Finding Dory: « Il n’y a rien de plus passionnant que d’observer le monde du point de vue d’un poisson »

Finding Dory/Le Monde de Dory © Disney/Pixar
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Treize ans après, Andrew Stanton donne une suite au carton Pixar Finding Nemo et en livre les secrets. Où il est question de transformisme, d’anticipation, de lesbianisme et de cuisine interne…

Si le big boss John Lasseter est devenu le Walt Disney de l’ère numérique, alors Andrew Stanton en est peut-être le Preston Blair. Entendez par là que l’on doit à cet animateur hors pair de personnages son lot d’impérissables moments de cinéma. A Bug’s Life, c’est (à moitié) lui. Finding Nemo, c’est lui. WALL-E, c’est encore lui. Dans la foulée, en 2012, il se fend d’un premier (et dernier?) film en live action, John Carter, et fait un four à ce point retentissant qu’il coûte le scalp de son président Rich Ross à Disney. Retour à la case Pixar donc aujourd’hui pour le tout jeune quinqua avec Finding Dory (lire la critique), une suite aux perspectives financières certes plus sécurisantes mais pas forcément moins ambitieuse pour autant. Explications en compagnie de l’intéressé, de passage tout récemment à Annecy le temps de son fameux Festival international du film d’animation.

On sait que l’élément aquatique amène des difficultés spécifiques en matière d’animation. Peut-on dire qu’il est techniquement plus facile aujourd’hui de réaliser un film en immersion comme celui-là?

Andrew Stanton
Andrew Stanton

Absolument. Il y a treize ans, réaliser un film sous l’eau n’était pas forcément chose aisée, mais le vrai challenge résidait en fait plutôt dans les séquences qui se passaient à la surface de la mer. Si vous revoyez Nemo, vous constaterez que l’on s’y contentait d’ailleurs le plus souvent de rester dans les profondeurs. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’obtenir un rendu réaliste de la surface de l’eau, de la manière dont la lumière s’y reflète…

Les studios Pixar semblent réaliser de plus en plus de suites. Et c’est loin d’être fini puisque Cars 3, Toy Story 4 et The Incredibles 2 sont déjà en chantier… Que se passe-t-il? Vous êtes un peu à court d’idées originales du côté d’Emeryville?

Il faut savoir que nous avons en permanence entre trois et cinq films en chantier chez Pixar. C’est un peu comme si on cuisinait plusieurs mini-repas en même temps: tant que l’histoire n’est pas assez bonne, le plat ne peut pas être servi. Il se trouve que, récemment, beaucoup de suites sont sorties du four en effet mais ce n’est pas quelque chose de prémédité. Nous ne voulons tout simplement pas sortir un film dont nous ne sommes pas satisfaits à 100%, même si pour cela il faut se résoudre à dire: « Il n’y aura pas de nouveau Pixar cette année, rien n’est prêt. » Aussi, nous n’abordons jamais une suite comme si ça allait être du gâteau. La barre doit toujours être placée à la même hauteur. Après tout, le troisième film de l’histoire des studios était Toy Story 2, et vous savez ce qu’il en est. Nous ne réalisons jamais un film dans l’idée de préparer le terrain pour un autre. Chaque long métrage Pixar est traité avec la même exigence et se doit de proposer un récit pleinement original. Quand j’ai signé Finding Nemo il y a treize ans, je pensais en avoir fini avec cet univers. Il se trouve qu’en 2011, je l’ai revu sur grand écran en vue d’une re-sortie du film en 3D. C’est la première fois que je le regardais en tant que pur spectateur et le personnage de Dory m’est apparu comme incomplet. Qui était-elle? D’où venait-elle? Je me sentais comme un parent qui n’aurait pas bien préparé son enfant pour le grand monde.

La réussite de Finding Dory tient beaucoup à son nouveau personnage, Hank, le poulpe transformiste. A lui seul, il pourrait justifier un troisième film dans l’univers de Nemo…

Finding Hank? C’est drôle parce que les gens commencent à beaucoup spéculer là-dessus. Il s’agit d’un personnage hyper cinématographique. Ses aptitudes « caméléonesques » fonctionnent en effet de manière purement visuelle. Ceci étant, je crois qu’il nous faudrait treize années supplémentaires pour arriver à bout d’un film comme celui-là: Hank a été un vrai casse-tête à animer. Il nous a fallu deux ans pour construire techniquement ce personnage. Et deux années supplémentaires pour l’animer vraiment.

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Finding Dory se déroule finalement davantage dans un parc aquatique que dans l’océan. Il semblerait que la vision du documentaire Blackfish, sur les limites et les dangers de la captivité des animaux marins, ait influé sur l’écriture du scénario…

Nous avons fait beaucoup de recherches, regardé de nombreux films et visité toute une série d’aquariums qui nous ont poussés à délivrer un message plus responsable au sujet de la vie marine et sa préservation. Nous voulions également anticiper certaines choses quant à la manière d’aborder la question de la captivité des animaux. C’est quelque chose que nous aimons beaucoup faire. Vous savez, quand nous travaillions sur WALL-E il y a dix ans, il nous semblait amusant d’imaginer des humains affalés les uns à côté des autres qui ne se parleraient que par écrans interposés. Regardez aujourd’hui…

A ce propos, les héros des films Pixar sont le plus souvent des animaux, des monstres, des robots, des jouets ou des voitures, et le portrait de l’humanité qui y est véhiculé par la bande n’est pas toujours très amène: enfants laids et malfaisants, adultes inutiles et irresponsables…

Oui, ce sont des Américains en somme (sourire). Plus sérieusement, c’est une question que l’on nous pose très souvent: « Pourquoi les gosses sont-ils à ce point diaboliques dans vos films? » Je ne sais pas: vous avez des enfants? Parce que si vous en avez, alors vous avez également la réponse. D’une manière générale, nous n’aimons rien tant qu’inverser les perspectives. Observer soudainement le monde du point de vue d’une machine ou d’un poisson, il n’y a rien de plus passionnant. Et puis c’est un principe de comédie universel: l’imperfection est source d’amusement.

Finding Dory
Finding Dory© Disney/Pixar

Une brève séquence du film fait déjà le buzz: certains prétendent en effet qu’elle montrerait un couple de lesbiennes et leur enfant en visite dans le parc aquatique…

Vous avez vu le film. Qu’en pensez-vous?

Disons qu’on n’est quand même pas loin de la pure spéculation…

Cette réponse me convient.

Ceci dit, Ellen DeGeneres, qui prête sa voix à Dory, est une icône gay et elle a déclaré dans une interview que le personnage de la raie pourrait être transgenre…

Ellen blaguait. Mais ce qu’elle voulait également dire par là c’est que vous pouvez imaginer ce que vous voulez. A vous de décider.

Vous-même, ne pensez-vous pas qu’il est important que la communauté LGBT soit représentée à l’écran? Il y a toute cette campagne sur le Net qui réclame par exemple que Disney donne une fiancée à Elsa, la Reine des neiges, dans Frozen 2

Il est bien sûr important que les films reflètent le monde dans lequel on vit. C’est ce que nous avons toujours cherché à faire chez Pixar. S’agissant de Dory, nous avons tout simplement essayé de « peupler » le parc aquatique de la manière la plus juste et réaliste possible. Mais honnêtement, nous ne nous sommes pas demandé quelle était la préférence sexuelle de ces deux femmes… Ce que je trouve amusant, c’est que les gens n’ont pas l’air de se poser cette question à propos de Fluke et Rudder, les deux lions de mer. Sérieusement? Deux mecs qui se partagent le même rocher en permanence…

John Carter, votre seule incursion à ce jour dans le cinéma en prises de vue réelles, s’est soldé par un échec cuisant. Comment analysez-vous ce plantage rétrospectivement?

J’aime John Carter et j’en suis fier. Honnêtement, c’est exactement le film que je voulais faire. Par contre, j’ai sans doute manqué de lucidité en pensant que son propos était universel. Je n’ai pas réalisé que cet univers de fantasy et de science-fiction impliquant de nouveaux mondes s’adressait sans doute plutôt à un public de niche (sic). Pour le coup, ce film avait vraiment été pensé comme le premier d’une trilogie et ça restera toujours pour moi une déception amère de n’avoir pu la mener à son terme.

Sables émouvants
Piper
Piper© Disney/Pixar

Chez Pixar, il y a toute une tradition du court métrage. Lequel fonctionne le plus souvent à la manière d’un laboratoire où tester des idées, techniques comme narratives, possiblement redistribuables dans de futurs longs. Montré en avant-programme de Finding Dory dans les salles, Piper ne déroge pas à la règle, qui présente une jeune bécasse des sables appelée à surmonter son aquaphobie afin de s’épanouir dans l’existence. Alan Barillaro, son réalisateur: « Piper a littéralement pris naissance dans un laboratoire de développement de logiciels. Ce n’était absolument pas destiné à devenir un film. Il s’agissait à l’origine d’un pur test technique. En animation, nous sommes en permanence obsédés par l’idée de perfectionner nos outils, et de rendre possibles des choses qui ne l’étaient pas jusque-là. L’amélioration de nos moyens d’expression nous aide tout simplement à construire de meilleurs personnages, et donc de meilleurs films. Après avoir terminé la supervision de l’animation sur Brave en 2012, je me suis lancé dans une série d’expérimentations. L’une d’entre elles consistait à travailler sur la forme d’un corbeau présent dans Brave pour en faire un oiseau des sables. C’est à ce moment que j’ai bien malgré moi commencé à me raconter des histoires: et si une vague géante déferlait soudainement sur cette fragile créature? »

La démarche résume à elle seule tout l’ADN des studios Pixar. Soit une simple division informatique chargée de la production d’un ordinateur qui s’est progressivement spécialisée dans la fiction animée. Faire avec des machines quelque chose qui a du coeur, en somme. Le motto cher au maître Lasseter ne dit d’ailleurs rien d’autre: « C’est l’art qui lance un défi à la technologie et c’est à la technologie de savoir inspirer l’art. » Barillaro: « La grande leçon que j’ai apprise chez Pixar est la suivante: la technique ne se suffit pas à elle-même. Un outil, aussi perfectionné soit-il, ne vaut rien s’il n’est pas au service d’une bonne histoire. Et cela reste vrai s’agissant d’un court métrage. Piper présentait un certain nombre de défis techniques: comment représenter un plumage humide, des grains de sable…? Mais il s’agissait avant tout d’avoir quelque chose à dire. Il faut parfois se méfier de ce que la technologie autorise également. Je ne pense pas qu’il faille absolument tendre vers plus de réalisme en animation, par exemple. Le but ultime n’est pas de copier le réel. Mais de le réinterpréter avec style et émotion. »

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