Critique

Dark Shadows

COMÉDIE FANTASTIQUE | Adaptant une série TV culte de la fin des années 60, Tim Burton signe une fantasmagorie gothique brillante, projetant un vampire du XVIIIe siècle dans l’Amérique de 1972, entre anachronismes et éternité.

Dark Shadows, comédie fantastique de Tim Burton. Avec Johnny Depp, Eva Green, Michelle Pfeiffer. 1h52. Sortie: 09/05. ****

Voilà quelques films maintenant que Tim Burton semblait s’être installé dans un ronron relatif. Non que Sweeney Todd, son musical baroque sanguinolent, ni même Charlie et la chocolaterie ou Alice in Wonderland, ses relectures de contes pour enfants, aient été dénués de qualités, loin s’en faut. A croire cependant qu’une forme de routine s’était, insidieusement, insinuée dans les rouages de son imaginaire, le sanglant dans des schémas désormais prévisibles. A cet égard, c’est peu dire que Dark Shadows viendra à point nommé pour rassurer les aficionados du réalisateur de Edward Scissorhands et Ed Wood. Lequel, s’il évolue ici en terrain gothique familier, témoigne d’une inspiration retrouvée; magistralement servie, qui plus est, par un Johnny Depp manifestement investi, et à qui l’habit de dandy vampire sied à merveille.

Anachronisme ambulant

Inspiré d’une série TV ayant généré un culte fervent aux Etats-Unis au tournant des années 60 et 70, Dark Shadows démarre à Liverpool, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque les époux Collins embarquent avec leur fils Barnabas à destination des Etats-Unis. Vingt ans plus tard, la famille a fait fortune, et le jeune homme se retrouve à la tête, si pas d’un empire, du moins de la ville de Collinsport. C’est alors que, préférant la douce Josette (Bella Heathcote) à la vénéneuse Angélique (Eva Green), il déchaîne l’ire de cette dernière, sorcière faisant de lui un vampire, voué à la souffrance éternelle au fond de son cercueil.

Deux cents ans passent, et la splendeur des Collins n’est plus qu’un lointain souvenir prenant la poussière dans les couloirs de l’immense manoir familial. Moment où un singulier concours de circonstances libère Barnabas de son tombeau-prison. Si le vampire n’a pas pris une ride, et pour cause, l’Amérique de 1972 ne l’a pas attendu pour autant. Anachronisme ambulant, au charme et au verbe semblablement frappés de désuétude, il va néanmoins s’employer à restaurer les valeurs et la fortune de la famille Collins, curieuse maisonnée ostensiblement dysfonctionnelle. Non sans retrouver sur sa route Angélique, aguicheuse succube à la détermination intacte…

Barnabas, l’outsider ultime

Il y avait là, à l’évidence, un matériau taillé pour Tim Burton. Le réalisateur de Burbank en fait un formidable usage, Dark Shadows renouant avec le meilleur de son cinéma. Soit un conte gothique aux contours classiques remodelés, où il relève les amours maudites de poésie funèbre et d’humour grinçant -ce dernier encouragé par un clash temporel habilement exploité, au gré d’une imagerie vintage, et jusque dans la bande-son, qui recèle quelques pépites façon… Season of the Witch, ce qui ne s’invente pas. A quoi s’ajoute l’attachement de toujours de Burton aux « outsiders », dont Barnabas représenterait la quintessence, bien entouré cependant par une galerie de personnages plutôt secoués, au rang desquels la maîtresse de la maison Collins, incarnée avec superbe par Michelle Pfeiffer, ou encore le docteur Hoffman, psy allumée que campe une Helena Bonham Carter envapée. De quoi composer un tableau chatoyant, parsemé encore de fréquents retours d’enfance, une inventivité formelle peu banale achevant de faire de cette histoire de vampire un pur régal burtonien.

Alors certes, ce film fantastique lorgnant la comédie -on songe forcément à The Addams Family- n’évite pas l’une ou l’autre longueur ou facilité, comme cette apparition d’Alice Cooper, assurément gratuite mais néanmoins savoureuse. De même, Burton ne fait pas l’économie d’une apothéose quelque peu grand-guignolesque, transcendée toutefois par la magie de sa mise en scène. Au final, c’est d’ailleurs l’impression d’une fantasmagorie brillante qui l’emporte, pour un conte gothique où le romantisme tragique de La fiancée de Frankenstein se verrait réinventé à l’aune d’un imaginaire échevelé. Une malédiction? Non, un enchantement.

Jean-François Pluijgers

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