Dark Rider: à la poursuite de la lumière

Le lac Gairdner prête son cadre éblouissant à la poursuite d'une obsession, la résilience en point de mire.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La documentariste belge Eva Küpper suit l’Australien Ben Felten dans ses tentatives pour devenir le motocycliste aveugle le plus rapide du monde. Et signe un film puissant, tendu entre obsession et résilience. Entretien.

Dark Rider débute par des images saisissantes, celles de deux motards alignés l’un derrière l’autre dont les bécanes avalent à tombeau ouvert l’horizon lunaire d’un lac de sel australien, scène d’autant plus irréelle que l’un des deux pilotes est… aveugle. Atteint d’une maladie dégénérative oculaire l’ayant totalement privé de la vue au milieu de la trentaine -il faut l’entendre raconter sa première expérience de la cécité complète lorsque, se réveillant un matin, il eut la surprise d’entendre les oiseaux chanter dans sa nuit éternelle-, Ben Felten n’a pas voulu renoncer à sa passion de la moto, décidant même de devenir le motocycliste aveugle le plus rapide au monde. Direction les étendues salines du lac Gairdner, dans le sud de l’Australie où, avec l’aide de Kevin Magee, un ancien pilote de Grand Prix chargé de le guider dans l’obscurité, il tente de battre le record à l’occasion de la Speed Week annuelle.

Cette aventure insolite inscrite dans l’Outback australien, c’est une documentariste belge qui a choisi de la raconter. Diplômée de la KASK, à Gand, Eva Küpper a entamé son parcours avec What’s in a Name, un portrait de l’artiste corporel new-yorkais Jon Cory, avant de s’intéresser notamment à la créatrice de mode Yvette Lauwaert ou au spectacle d’Alain Platel Gardenia. « En plus d’être cinéaste, je pilote des motos. J’adore la vitesse et j’ai roulé sur de nombreux circuits en Europe: Le Mans, Francorchamps, Magny-Cours, Hockenheim… Il y a longtemps que j’étais à l’affût d’une histoire me permettant de concilier mes deux passions, et l’occasion s’est présentée en 2014, alors que je pilotais sur le circuit de Silverstone, lorsqu’un ami m’a montré une coupure de presse parlant de Stuart Gunn, un Écossais qui venait d’établir un record de vitesse à moto aveugle. ça me paraissait impossible, mais cette histoire m’a poursuivie, et je l’ai contacté. Nous nous sommes rencontrés, il était charmant, sa famille également, mais ça n’aurait pas fonctionné pour un film. Quelques années plus tard, début 2017, il m’a dit qu’un Australien aveugle s’entraînait pour tenter de battre son record. » La Speed Week se déroulant début mars, la réalisatrice ne dispose que de quelques semaines de préparation avant de rallier, avec producteur et caméraman, le lac de sel perdu au milieu de nulle part. « Un sacré défi, mais je voulais vraiment savoir s’il y avait une connexion, et si Ben Felten et son entourage avaient envie de faire un film. »

Dark Rider: à la poursuite de la lumière

Course d’obstacles

La réponse à ces questions se trouve dans Dark Rider (lire notre critique), filmé pendant trois années consécutives dans des conditions extrêmes. « Un défi, mais faire des films, c’est de toute façon une course d’obstacles« , relativise Eva Küpper. Elle raconte du reste comment, dès leur premier contact par Skype, Ben Felten s’employa à lui décrire les désagréments et autres problèmes prévisibles d’un tournage dans un désert inhospitalier au possible, avec ses températures de 50 degrés. « Il tenait à ce qu’on sache où on mettait les pieds, mais ce que j’ai trouvé fascinant, c’est quand il a commencé à décrire le ciel, la nuit, lorsque l’on se trouve au lac Gairdner. C’était incroyable, parce que bien que ne l’ayant jamais vu en raison de son handicap, il me décrivait ce ciel nocturne en des termes magnifiques, poétiques et vivants, je pouvais presque m’imaginer sur place. C’est alors que je me suis dit que je devais absolument en savoir plus sur lui. »

Dark Rider: à la poursuite de la lumière

Un désir qu’épouse le documentaire qui déborde bientôt de la seule quête du record, avec son lot d’images impressionnantes, pour s’insinuer dans l’histoire personnelle des différents protagonistes: Ben, bien sûr, mais aussi Kevin, et leur amitié à toute épreuve, où encore Jed, un adolescent dont la vue se détériore irrémédiablement, à qui le duo va apporter son aide. « Je ne voulais pas faire une simple histoire de « héros ». Il fallait trouver un équilibre entre différentes composantes, ouvrir les yeux des spectateurs sur ce que peut représenter un handicap physique ou mental, mais aussi les obstacles que nous sommes tous amenés à rencontrer dans l’existence. L’idée qui sous-tendait ce projet, c’était de faire un film qui puisse enflammer l’inspiration des spectateurs, leur montrer que le changement, aussi difficile soit-il sur le moment, n’est pas que négatif: si l’on trouve la force et la résilience de transcender ce qui arrive, il y a beaucoup à accomplir dans l’existence. J’ai essayé d’entrelacer ces éléments pour nourrir les différents niveaux de l’histoire, tout en restituant la réalité, avec ses difficultés et ses tensions. Et je voulais par ailleurs recréer la sensation éprouvée par Ben sur sa moto afin que même le spectateur n’y connaissant rien soit immergé dans ce ressenti extraordinaire. » Pour une expérience de cinéma viscérale…

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