Drôle de père, une rencontre touchante à la « frontière entre fiction et réalité »
Amélie Van Elmbt raconte la difficulté et la complexité d’être parent dans Drôle de père, son deuxième film en tant que réalisatrice. Elle y fait jouer l’acteur Thomas Blanchard (Le Voyage au Groenland) dans le rôle principal. Nous les avons rencontrés au dernier FIFF à Namur.
En 2012, la réalisatrice belge Amélie Van Elmbt remporte le prix de la meilleure jeune cinéaste au Festival du premier film de New York pour son premier long métrage, La Tête la première. Le film, également nommé au FIFF et dans la sélection ACID du Festival de Cannes, a été entièrement tourné de manière bénévole. Cinq ans plus tard, elle dévoile sa deuxième oeuvre, Drôle de père. Elle y raconte l’histoire d’Antoine, qui revient à Bruxelles après cinq années d’absence (coïncidence?), et rencontre pour la première fois sa fille, Elsa. La mère, Camille, doit partir précipitamment et laisse l’enfant à Antoine, jeune père démuni face à cette petite fille qu’il découvre à peine. Amélie Van Elmbt, originaire de Namur, embarque avec elle l’acteur français Thomas Blanchard (vu notamment dans Le Voyage au Groenland et Préjudice) et sa propre fille, Lina Doillon, pour incarner les rôles principaux. Le trio, qui fonctionne à merveille, était présent pour présenter le film au FIFF en septembre. Il en repartira avec le Prix Cinévox et le Prix de la Critique sous le bras. Nous avons discuté avec Thomas Blanchard et Amélie Van Elmbt, avant la première de Drôle de père, du tournage de ce film touchant et très personnel.
Comment vous êtes-vous rencontrés?
Thomas Blanchard: À Namur justement, le lendemain de la projection de Préjudice, il y a deux ans. Amélie l’a vu et a pensé à moi pour le rôle d’Antoine. Puis, on s’est vus plusieurs fois et elle a réécrit des passages en fonction de ce qu’elle imaginait de moi. Je savais, dès la rencontre, que j’avais envie de travailler avec Amélie parce que je trouvais qu’elle avait une vraie vision de cinéma.
Amélie, pourquoi avez-vous souhaité que votre fille, Lina Doillon, tienne l’un des rôles principaux de Drôle de père?
Amélie Van Elmbt: Parce que c’est la matière première vivante que j’ai sous les yeux au quotidien et que je trouvais ça hyper riche, de la regarder grandir. Après mon premier film, j’ai vraiment consacré beaucoup de temps à son éducation, mais j’avais aussi envie de travailler dans le cinéma. Drôle de père a donc émergé de là. Et la question qui m’intéressait beaucoup aussi était le prisme de la paternité, d’essayer de comprendre ce qui fait un père, comment il se dessine. Ce n’est pas du tout le même processus que pour la mère, c’est davantage lié à la parole parce que la femme apprend la grossesse à l’homme qu’elle aime par ce biais. Puis, vient ensuite la reconnaissance, du côté de l’enfant et du père, pour que ça fonctionne. Quand la naissance et la petite enfance n’ont pas été vécus par l’un et par l’autre, comme dans le film, c’est beaucoup compliqué pour que la relation s’imprime et existe. En fait, je voulais prendre l’opposé de ce que moi j’avais vécu. J’aimais également l’idée de faire exister les moments du repas dans le film, puisque ce sont les instants où j’ai le plus de plaisir à passer du temps avec ma fille, où elle se révèle le plus, avec une notion d’apprentissage qui est chouette. J’ai aussi plein d’images en tête de moi et de ma mère, de nos moments privilégiés, vécus à travers la cuisine. Le fait que le personnage d’Antoine soit cuisinier n’est donc pas du tout innocent.
Dans le film, on sent que le personnage d’Antoine, joué par Thomas, devient de plus en plus calme et heureux à mesure qu’il connaît Elsa, jouée par Lina.
Amélie Van Elmbt: Tout à fait. Antoine est un personnage qui a beaucoup investi dans son travail, en pensant que l’affectif n’était pas la chose la plus importante à ce moment-là dans sa vie. Puis, il a une intuition soudaine que c’est le bon moment pour revenir, sans trop savoir ce qu’il y a derrière ça. Et ce qui est beau, c’est que sa fille lui donne la chose qui lui manquait, elle remplit sa vie d’amour et le rend plus humain. Ce que dit le film, c’est que les enfants nous apprennent à grandir mais aussi à revenir à nous-mêmes. Ils ont cette intuition de l’autre, ils sont comme des éponges qui ressentent les émotions de manière très forte. Souvent, dans la vraie vie, Lina me dit des vérités sur moi que je n’ai jamais entendu auparavant. Il n’y a pas de triche avec les enfants, ils vont toujours trouver nos failles. Il vaut mieux être vrai en leur présence: eux, ils ne jouent rien, ils sont vraiment. C’est pour ça que j’avais l’idée de travailler dans la durée, d’utiliser du temps quasiment réel, même si dans la narration, il n’y a pas énormément d’enjeux et de rebondissements. J’avais envie que le spectateur ressente ce que ça veut dire de passer une journée ou trois avec un enfant.
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Comment s’est passé le tournage avec Lina?
Amélie Van Elmbt: Thomas et Lina se sont rencontrés directement au moment du tournage, pour jouer la rencontre entre les deux personnages à ce moment-là. On voulait que le lien se créé dans la vie et non pas que ce qu’on voit à l’écran soit complètement fabriqué. Même si elle est devenue actrice, il n’y a aucun moment où Lina ment sur ce qu’elle ressent ou vit avec Thomas. La manière d’être l’un avec l’autre, de se regarder, de se toucher, évoluent en même temps que l’histoire, et c’est ça que je souhaitais. Mais je savais que je prenais un gros risque à ce que Lina et Thomas ne se rencontrent pas avant. L’histoire aurait pu devenir totalement autre chose. L’idée était de garder une certaine liberté et une spontanéité dans ce que Lina pouvait incarner, de ne pas lui faire apprendre un texte par coeur. Elle avait un scénario visuel, qu’elle avait elle-même dessiné pour chaque scène, et qu’elle se remémorait lorsqu’on tournait. Parfois, elle a proposé des choses, amené des idées comme la blague qu’elle raconte à l’écran. Il y a une frontière entre la fiction et la réalité avec laquelle j’aime beaucoup jouer dans mon travail et je voulais rendre quelque chose d’assez véritable.
La complicité que l’on voit à l’écran entre Thomas et Lina s’est donc vraiment créée dans la vie?
Thomas Blanchard: Oui, totalement! On a été surpris, je pense, l’un et l’autre, parce que notre relation s’est construite comme ça, au fil du temps et de ce qu’on traversait ensemble. Lina ne savait pas que j’étais son père jusqu’à la fin du tournage, donc elle n’a pas du tout développé notre lien dans l’idée même que j’incarnais une figure paternelle. Elle a plutôt noué une complicité amicale avec moi, et elle a vraiment tout compris à la dernière scène du film. C’était émouvant à vivre, pour Amélie et moi. On devait garder le secret pendant le tournage, elle ne savait pas ce qui se jouait entre les adultes, comme son personnage, Elsa, dans le film.
Une scène en particulier a-t-elle été plus difficile à jouer que les autres?
Thomas Blanchard: Je pense au début du tournage, surtout pour Lina, parce qu’il y a eu un vrai déclic à partir du moment où elle a compris comment le plateau de cinéma fonctionnait et quelle place elle y avait. On travaillait selon son rythme à elle: elle donnait le clap pour commencer à tourner, et elle savait que c’était son espace à elle, son moment, celui où elle devait être là. C’est vraiment un truc d’acteur, et elle l’a vécu pleinement.
Salammbô Marie
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