Fabrice Du Welz: « Je ne voulais pas faire une mignonnerie »

"J'aime l'idée du film comme un conte âpre et cruel, oui. C'est-à-dire que je ne voulais pas faire une mignonnerie." © KRIS DEWITTE
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Conte cruel de la jeunesse, Adoration voit le réalisateur belge Fabrice du Welz clôturer sa trilogie ardennaise sur un mode plus intime et moins frontal. Rencontre.

S’agissant d’Adoration, son sixième long métrage, Fabrice du Welz (Calvaire, Alleluia) se plaît volontiers à dire qu’il le perçoit comme son oeuvre la plus personnelle à ce jour. « Comme le film traite de l’enfance, il a nécessité une ouverture beaucoup plus grande chez moi. Je ne pouvais pas me cacher derrière un certain sens du grotesque ou de la violence graphique. Il fallait que j’affronte mon intimité de petit garçon. Je ne voulais absolument pas faire le film d’un adulte qui parle de l’enfance. Au contraire, je voulais un film à la première personne, qui épouse la perception de l’existence d’un enfant. À l’aube de l’adolescence, à ce moment précis où le corps change mais où l’innocence perdure. Entre deux mondes. »

Revisitant au fond la figure des amants criminels sur le mode de l’âge tendre, le film embrasse en effet le point de vue de Paul, un jeune garçon solitaire, au moment de sa rencontre avec Gloria, la nouvelle patiente de la clinique psychiatrique où travaille sa mère. Littéralement frappé d’amour pour cette adolescente trouble et solaire, il décide de prendre la tangente avec elle, point de départ d’une échappée belle où l’amour et la folie tendent à se confondre. « Je pense, oui, que l’amour est le sentiment le plus proche de la folie. La projection amoureuse est quelque chose qui m’a toujours beaucoup intéressé parce qu’elle m’apparaît comme profondément cinématographique. Ici, je voulais la creuser d’une manière moins frontale, plus libérée. Il y a l’idée d’une délivrance, d’un chemin quasiment mystique chez Paul, qui est éveillé à quelque chose de sacré, l’amour, sentiment transcendant par excellence qui le conduit vers un état de grâce, de lumière. Même si la nature même de cette lumière reste ambivalente. Tout ça me permet avant tout de poser un geste poétique de mise en scène. Parce que mon obsession, in fine, c’est toujours le cinéma. C’est de faire des films de mise en scène. Il n’y a que ça qui m’intéresse. Le regard. »

Fabrice Du Welz:
© KRIS DEWITTE

Réveiller les monstres et les fées

Adoration s’ouvre sur une citation de Boileau-Narcejac: « Il suffit d’un peu d’imagination pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain d’une signification inquiétante, pour que le décor de notre vie quotidienne engendre un monde fantastique. Il dépend de chacun de nous de réveiller les monstres et les fées. » À sa suite, Fabrice du Welz convoque constamment l’univers des contes, où la forêt redevient le lieu originel du fantastique, de la peur et du rêve, quelque part entre Hansel et Gretel et Le Petit Chaperon rouge. « J’aime l’idée du film comme un conte âpre et cruel, oui. C’est-à-dire que je ne voulais pas faire une mignonnerie. Moi je pense que l’enfance est un moment éminemment violent, où nous sommes traversés par une pulsion de vie qui est terrible. J’avais envie de témoigner de ça. »

Comme souvent chez du Welz, Adoration ne manque pas d’énergie visuelle, d’une certaine puissance évocatrice, mais apparaît un peu court en termes d’écriture. Les (belles) images y manquent fréquemment de liant, et les personnages de consistance. À l’instar du dernier acte du film, qui a tendance à finir en eau de boudin. Évoquant les correspondances entre Calvaire, Alleluia et Adoration, soit les trois films qui composent ce qu’il convient désormais d’appeler sa trilogie ardennaise, le réalisateur lui-même semble conscientiser les faiblesses de son modus operandi. « C’est-à-dire que je pense que la grande force de ces trois films, c’est l’errance, la déconstruction par l’errance, le fait d’aller dans les marécages. Mais c’est aussi sa limite. L’errance, c’est une limite dramaturgique. Aujourd’hui, j’ai envie de continuer à explorer la déconstruction du couple, de l’obsession, de la folie ou de l’amour, mais dans un cadre plus construit d’un point de vue dramaturgique. Parce que là j’ai le sentiment d’être un peu arrivé au bout de quelque chose. »

Fabrice Du Welz:
© KRIS DEWITTE

Son prochain long métrage, Inexorable, du Welz le tournera déjà au printemps 2020. Il l’annonce à nouveau comme très personnel et promet que c’en est désormais fini de ces nanars de commande qui plombent sa filmographie (la désastreuse expérience française de Colt 45 avec Gérard Lanvin et JoeyStarr, la guère plus convaincante expérience américaine de Message from the King avec Chadwick Boseman et Luke Evans). « L’épisode américain m’a complètement achevé par rapport à mes plans de mercenaire. Ce qui s’est passé, c’est que je me suis un peu perdu dans ma quête de reconnaissance internationale. J’acceptais un film de commande en me disant que ça allait me permettre de faire quelque chose de plus ambitieux derrière. Mais en fait, non. Avec ces films, je me frottais à un système qui n’était pas le mien, avec une industrie qui était écrasante. Comme j’ai un tempérament très vif, je résistais beaucoup, et je m’épuisais. Aujourd’hui plus que jamais, je suis vraiment déterminé à passer une vitesse, à tourner plus et surtout à tourner pour moi. Ma mère m’a toujours dit: « Choisir c’est renoncer« . Il m’a fallu 47 ans pour me rendre compte qu’elle avait raison. Je dois renoncer à certaines choses parce que j’ai choisi aujourd’hui de travailler à ma putain de filmographie et il n’y a plus que ça qui m’intéresse. Bosser dans le conflit, je ne veux plus. C’est un travail d’équipe, le cinéma. »

Adoration. De Fabrice du Welz. Avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde. 1 h 38. Sortie: 15/01. ***

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