Dans « Incendies », Lubna Azabal a le feu sacré

L’actrice belge Lubna Azabal est bouleversante en mère courage, dans Incendies, le film de Denis Villeneuve. Une interprétation superbe, sur fond de tragédie. Rencontre.

André Téchiné l’avait vue venir de Loin, Mahmoud Ben Mahmoud l’avait invitée à ses Siestes grenadines, puis Michel Deville dans Un monde presque paisible. Lubna Azabal suivit Tony Gatlif en Exils, retrouvant ensuite Téchiné pendant Les Temps qui changent, puis Jalil Lespert l’espace de 24 mesures. La jeune comédienne bruxelloise, née de parents originaires d’Espagne et du Maroc, a su s’illustrer tout à la fois dans le cinéma européen et dans des films arabes comme Viva Laldjérie de Nadir Moknèche et Paradise Now de Hany Abu-Assad. Sans oublier l’hollywoodien Body Of Lies De Ridley Scott…

Mais son interprétation stupéfiante de force et d’émotion dans Incendies marque à coup sûr le sommet (provisoire) de son itinéraire artistique. Ce personnage de Nawal, mère libanaise martyrisée puis contrainte à l’exil et conservant les lourds secrets du passé enfouis en elle pour épargner ses enfants, l’actrice belge avoue qu’il l’a « bousculée, mise sur cul, comme si j’avais reçu une gifle ».

Bouleversée par la lecture du scénario de Denis Villeneuve, puis par celle de la pièce de Wajdi Mouawad dont il s’inspire, Lubna Azabal a immédiatement succombé « à une écriture, à une poésie tragique, qui ose la beauté dans la douleur ». « Après le choc, ce fut l’attente de la comédienne qui rêve jour et nuit d’avoir ce rôle, se souvient-elle, une attente de plusieurs mois. Et une fois le rôle obtenu… ce fut la trouille, une peur monstrueuse, l’angoisse de se dire: Et maintenant, comment je fais pour attaquer ce personnage, pour que ce soit crédible, pour jouer la vie de cette femme (je devrais dire de ces femmes)? »

Couper le fil de la colère

Dans sa préparation, Azabal s’est employée à « toujours tout ramener au concret, sans se laisser aller, sans s’abandonner à la beauté tragique du personnage de Nawal mais en se concentrant sur ce qu’avait pu être sa souffrance concrète ». L’actrice est « entrée en immersion », tout en dialoguant avec un réalisateur qu’elle décrit comme « un vrai capitaine ». « Denis a su tout à la fois respecter et conserver l’essence même de la pièce, et mettre, avec élégance et pudeur, une distance indispensable par rapport à une structure très théâtrale pour que la matière soit vivante, cinématographique. »

Le contexte historique, celui de la guerre au Liban, de la problématique israélo-palestinienne, Lubna le connaissait déjà, et s’en est logiquement nourrie. « Mais en même temps, je ne voulais pas entrer dans quelque chose de directement politique, déclare l’interprète de Nawal, je voulais donner de ce personnage qui traverse une guerre, qui traverse la violence, une vision la plus universelle possible. Et quoi de plus universel que cette sensation que l’on a de se retrouver face à la bête humaine, assoiffée de haine et de sang? Quoi de plus universel que ce cercle vicieux de la colère? Et quoi de plus universel que de vouloir, comme le fait cette femme, couper ce fil, interrompre la transmission de cette colère? Quoi de plus universel que ce magnifique portrait de femme, qui est en même temps portrait de femmes? »

« Pour moi, Nawal, c’est peut-être 70% des femmes sur cette terre, confrontées aux guerres, à la violence, à la misère. Il y a chez les femmes un instinct de survie qui est extraordinaire. Est-ce parce que nous portons la vie que nos forces se décuplent ainsi? Est-ce parce que nous portons ces responsabilités à la fois de mère, d’épouse, de maîtresse? Toujours est-il que ce sont les femmes qui restent, qui survivent à la faim, au viol, qui trouvent de quoi manger à leurs enfants. Il y a quelque chose d’animal, nous nous transformons en lionnes dans ces circonstances que tant et tant d’entre nous connaissent malheureusement. J’ai eu la chance de naître où il faut, j’ai une vie relativement heureuse par rapport à celle de toutes ces femmes, mais je n’en ressens pas moins les choses… »

Le discours de Lubna Azabal s’enflamme comme le fait, sur l’écran, son interprétation de Nawal, jeune fille trahie, enfermée, suppliciée, chassée, puis mère courage rattrapée par un passé terrible. Un rôle vécu autant qu’il est joué, dans un film qui ne peut laisser indifférent.

Louis Danvers

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