Critique

[Critique ciné] Les Coeurs verts, d’une lucidité tranchante

Erick Penet et Marise Maire dans Les Coeurs verts d'Édouard Luntz © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Retour fulgurant pour un film subversif de 1966, et pour son auteur injustement oublié: Édouard Luntz.

Cinquante ans et encore toutes ses dents! Les Coeurs verts porte bien son demi-siècle, lui qui précéda de deux ans Mai 68 et dont l’esprit gaillardement subversif garde aujourd’hui encore une charge électrisante quasi intacte. Le film raconte l’histoire de deux « blousons noirs ». Zim et Jean-Pierre se sont rencontrés juste avant leur sortie de prison. Devenus amis, ils se retrouvent à Nanterre, la banlieue où ils ont grandi dans un milieu prolétaire, à l’ombre des barres de béton et des murmures désapprobateurs visant les « petits voyous », les « mauvais garçons ». Zim n’entend pas retourner derrière les barreaux où l’a mené une dénonciation (pour… siphonage d’essence). Il entraîne un moment Jean-Pierre vers le monde de l’emploi, sur un chantier de construction. Et deux filles, très différentes, entrent dans leur vie. Sans garantie d’amour heureux ni d’avenir radieux… Joué par des acteurs non-professionnels et accompagné par une musique signée Serge Gainsbourg, Les Coeurs verts impressionne d’emblée par son réalisme hyper tendu, son noir et blanc contrasté et la vérité de ses jeunes interprètes. Édouard Luntz filme ces derniers avec une lucidité tranchante, montrant comment les jeunes mâles prolétaires et marginalisés par une société très dure se font eux-mêmes impitoyables dans leur traitement des femmes. De dominé à dominant, de victime à bourreau, le pas est vite franchi, et c’est terrible à voir, aujourd’hui comme hier.

[Critique ciné] Les Coeurs verts, d'une lucidité tranchante

Renaissance

Luntz avait été l’assistant de Jean Grémillon et Nicholas Ray. Il a 35 ans quand il tourne Les Coeurs verts, et réalisera encore quelques films: Le Grabuge (1968), Le Dernier Saut (1970) et L’Humeur vagabonde (1972). Puis il disparaîtra des écrans, presque totalement, plongeant dans un oubli triste et injustifié. Des problèmes d’éclatement des droits sur ses films et la mauvaise volonté de certains détenteurs de ces droits (dans la distribution, entre autres) expliquent qu’il a fallu si longtemps pour voir son oeuvre refaire surface. Mort en 2009, le cinéaste n’aura pas eu le bonheur d’assister à ce retour toujours espéré, jamais concrétisé…

C’est dire si la réapparition des Coeurs verts en copie restaurée est une grande nouvelle! D’autant qu’à Bruxelles, les passionnés du cinéma Nova le mettent à l’affiche au coeur d’une programmation dévolue à Luntz. L’invisible redevient visible, avec une rétrospective la plus vaste possible, une exposition (Édouard Luntz en images, du 29/11 au 16/12), une conférence, une party avec DJ Coeurvert (le 14/12), la présentation aussi du beau livre de Julien Frey et du dessinateur barcelonais Nadar (1). Un Julien Frey sans lequel rien n’eût été possible. Car c’est son enquête, déclenchée par la trouvaille sur une brocante du vinyle de Gainsbourg avec la musique des Coeurs verts, qui a tout déclenché.

(1) Avec Édouard Luntz, paru chez Futuropolis.

D’Édouard Luntz. Avec Gérard Zimmermann, Erick Penet, Marise Maire. 1h28. Sortie: 29/11. ***(*)

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