Comme sur des roulettes: rencontre avec Crystal Moselle, réalisatrice de l’euphorisant Skate Kitchen

La force du lien qui lie les skateuses de Skate Kitchen est assurément peu banale. Tout comme leur attitude à l'égard des autres femmes. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Première incursion dans la fiction de Crystal Moselle, la réalisatrice de The Wolfpack, Skate Kitchen redessine New York en compagnie de jeunes skateuses. Euphorisant…

Crystal Moselle, on l’a découverte il y a quelques années à la faveur de The Wolfpack, documentaire ahurissant retraçant l’histoire des six frères Angulo, des jeunes gens ayant grandi enfermés dans un appartement du Lower East Side à New York, avec le cinéma pour seule fenêtre sur le monde. S’il consacre sa première incursion dans le domaine de la fiction, Skate Kitchen (lire notre critique) n’est pas sans points communs avec son précédent opus, ne serait-ce qu’en raison de l’impression de vérité qui en émane. La réalisatrice y suit un autre collectif, baptisé Skate Kitchen celui-ci, et réunissant des jeunes skateuses ayant fait de New York leur terrain d’expression, embrassant l’existence avec fougue, la liberté scotchée à leurs planches. « L’idée a germé lorsque je les ai vues dans le métro, explique-t-elle. J’avais rencontré les garçons de The Wolfpack dans la rue, et ça m’avait confortée dans ma conviction instinctive que l’on pouvait croiser des gens dont on savait au premier coup d’oeil qu’ils feraient de bons sujets de films. Cet instinct a ressurgi à cette occasion, et je leur ai demandé si elles seraient partantes pour participer à un film autour d’elles. On s’est revues, et ça a débouché sur le court métrage That One Day, présenté à Venise en 2016 dans le cadre du projet Miu Miu, né dans la foulée du mouvement #MeToo, et centré sur des sujets féminins. Le film a été remarqué, et les choses se sont emballées. »

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Lecture féministe

Les mois qui suivent, Moselle les passe en compagnie des filles, s’inspirant de leur(s) histoire(s) pour écrire, rejointe par Aslihan Unaldi, ce qui deviendra Skate Kitchen. Soit un film puisant généreusement dans leur quotidien, tout en adoptant les contours d’une « coming of age story ». « J’avais pensé au départ tourner un documentaire, mais après le court métrage, qui était basé sur leur histoire, l’idée d’une fiction qui serait une version de leur vie s’est imposée. Mon expérience de documentariste m’a néanmoins aidée, parce que je suis obsédée par le réalisme. Le fait d’avoir observé tant de gens me permet aussi d’anticiper ce que le spectateur va ressentir comme vrai ou non. J’ai appris à créer des performances qui ont l’air réelles, j’ai une aversion pour ce qui semble écrit. Après, cette expérience s’est révélée très différente de mes précédentes, parce que autant dans le documentaire on reste dans l’observation, autant ici, j’ai pu collaborer avec elles. » Si le film est une incontestable réussite, c’est notamment par la spontanéité qui en émane, mais aussi par le naturel de ses interprètes, ces skateuses qui, à l’instar de Rachelle Vinberg, Nina Moran et Dede Lovelace, crèvent littéralement l’écran. « Je suis attirée par les personnalités charismatiques, relève encore la cinéaste. Quand j’ai vu Nina, j’ai vraiment été sciée par son énergie, sa façon de parler, ce qui se dégageait d’elle. J’ai commencé à travailler avec Rachelle et elle sur l’histoire, et puis, nous avons élargi le groupe. »

Crystal Moselle
Crystal Moselle© Getty Images

La force du lien unissant le collectif est assurément peu banale. Et Crystal Moselle confesse que c’est là aussi l’un des éléments qui l’ont séduite: « Il y a une vraie connexion entre elles, et j’ai été conquise par leur attitude à l’égard des autres femmes, très différente de celle que j’ai connue lors de mon arrivée à New York (la réalisatrice est originaire de San Francisco, NDLR). C’était très différent à l’époque, il fallait gagner le respect, alors qu’elles font automatiquement de la place pour les autres. C’est l’une des choses qui ont changé dans l’attitude des femmes: elles se rassemblent, et se font de la place les unes pour les autres, alors qu’avant, en particulier dans un monde dominé par les hommes, il n’y avait que peu de place pour les femmes, et celles qui occupaient cet espace préservaient leur position. » C’est dire si Skate Kitchen appelle aussi à une lecture féministe, la scène skate, avec ces jeunes frondeuses traçant leur voie dans un environnement essentiellement masculin, y apparaissant comme un terrain tout désigné d' »empouvoirement ».

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Un enseignement parmi beaucoup d’autres, pour une cinéaste s’étant immergée dans cet univers et cette sous-culture pendant quatre ans, prolongeant l’expérience de Skate Kitchen à la faveur de la mini-série Betty (1), qui reprend les mêmes personnages, mais substitue au récit initiatique une chronique de leur quotidien trouvant, par endroits, des accents de comédie. Une franche réussite, là encore, malmenant joyeusement divers clichés et stéréotypes. « Ces jeunes filles ont une vraie sagesse, doublée d’une manière optimiste d’envisager le monde. Elles abordent les choses de façon intense, sont ouvertes et excitées par la vie, ce qui a constitué une inspiration pour moi. Elles m’ont aussi montré une nouvelle façon d’apprécier la ville. J’étais sur le point de quitter New York, où je vivais depuis plus de quinze ans, et elles m’ont appris à la regarder sous un jour nouveau. » L’air de rien, tant le film que les six épisodes de la série redessinent Big Apple en effet, filmée, de rues en skate parks, dans une effervescence électrisant un bitume qui ouvre sur une multitude de possibles. « L’optimisme revêt une importance primordiale dans mon travail. J’aimerais inspirer les gens, et je tenais donc à traduire cette énergie positive, même si je ne suis guère friande de « happy ending ». Il n’y a pas de fin à mes yeux, ponctuer l’histoire de manière ouverte a plus de sens… »

(1) La mini-série en six épisodes sera diffusée en mai sur Telenet.

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