Critique

[Critique ciné] Emma Peeters « les personnages vivent leur drame au premier degré. »

Emma Peeters (Monia Chokri) trouve en Alex (Fabrice Adde) un complice de fin de vie.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

COMÉDIE ROMANTIQUE | Avec son deuxième long métrage Emma Peeters, le portrait d’une actrice décidant d’en finir faute d’avoir pu réaliser ses rêves, la cinéaste belge Nicole Palo fait voeu de légèreté et de fantaisie.

Le cinéma est une école de patience. Dix ans séparent ainsi Get Born, le premier long métrage de Nicole Palo, de son deuxième, Emma Peeters, une comédie ayant eu les honneurs de la Mostra de Venise en septembre dernier. La cinéaste belgo-américaine y croque le portrait d’Emma Peeters, une actrice galérant à Paris (la comédienne québécoise Monia Chokri, vue notamment chez Xavier Dolan) et décidant de mettre fin à ses jours à l’approche de son 35e anniversaire, convaincue d’être passée à côté de sa vie. « Ce projet a germé il y a sept ans déjà, commence la réalisatrice dans un large sourire, à une période de ma vie où je n’aboutissais à rien. Après mon premier long métrage, les choses ne se sont pas du tout enchaînées naturellement, au point que j’avais l’impression de ne pas exister. Et j’ai imaginé ce personnage qui envoyait tout balader à cause de la frustration. Ce film, je l’ai d’abord pensé comme un exutoire: maltraiter mon personnage avec ironie et lui faire subir plein de choses m’a fait un bien fou. Je ne l’ai pas écrit que pour moi cependant, mais en me disant aussi qu’il pourrait servir de pilule thérapeutique pour tous ceux n’ayant pas eu la vie dont ils avaient rêvé. Et j’ai voulu traiter ce sujet comme une comédie parlant de l’idée du suicide plutôt que du suicide. Que se passe-t-il si l’on sait que l’on va mourir le lendemain? On se sent libéré, en fait. Emma Peeters est plus un film sur le lâcher-prise que réellement sur le suicide. »

[Critique ciné] Emma Peeters

Décalage naturel

Si le projet a mis aussi longtemps à se concrétiser, c’est pour un faisceau de raisons. Tourné avec un micro-budget (140 000 euros) et des comédiens peu connus, Get Born, le film de ses débuts ( « une super-expérience », se souvient Nicole Palo) ne bénéficiera que d’une diffusion confidentielle – « Personne ne m’attendait, j’ai dû recommencer comme si je n’avais fait qu’un court métrage. En fait, j’ai tourné un deuxième premier film. » S’y grefferont un financement épineux (la France se faisant quelque peu prier, la coproduction battra finalement pavillon belgo-canadien), et une écriture plus laborieuse qu’escompté, question de ton, et d’équilibre à trouver entre humour noir -eu égard au sujet- et fantaisie revendiquée, entre l’émotion et le rire. « Il fallait motiver suffisamment le personnage pour le rendre crédible et qu’il puisse garder le cap jusqu’au bout, mais avec suffisamment de légèreté pour pouvoir en rire. J’ai trouvé la solution en développant Emma, parce qu’avec elle, c’est tout ou rien, elle est idéaliste et elle applique la même détermination à son projet de suicide qu’à sa carrière d’actrice. »

[Critique ciné] Emma Peeters

Le milieu du cinéma s’avérant, du reste, un terrain particulièrement fertile, offrant son lot de situations cruelles (genre: « 35 ans, c’est la date de péremption pour une actrice »), tout en charriant une Histoire dans laquelle Nicole Palo ne se fait faute de puiser, citant aussi bien le cinéma muet que la comédie musicale parmi d’autres, sans même parler de la galerie de comédiennes auxquelles fait écho Emma. « Je ne pourrais nommer un film en particulier qui m’ait inspirée, même si Woody Allen reste, à mes yeux, la référence en matière de comédie. Il est important que les personnages vivent leur drame au premier degré, soient en pleine névrose, trouvent ce qui leur arrive très grave et que ce soient les situations qui nous fassent rire. Il y avait quelques idées de références au cinéma dans le scénario, mais nous en avons rajouté au montage pour créer l’impression qu’Emma fantasme sa vie. Cela contribuait à ce qu’on ne prenne pas l’idée de suicide trop au sérieux. Nous avons décidé de construire tout un parcours d’images de films dans le film. » Manière encore d’ancrer ce dernier dans un espace lorgnant vers le conte de fées, le tout accompagné d’un soupçon de décalage. En quoi l’on serait tenté de déceler la belgitude du propos… « Je ne sais pas. Je suis moitié américaine par mon père, j’ai vécu en France, je ne me sens pas belge dans l’âme, pas plus que je ne me revendique d’une école. Mais peut-être qu’il y a effectivement un truc, en Belgique, voulant que l’on soit un peu décalés. Moi, en tout cas, cela m’est venu naturellement, à l’écriture… »

[Critique ciné] Emma Peeters

Emma Peeters

À bientôt 35 ans, et sa carrière d’actrice au point mort, vendeuse d’électroménager pour Tardy, Emma Peeters (Monia Chokri) décide d’en terminer. Et de programmer son suicide, entreprise dans laquelle elle va recevoir le concours d’Alex Bodard (Fabrice Adde), un employé de pompes funèbres excentrique… Pour son deuxième long métrage, la cinéaste belge Nicole Palo ( Get Born) s’attelle au portrait décalé d’une jeune femme en quête de sa place dans le monde. Brassant des inspirations et références multiples (de la comédie musicale au cinéma muet en passant par Bergman) avec une louable fantaisie, et trouvant en Monia Chokri ( Les Amours imaginaires) une interprète à l’aplomb incontestable, le film, charmant, est aussi fragile, manquant quelque peu de consistance sur la distance…

De Nicole Palo. Avec Monia Chokri, Fabrice Adde, Stéphanie Crayencour. 1 h 27. Sortie: 17/04.

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