. Tueurs, de François Troukens (lire aussi son interview dans Le Vif) et Jean-François Hensgens, est ainsi le sixième film dans lequel on le retrouvera pour le seul exercice 2017, l’acteur s’étant multiplié devant les caméras de Kiyoshi Kurosawa (Le Secret de la chambre noire), Stephan Streker (Noces), Martin Provost (Sage-femme), Raoul Peck (Le Jeune Karl Marx) et Gérard Pautonnier (Grand froid), en attendant L’Échange des princesses, de Marc Dugain, annoncé dans les salles à l’horizon des fêtes. L’on s’en étonne, lui s’en amuse, alors qu’on le joint par téléphone à Toulouse, où il tourne pour l’heure Intime conviction, un drame judiciaire d’Antoine Raimbault où il campe l’avocat Eric Dupond-Moretti. « C’est mon métier, je ne peux pas m’arrêter parce que j’aime ça, déclare-t-il. D’abord, il y a le plaisir du travail, et puis les rencontres avec les gens, les projets. »

À l’arraché

Tueurs est l’un de ceux-là, un premier long tels qu’il les affectionne: « Souvent, il y a dans les premiers films un côté moins consensuel, une fraîcheur et quelque chose de plus étonnant et singulier, qui appartient plus au réalisateur lui-même. » Ainsi donc d’un film inspiré de la propre expérience de son auteur et coréalisateur, François Troukens, ancienne figure du grand banditisme retirée des affaires. Lequel signe là un polar où l’acteur-fétiche des frères Dardenne incarne Frank Valken, un truand à l’ancienne qui, à l’heure d’un ultime casse exécuté sans bavure, va être rattrapé malgré lui par l’affaire des tueurs du Brabant, qui avait défrayé la chronique judiciaire belge 30 ans plus tôt. Réalité et fiction se rejoignent ici puisque, coïncidence étrange, le film sort alors même que les tueries ont refait surface dans les médias -« Coïncidence, on ne sait pas, puisque Einstein disait que la coïncidence était l’habit revêtu par le Bon Dieu pour circuler parmi les hommes. Mais c’est vrai qu’on trouve dans le film cette réalité choquante qui nous a émus dans les années 80, et qui est restée ancrée dans la mémoire des Belges. » Cette réalité, Gourmet l’avait déjà tutoyée par film interposé, lui qui incarnait, en 1998, le procureur de Nivelles dans Le Bal masqué (lire aussi ci-dessous) « de ce joyeux fou de Julien Vrebos, un passionné qui avait une idée du film et une théorie sur les tueurs et la royauté assez extrêmes. C’était drôle, mais j’ai été plus amusé par le réalisateur que par le film à l’époque. » Ce dernier, du reste, n’a pas laissé un souvenir impérissable, loin s’en faut.

S’il est adossé à une même réalité brute, Tueurs raconte donc une histoire de fiction, le scénario de François Troukens s’abreuvant de ses propres souvenirs et rencontres, mais aussi d’une certaine mythologie entretenue d’ailleurs par le cinéma, les réalisateurs ayant fait de Heat, de Michael Mann, leur balise. Et Olivier Gourmet de se fondre dans un personnage taille polar: « C’est amusant de se glisser de temps en temps dans la peau d’un héros, même si d’habitude, je vais vers des personnages qui n’en sont pas. Encore que je considère qu’un héros, ça peut très bien être mon voisin, parce qu’il y a des situations où des hommes se dépassent dans la vie au quotidien et peuvent poser des actes héroïques. Il y avait cette dimension. Et puis, j’ai très vite compris que François Troukens avait envie d’un cinéma qu’on va appeler « grand public », avec de l’action, des revolvers, des cascades, de l’amitié, le code de l’honneur, ce qui fait les bons vieux gangsters, les vieux polars à la Melville. Il y avait une ambition de faire un film tel qu’on n’en produit pas souvent en Belgique.« 

François Troukens sur le tournage.
François Troukens sur le tournage.© Gaëtan Chekaiban

Côté francophone s’entend, où la production est généralement estampillée « auteur », à l’inverse de la Flandre, résolument décomplexée par rapport à un cinéma plus commercial. L’héritage d’une Histoire, bien sûr, à quoi s’ajoutent des raisons économiques: « On n’a pas l’argent nécessaire pour tourner ce genre de films. Tueurs s’est fait avec peu de moyens et a constitué un combat, avec beaucoup d’heures sup, on finissait pratiquement tous les jours à l’arraché. Dans le tunnel à Charleroi, on devait avoir terminé à quatre heures, parce que la circulation allait reprendre, et nous n’étions pratiquement nulle part à une demi-heure du bouclage de la journée. On a bouclé des scènes qu’on a refaites après dans un garage, n’ayant pas pu tout terminer, en simulant qu’on était dans le tunnel. On a joué sur des astuces et des trucs pour arriver à un résultat. Ce film nécessite plus de temps et d’argent, mais on le savait en démarrant, et on l’a pris comme un défi. C’est un début, il faut bien commencer par quelque chose, et qu’il y en ait pour oser. Peut-être qu’après, voyant que c’est possible, les productions ou les chaînes de télé seront plus enclines à donner de l’argent. »

Gendarmes et voleurs

Un voeu pieux? Voire. Tueurs n’a en tout cas pas à rougir de ses scènes d’action, qui font beaucoup mieux qu’illusion. Ainsi, par exemple, d’un braquage initial sous haute tension, dans la pure tradition du genre. Pour autant, le film n’est pas qu’adrénaline et embardées spectaculaires, qui repose aussi sur un fond humain, entre solidarité du groupe et code moral auquel on souhaiterait ne pas devoir déroger, avec la dimension psychologique que cela suppose. « Tueurs a été un montage un peu particulier, poursuit Olivier Gourmet. François a trouvé l’argent chez Versus, qui a demandé, comme c’était son premier film et vu qu’il n’avait pas d’expérience de la caméra et de l’image, qu’il soit accompagné. Jean-François (Hensgens, ndlr) est donc venu sur le projet et a coréalisé. Et si François partait vers un cinéma de genre, avec un scénario écrit dans ce sens-là, Jean-François était lui pour un film avec plus de psychologie. » Restait donc à trouver l’équilibre. Mais si frottements il y eut, le résultat ne s’en ressent pas, chacun ayant, de toute évidence, joué le jeu.

Parfois même au premier sens du terme, dans le chef de comédiens renouant avec un plaisir presque enfantin, en revisitant la partition bien connue des gendarmes et des voleurs. « C’est exactement ça, gendarmes et voleurs, il n’y a pas d’autres mots. Par moments, c’est un parcours ludique de parc d’attractions. Comme quand on va monter dans le wagon d’une montagne russe: on sait qu’on est parti et qu’il va y avoir des sensations. Et là, on est acteur complet: il y a l’adrénaline, la peur et le plaisir de se lancer dans un jeu d’action, mais en concret, avec les vrais éléments. Une dimension que l’on retrouve sur les scènes de braquage, les poursuites en voiture, le fait de se tirer dessus, de reculer, d’écraser. C’était très ludique. » Mais aussi intensément physique, et le film n’est pas allé sans sacrifices pour le comédien qui y apparaît émacié comme rarement, ayant sacrifié dix kilos pour la cause (poids qu’il s’est empressé de reprendre pour interpréter maître Dupond-Moretti). Un exercice de yo-yo n’ayant plus de secret pour lui, depuis qu’il dut perdre 27 kilos pour jouer dans Mon colonel, de Laurent Herbiet, en 2006. « J’en reviens toujours au même régime drastique, qui marche sur moi. Il fonctionne vite et est équilibré, je sais qu’il ne va pas me poser de problèmes de carences en vitamines. Et le yo-yo, je commence à maîtriser, parce que ça m’arrive de plus en plus souvent. Je m’y plie si c’est nécessaire. Pour Tueurs, ils n’ont même pas eu besoin de me le dire, c’était clair d’emblée, je leur en ai parlé le premier. » Le réalisme et l’énergie étaient à ce prix, même si Olivier Gourmet confesse en avoir bavé sur le tournage, lors de la scène du braquage par exemple, où les acteurs durent se coltiner des sacs remplis le temps de courses à travers couloirs et escaliers. Un parcours du combattant pour quatre ou cinq secondes écran tout au plus. « Quand je dis parcours de parc d’attractions, c’était plutôt d’accrobranche« , rigole-t-il avec le recul. Discipline pour laquelle il fait preuve de dispositions qu’on ne lui soupçonnait guère à vrai dire…

4 BELGO-POLARS

Le Bal masqué (Julien Vrebos, 1998)

Réalisateur venu de la télévision, Julien Vrebos signe, en 1998, son premier long métrage, Le Bal masqué, un thriller politique s’inspirant de… l’affaire des tueurs du Brabant. Et de reprendre à son compte la thèse de ballets roses impliquant jusqu’aux plus hautes personnalités de l’État, ayant entraîné un déchaînement de violence moins gratuit qu’il n’y paraissait, prétexte scénaristique à un film-fouillis aussi incohérent qu’harassant, où l’on retrouvait déjà Olivier Gourmet, dans le rôle d’un procureur…

Gourmet:

De zaak Alzheimer (La Mémoire du tueur) (Erik Van Looy, 2003)

Erik Van Looy adapte Jef Geeraerts dans un thriller anversois faisant converger autour d’un même réseau pédophile les trajectoires d’un commissaire zélé et d’un tueur à gages souffrant des premiers symptômes d’Alzheimer. Dispositif vaguement réminiscent de Memento, esthétique MTV au service d’une efficacité éprouvée, mano a mano concluant entre Jan Decleir et Koen De Bouw: De zaak Alzheimer dynamite le box-office flamand (plus de 700.000 entrées), Van Looy transformant ensuite l’essai avec Loft

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Dossier K. (Jan Verheyen, 2010)

On retrouve les héros de Jef Geeraerts, le commissaire Eric Vincke (Koen De Bouw) et son adjoint Freddy Verstuyft (Werner De Smedt) sept ans plus tard dans Dossier K., thriller signé par le prolifique Jan Verheyen. Gravitant autour de la mafia albanaise d’Anvers dans un climat de corruption et de rivalité des corps de police, le film est une réussite toute relative. Il totalisera néanmoins 450 000 entrées en Belgique, Verheyen lui donnant une suite tout récemment avec Het tweede gelaat

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Le Fidèle (Michael Roskam, 2017)

Autour de la rencontre entre un braqueur sentimental (Matthias Schoenaerts, complice… fidèle de son cinéma) et une jeune pilote automobile (Adèle Exarchopoulos), Michaël R. Roskam (Rundskop) livre un polar à l’esthétique soignée, film de genre fusionnant adrénaline et passion dans un style n’étant pas sans évoquer celui de Jacques Audiard -parenté, du reste, pleinement assumée, Le Fidèle étant cosigné par Thomas Bidegain, ci-devant scénariste de Un prophète, De rouille et d’os et Dheepan

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