En attendant les hirondelles, un « printemps des individus »
A plus de 40 ans, Karim Moussaoui dévoile ce mercredi son premier long métrage, En attendant les hirondelles. Sélectionné cette année à Cannes dans la catégorie Un certain regard, il était également présenté au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) en septembre, où nous avons rencontré son réalisateur.
Un promoteur immobilier assiste à une agression, un couple se retrouve, et un médecin est confronté à son passé et au viol collectif d’une femme. Les trois histoires de En attendant les hirondelles dépeignent l’Algérie contemporaine, la fougue de sa jeunesse comme la désillusion de ses aînés. Après trois courts métrages dont Les jours d’avant, prix du jury au FIFF 2013, Karim Moussaoui montre brillamment qu’il ne perd pas sa pertinence en passant au format long. Le réalisateur, également engagé à Alger au sein de Chrysalide, une association culturelle de promotion du cinéma, explore ici une large diversité de milieux sociaux et de décors. Quelques mois après la folie du festival de Cannes, où En attendant les hirondelles a reçu un bon accueil, il livre son regard sur son pays et son film autour d’un café, à l’occasion du FIFF.
Pourquoi avoir choisi le titre En attendant les hirondelles?
Même si l’on fait souvent le rapprochement avec le printemps arabe, cela n’a rien à voir. Évidemment, le titre fait allusion au printemps, la saison, mais je parlais d’un printemps qui serait celui des individus, et pas dans le sens politique tel qu’on le connaît. C’est un titre que j’ai trouvé en 2009 et à l’époque, je souhaitais écrire un scénario autour de ces choses qui me tracassent, me gênent. On va donc parler de ça en attendant le printemps, que ça aille mieux. Selon moi, chaque pays a son printemps à sa manière.
Qu’entendez-vous par « printemps des individus »?
C’est lorsque le corps et l’esprit marchent ensemble, que les individus sont sereins et qu’ils peuvent faire les choix qu’ils veulent et les assumer. C’est être en harmonie avec les autres et en cohérence avec soi même, comme on le voit dans le film.
Qu’est-ce qui vous a inspiré les trois histoires que vous racontez dans le film?
D’abord, ce qui m’intéressait, c’était de pointer le problème du choix individuel au sein de la société qui est la mienne. J’ai constaté qu’on cherchait une espèce de système à appliquer sur les pays mais ça ne marche pas comme ça. Ce sont les individus qui ont des désirs, qui font des choix de vie, et qui disent « voilà, nous on décide maintenant de vivre de cette manière-là, c’est ça qui nous convient ». De ce choix-là découle une politique, un système et non l’inverse. Et j’avais donc envie de raconter ces endroits du non-choix. Ceux qui font des choix différents, qui tentent, qui osent, donnent l’exemple quelque part par leur courage et leur proposition de vivre différemment. Pour moi, le commencement du changement est là: à une échelle très petite et pourtant très importante. En une fraction de seconde, on est amenés à faire des choix, tous les jours, qui nous semblent anodins et sans impact sur l’ensemble du pays: est-ce que je vais accorder cinq minutes à cette personne qui est seule et souffre peut-être ? Est-ce que je décide d’arrêter un travail oppressant? Il y a l’idée du « Et si…? » Et je pense que c’est ce type d’engagement qui tend à disparaître, l’engagement quotidien.
Vos personnages, dans le film, font face à ces dilemmes.
Malheureusement, tous mes personnages sont dans le calcul. Ils sont pour le moment dans un endroit un peu sûr, clair. Et puis, ils vont peut-être aller dans un endroit inconnu, sans connaître les conséquences de cela. Il y a une peur qui empêche ces personnages de franchir le pas. En même temps, ils sont malheureux parce que leur désir est ailleurs. Il est dans une envie de se dépasser, d’aller secourir quelqu’un. La conscience du premier personnage le travaille beaucoup par exemple. Il se demande si les policiers sont là pour lui, si la personne dans le coma est celle qu’il n’a pas aidé… Alors qu’en donnant juste un coup de fil ou en allant voir la personne par terre, il aurait, certes, peut-être été en danger et impliqué dans quelque chose d’inconnu, mais peut-être aussi qu’il aurait été plus content de lui. Et c’est pareil pour le deuxième personnage, celle qui retrouve un homme qu’elle a aimé et aime toujours. On voit clairement que son coeur ne bat que pour lui, mais qu’est-ce qu’il lui propose à part son amour? A priori, ce n’est pas suffisant, elle préfère aller là où c’est sûr. Mais je ne dis pas que c’est facile!
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Dans votre film, l’idée de mouvement est très présente, à travers des scènes de danse notamment. Pourquoi?
Je vis dans un pays, l’Algérie, où j’ai l’impression que rien ne bouge. C’est même l’un de mes personnages qui le dit dans En attendant les hirondelles. Je souhaitais aller à l’encontre de cela, montrer que l’Homme est fait pour bouger, pour être dans un changement constant. Le travail nous a figé, avec des tâches répétitives, mais notre nature est ailleurs. J’aimais donc l’idée d’inclure des scènes de danse, qui expriment à la fois les sentiments des personnages mais aussi ceux des spectateurs, qui sont heureux de voir le couple de la deuxième histoire se retrouver par exemple. J’avais aussi envie que l’idée de mouvement soit présente dans l’errance, avec des personnages qui se croisent et se recroisent.
Pourquoi avoir choisi de laisser une part de mystère à la fin de chaque histoire?
Quand ça se règle pour un personnage au cinéma, le spectateur a toujours l’impression que c’est terminé pour lui aussi, il est soulagé. Moi je n’avais pas envie de ça. Je trouve ça plus universel de laisser les gens s’imaginer ce qu’ils souhaitent. D’ailleurs, la fin de la troisième histoire pourrait mener vers une autre mais je pense que mes producteurs m’auraient détesté d’avoir fait un film de quatre heures (rires).
Salammbô Marie
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