Critique

Critique ciné: Saint Laurent, Yves est seul…

Gaspard Ulliel dans Saint Laurent de Bertrand Bonello © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

BIOPIC | Bertrand Bonello s’insinue dans l’esprit d’Yves Saint Laurent le temps d’une décennie tourmentée. Et signe un film racé et élégant, habité par Gaspard Ulliel…

L’histoire repasse les plats puisque, quelques années après Coco Chanel, c’est au tour d’Yves Saint Laurent d’être l’objet de deux films biographiques à quelques mois d’intervalle. Mais s’il arrive donc après le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, le Saint Laurent de Bertrand Bonello (lire son interview dans le Focus du 19 septembre) s’en écarte aussi résolument, refusant les chemins trop conventionnels du biopic pour leur préférer ceux d’un voyage sensoriel et mental, s’insinuant dans l’esprit, tourmenté, du styliste. Pour ce faire, le réalisateur de Tiresia s’en tient à une décennie charnière, naviguant de 1967 à 1976, et ouvrant son film alors que Saint Laurent évoque la blessure qu’a laissée en lui son internement à l’époque de la guerre d’Algérie. La suite verra le couturier tenter de s’accommoder, avec un inégal bonheur, avec le « monstre » qu’il a créé, le film ne se faisant faute de confronter YSL à son génie mais aussi à ses démons, l’euphorie se dissipant dans les brumes alcooliques ou stupéfiantes. Cela, tandis que l’être Saint Laurent semble pour sa part se dissoudre, sous le regard de Pierre Bergé (Jérémie Renier) et dans le souvenir de Jacques de Bascher (Louis Garrel). Flamboyante à divers égards, cette décade prodigieuse le laissera aussi exsangue en effet, renvoyant l’acronyme YSL à une signification amère: « YSL pour Yves est seul… » -transition, par ailleurs, magistralement traduite à l’écran quand à Gaspard Ulliel, incarnation soufflante de l’icône Saint Laurent, vient se superposer Helmut Berger, convoquant le souvenir de Visconti et de son cinéma, pour camper l’homme, vieilli.

Un motif mélancolique

S’attelant à son portrait kaléidoscopique, Bertrand Bonello signe un film élégant et racé, jonglant avec la chronologie au gré d’une mise en scène raffinée et sensuelle, filmant les êtres comme les étoffes se frottent, en un mouvement touché par la grâce, et atteignant par endroits à la fulgurance. Il faut voir ainsi cette scène où, le temps d’un split screen inspiré, le réalisateur confronte les collections du maître à la marche du temps, en un collage vertigineux; ou telle autre, où il s’unit à YSL pour réinventer Valeria Bruni-Tedeschi devant sa caméra; et l’on en passe, comme le défilé de 1976 orchestré à la manière d’une toile de Mondrian. Soit une démonstration de virtuosité à laquelle le cinéaste a le chic, toutefois, de ne pas sacrifier la chair de son film: entamé dans l’exubérance des sixties, au son particulièrement galvanisant du Since I Found My Baby des Metros et autres pépites soul, le voyage se voile bientôt d’une ombre funèbre; c’est aussi de la fin d’une époque sinon d’un monde qu’il est ici question, motif mélancolique de la décadence qui, de L’Apollonide à Saint Laurent, n’en finit plus de sourire à Bonello…

  • DE BERTRAND BONELLO. AVEC GASPARD ULLIEL, JÉRÉMIE RENIER, LOUIS GARREL. 2H30. SORTIE: 24/09.
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