Élodie Bouchez: « Aucun Français ne filme aussi bien les États-Unis que Quentin Dupieux »

Élodie Bouchez dans Réalité de Quentin Dupieux © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Depuis une bonne vingtaine d’années, l’actrice joue les électrons libres dans le cinéma français et au-delà. Une ligne qui la conduit aujourd’hui devant la caméra de Quentin Dupieux pour un Réalité forcément peu banal…

Regard ardent sur bouche lippue, corps sec pour jeu électrique: longtemps, Elodie Bouchez a semblé taillée pour les emplois d’écorchée vive. Un profil qui lui a valu, prolongement d’une série de rôles incandescents, une reconnaissance précoce: César du Meilleur espoir féminin pour Les Roseaux sauvages, d’André Téchiné, en 2005; prix d’interprétation à Cannes en compagnie de Natacha Régnier trois ans plus tard pour La Vie rêvée des anges, d’Erick Zonca, qu’allait suivre encore une composition brûlante devant la caméra d’Abdellatif Kechiche dans La Faute à Voltaire. Le tout, expédié à pas même 30 ans.

L’actrice devait s’employer, ensuite, à brouiller les pistes, passant d’une trilogie avec Jean-Marc Barr au Petit poucet revisité par Olivier Dahan; d’une incursion dans la famille Coppola (CQ, de Roman, fils et frère de) au Brice de Nice, de James Huth, et l’on en passe, guère moins insolites. Elodie Bouchez a ainsi, pêle-mêle, donné la réplique à Robin Wright dans Sorry, Haters, été de quelques épisodes de la série The L Word, ou compté parmi les Happy Few d’Antony Cordier. Le tout, avec un bonheur inégal, et entrecoupé de diverses éclipses, manière aussi de ne pas se laisser enfermer dans un moule, encore qu’elle assure ne jamais en avoir ressenti la menace. « Je peux avoir l’image d’avoir appartenu de manière très forte à un cinéma réaliste, naturaliste, social. C’est un peu ce qui m’a dessinée. Mais je ne me suis jamais sentie prisonnière de ces films parce que je les aime vraiment, et j’en connais la folie, qui pousse les caractères assez loin… » On lui prêtera donc plutôt un tempérament aventureux. Et l’on n’est guère étonné, à vrai dire, de la retrouver aujourd’hui devant la caméra de Quentin Dupieux, électron libre patenté du cinéma français, l’auteur des inénarrables Rubber et autre Wrong. Après avoir notamment mis en scène un pneu carnivore, le cinéaste s’emploie cette fois à flouter la Réalité au prix d’une mise en abîme tenant du principe comme du doux délire. Et de se mettre en quête du gémissement ultime de l’histoire du cinéma, celui que devra enregistrer Jason Tantra, un caméraman, pour voir enfin se concrétiser son rêve de réaliser son premier film d’horreur. Tandis qu’Alain Chabat s’égosille dans le rôle principal, Elodie Bouchez étonne à ses côtés, psychanalyste au tailleur strict ayant le don de ramener le doux rêveur sur terre –« c’est le personnage qui sort à chaque fois le spectateur et Alain du rêve ou du cauchemar, pour ramener à la réalité, au concret, au couple », observe-t-elle.

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Avec Quentin Dupieux, on parlait donc de rendez-vous programmé, pour ainsi dire. Et l’actrice abonde dans ce sens, lorsqu’elle assure « avoir vu tous ses films au fur et à mesure qu’il les a réalisés. Je suis sensible à son humour, et j’aime la manière dont il regarde les choses et les paysages qu’il filme. Pour s’en tenir à ses trois derniers longs métrages, je n’avais jamais vu de réalisateur français filmer aussi bien les Etats-Unis, et notamment Los Angeles et sa région. Ce qu’il attrape avec sa caméra, correspond à ce que j’aime là-bas, le côté un peu intemporel, la ville dans la nature et dans le désert. Les frontières alentour sont très fines… » Si bien qu’après avoir lu le scénario de Réalité, elle décide de passer une audition, à la surprise du réalisateur –« il n’avait pas du tout pensé à quelqu’un comme moi, ni au niveau physique, ni de l’âge »-, qui l’encourage toutefois. Le début d’une aventure, dont elle n’aura qu’à se féliciter: « Quand on est sur un tournage avec un metteur en scène aussi précis, avec une aussi forte personnalité et tellement d’enthousiasme, que le scénario est béton, c’est très facile pour un acteur. Il faut juste être sur le plateau, et faire ce qu’il y a à faire. A l’inverse, si rien n’est béton, on est bancal… »

De ces aléas, Elodie Bouchez explique tenter de se préserver en se limitant –« voilà pourquoi je ne tourne pas beaucoup. Je vais vers les choses qui me parlent ». Et si, vue de l’extérieur, sa filmographie ressemble à un pas de deux, un pied dans le cinéma français, l’autre dans le cinéma américain, elle raconte pourtant envisager les choses autrement: « Je n’ai pas eu envie de jouer totalement l’aventure américaine, donc je prends ces opportunités comme des cadeaux. Ce que je fais là-bas, ce sont plus des bonus, des aventures. Mais je sens que j’appartiens totalement au cinéma français. » Voire même franchouillard à l’occasion, comme lorsqu’elle se risque dans La Grande Boucle, mue par l’opportunité d’y retrouver des acteurs qu’elle apprécie, les Bruno Lochet, Bouli Lanners ou autre Clovis Cornillac, mais aussi par une envie de légèreté. « Après, ce n’est quand même pas ce qui me correspond le plus, ni ce qui me rend heureuse, sourit-elle. Il n’y avait pas vraiment de regard porté sur mon personnage. Et j’ai besoin d’un regard, à la fois en tant qu’actrice et en tant que personnage. Mais je n’ai pas de regrets, parce que je limite mes choix aux vrais élans que je peux avoir. Donc, en général, je ne me trompe pas. Faire La Grande Boucle m’a montré qu’il fallait que je garde ma ligne. Il ne s’agit pas de ne faire que des films d’auteur, mais c’est conserver une exigence quand même… »

Réalité. De Quentin Dupieux. Avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Elodie Bouchez. 1h27. Sortie: 25/02. ***

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