De L’Équipée sauvage à Trainspotting, petite histoire du film générationnel

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Trainspotting, Danny Boyle ne suivait pas seulement une bande de junkies pathétiques de Edinburgh, il dressait le portrait grinçant d’une époque, signant, sur les pas de Renton, Spud, Begbie et des autres, un modèle de film générationnel.

Le Lust for Life de Iggy Pop à fond le surround, et la voix off d’Ewan McGregor égrenant les perspectives d’une morne existence, en contrepoint d’une course effrénée sur le pavé édimbourgeois: l’ouverture de Trainspotting a fait date dans l’histoire du cinéma contemporain, le film réalisé par Danny Boyle en 1996 doublant le portrait cocasse d’une bande de junkies locaux de celui, grinçant, d’une époque dont il prenait le pouls convulsif. Soit, boostée par une irrésistible bande-son opérant le basculement des 80’s aux 90’s, la recette, explosive pour le coup, de ce qu’il convient d’appeler un film générationnel, à l’écoute des (non-)aspirations d’une jeunesse post No Future que le cinéaste se garderait bien de juger.

Malaise de la jeunesse

The Breakfast Club.
The Breakfast Club.© Universal/courtesy Everett

S’il signait là un modèle du genre, film culte à l’aura persistante, Boyle s’engageait dans une voie que d’autres avaient balisée avant lui. Dès 1929 par exemple, Robert Siodmak et Edgar George Ulmer accompagnaient dans Menschen am Sonntag (Les Hommes le dimanche), dernier grand film muet allemand, les déambulations de jeunes Berlinois évoluant dans l’insouciance des « années folles » sous la république de Weimar. Instants précaires que ceux-là, la crise rattrapant bientôt tout ce beau monde, avec les conséquences funestes que l’on sait. Vingt ans plus tard, Jacques Becker esquisse, dans Rendez-vous de juillet, le portrait d’une bande de copains et celui de la jeunesse française de l’après-guerre avec ses aspirations au changement, préfigurant l’avènement de la Nouvelle Vague. C’est toutefois aux Etats-Unis, avec les années 50, que le film générationnel prend son essor définitif, le cinéma s’employant à cerner le malaise de la jeunesse américaine: à la tête des motards du Black Rebel Motorcycle Club, Marlon Brando donne le ton dans The Wild One (L’Équipée sauvage), de Laslo Benedek, faisant frémir la population d’une petite bourgade californienne et aiguillonnant la conscience de l’Amérique. Mais c’est Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre), de Nicholas Ray, qui vaut ses lettres de noblesse au genre, non sans consacrer la gloire de James Dean, laquelle dépassera largement le cadre de l’époque.

Easy Rider.
Easy Rider.© DR

À compter de là, et aussi parce que l’industrie du 7e art a pris conscience de l’émergence de ce groupe social que constituent les « jeunes », les films générationnels vont se multiplier -phénomène qu’illustre, en France, Les Tricheurs de Marcel Carné, exemple de film opportuniste. À l’opposé, la Nouvelle Vague ne se contente pas d’imposer un renouvellement des cadres, elle modifie aussi le corps même du cinéma: « Elle a filmé la jeunesse, a capté ses habitudes, ses manières de parler, a offert aux jeunes spectateurs de jeunes acteurs incarnant les histoires de jeunes cinéastes« , écrit justement Antoine de Baecque dans La Nouvelle Vague: portrait d’une jeunesse, le postulat valant des Cousins de Chabrol à À bout de souffle de Godard, parmi d’autres, non sans générer une mythologie propre.

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Si aucun mouvement sans doute n’a su, par la suite, coller d’aussi près à l’essence de la jeunesse, le cinéma générationnel n’a cessé cependant de gagner en importance, la production épousant les fluctuations de la société. Venant dans la foulée de films de motards de série B, Easy Rider, de Dennis Hopper, a su capter, en 1969, l’élan de liberté généré par le mouvement hippie, comme pour mieux se fracasser en bout de route; George Lucas opère, dans American Graffiti, un mouvement inverse, pour une évocation nostalgique de l’Amérique pré-Vietnam sur les pas d’ados gravitant de snack-bar en drive-in; un John Hughes bâtira toute sa carrière sur les affres des ados des années 80, de The Breakfast Club à Ferris Bueller’s Day Off. Et l’on en passe, le genre se prêtant il est vrai à des déclinaisons innombrables: ainsi, encore, de l’excellent Whit Stillman, s’employant au portrait de la jeunesse huppée de Manhattan dans Metropolitan; de Cameron Crowe cadrant celle du Seattle grunge dans Singles; de Ben Stiller prenant le pouls de la génération X dans Reality Bites -Génération 90 en français, c’est tout dire. Du reste, le film générationnel n’a-t-il pas de frontières, Hou Hsiao-hsien en offrant une lecture taïwanaise dans Les Garçons de Fengkuei; Jia Zhang-ke le pendant chinois dans Platform et Arnaud Desplechin la version germanopratine dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle).

La liste en est ainsi pratiquement infinie -question de sensibilité également-, à laquelle on pourrait encore ajouter le Paranoid Park de Gus Van Sant, une bonne partie de l’oeuvre de Gregg Araki, auteur avec Totally F***ed Up, The Doom Generation et Nowhere d’une Teen Apocalypse Trilogy sous acide, ou encore les multiples Very Bad Trip prenant le parti d’une dégénérescence imbibée du mâle américain. À quoi l’on pourrait opposer, en mode nettement moins déjanté, L’Auberge espagnole et ses succédanés, Les Poupées russes puis Casse-tête chinois, saga estudiantine consacrée par Cédric Klapisch à la génération « Erasmus ». À moins, mondialisation aidant, qu’on ne leur préfère Diamond Island de Davy Chou, magistral portrait d’une jeunesse cambodgienne à l’affût d’un présent et d’un futur incertains. Voire enfin Bande de filles où Céline Sciamma revisitait La Fureur de vivre au féminin black contemporain -manière aussi de refermer provisoirement la boucle.

Danny Boyle, 20 ans après

Retour d’acide. Où Danny Boyle revient sur la genèse d’un film forcément attendu…

© Paul Cooper/REX Shutterstock

C’est avec un mélange de curiosité, de scepticisme et même d’appréhension que l’on avait accueilli la nouvelle d’une seconde cuvée réunissant, 20 ans plus tard, les protagonistes de Trainspotting, un film ayant fait date dans l’Histoire du cinéma, britannique et au-delà. À l’autopsie, T2 Trainspotting,comme il convient de l’appeler, tient plutôt bien la distance. Sans pouvoir prétendre ni à l’urgence, ni à l’impact de l’original, il y a là une relance mieux qu’honorable, ayant pour bonne part substitué aux substances acides l’amertume du temps qui passe. Un décalage totalement assumé pour une relecture qui, si elle cite abondamment son modèle, ne s’en veut pas la suite, et encore moins le remake, comme l’expliquait Danny Boyle lors de sa conférence de presse berlinoise. « Nous voulions faire un film indépendant du premier, avec lequel il entretiendrait un dialogue. L’intérêt du public pour Trainspotting n’ayant pas faibli, nous avons voulu y revenir et retrouver les mêmes acteurs dans leurs rôles. Nous sommes d’abord partis de Porno, la suite écrite par Irvine Welsh dix ans plus tard. Mais si la première adaptation, fidèle, de John Hodge (déjà scénariste de Trainspotting, NDLR) tenait la route, je ne l’ai pas fait suivre aux acteurs dont je savais qu’ils refuseraient: il ne s’agissait pas de décevoir les spectateurs avec une suite sans autre raison d’être. Et puis, il y a deux ans de cela, nous nous sommes retrouvés à Edinburgh Irvine, John, les producteurs et moi, nous avons discuté du roman et John a cette fois écrit quelque chose de beaucoup plus personnel, touchant au temps et à l’évolution du comportement masculin au regard de celui-ci. J’ai lu ce scénario encore inachevé et j’ai su que les comédiens voudraient en être. Tout s’est donc fait à l’instinct, ils ont accepté, et nous voilà aujourd’hui à la Berlinale.« 

Et de fait, si le film, qui s’ouvre sur le retour de Mark Renton (Ewan McGregor) à Edinburgh, est souvent très drôle, il tient aussi de bilan intermédiaire de l’existence, traversé par la sourde angoisse du temps qui passe. Et Boyle d’enfoncer le clou: « C’est aussi un film assez douloureux. Je savais que les acteurs injecteraient leur propre expérience dans les personnages, et que nous obtiendrions un résultat pouvant tutoyer l’original, et non juste une redite ou un retour. » Histoire de marquer le coup, le réalisateur a tenu à un titre s’écartant de celui de l’original -d’où ce T2, réminiscent, bien sûr, du Terminator de James Cameron. « Nous nous sommes dit que si les personnages avaient dû lui trouver un titre, ils l’auraient baptisé d’après l’un des meilleurs films jamais tournés à leurs yeux. D’où Terminator 2, par un des plus grands cinéastes en activité. Une façon, pour eux, de lui rendre hommage et de le chambrer un peu… » Même exercice de citation et de distanciation au niveau de la bande-son, familière mais différente: « Nous voulions renouer avec la puissance de l’original. Il y avait là un outil de choix, même si nous nous sommes juré de ne pas reprendre la même musique, mais de la repenser et de la remixer. Nous avons eu la chance que Prodigy accepte de faire un remix du Lust for Life de Iggy Pop, et qu’Underworld réimagine son Born Slippy. Nous jouons de la mémoire musculaire, mais nous y avons aussi adjoint un soundtrack moderne, et une pulsation contemporaine, en faisant appel à un groupe d’Edinburgh, The Young Fathers. » Manière de renouer avec l’ADN de l’histoire imaginée par Irvine Welsh, tout en tirant le meilleur parti d’une fibre nostalgique dont Danny Boyle constate qu’elle constitue « une ressource et un ennemi en même temps. Il faut l’avoir sous contrôle…« . Histoire de la transcender. Choose life, en somme…

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