Christophe Honoré: « J’ai voulu d’un film qui soit une main tendue vers le théâtre »

En douze ans, c'est la sixième fois que Christophe Honoré collabore avec Chiara Mastroianni. Pour lui, elle est bien plus qu'une simple muse, une connexion profondément complice, une complète évidence.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Nouveau changement de registre pour Christophe Honoré qui, pour son douzième long métrage, Chambre 212, élabore en studio une comédie ludique et légère dans laquelle il transforme une chambre d’hôtel en véritable espace mental. Rencontre avec le réalisateur et son actrice, Chirara Mastroianni.

Cinéaste hyperactif et en constante réinvention, capable d’une froideur transgressive quasiment clinique (Ma mère en 2004) comme d’un sentimentalisme confinant au lyrisme (Dans Paris en 2006), de mille-feuilles en-chantés à la fibre éminemment romanesque (Les Chansons d’amour en 2007, Les Bien-aimés en 2011) comme de variations mythologiques très libres (Métamorphoses en 2014), d’oeuvres contemporaines creusant une matière intime (Non ma fille tu n’iras pas danser en 2009) comme d’adaptations costumées empreintes d’une artificialité assumée (Les Malheurs de Sophie en 2016), Christophe Honoré a souvent donné le sentiment de faire chacun de ses films en réaction au précédent. Un an à peine après Plaire, aimer et courir vite, mélodrame incandescent en forme d’autoportrait hanté par les spectres conjugués du sida et de la mort, le voici donc qui nous revient avec une comédie légère et ludique, mais jamais inconséquente, qui explore les possibles amoureux en embrassant la perspective d’une femme arrivée à un tournant de son existence.

Dans Chambre 212, Maria (Chiara Mastroianni, Prix d’interprétation Un Certain Regard à Cannes), épouse infidèle, quitte le domicile conjugal le temps d’une nuit d’hiver pour aller s’installer dans l’hôtel d’en face. Depuis la fenêtre de sa chambre, elle a une vue plongeante sur son appartement, son compagnon (Benjamin Biolay), son mariage vieux de plus de 20 ans. « Depuis quand, dis-moi, ta sexualité est-elle devenue une activité extraconjugale? » La question adressée par son conjoint allègrement cocufié résonne dans sa tête. À quoi elle s’était dans un premier temps contentée de répondre: « C’est la loi des couples qui durent, personne n’y échappe. » Mais bientôt c’est une ronde de figures-clés qui s’invite et se bouscule pour quelques heures dans cette chambre-exutoire où elle solde ses propres comptes: amis, amants, version rajeunie de son époux, ex-maîtresse de celui-ci… Tous ont une idée sur la question, et ils ne se gênent pas pour le lui faire savoir. Si « on ne peut jamais prédire ce qui pourrait nous rendre heureux« , Maria n’en est pas moins renvoyée à une autre interrogation: « Est-ce que tu sais ce que tu veux vraiment? »

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Vaudeville mental

Oui et non, semble répondre à sa suite Christophe Honoré, qui prend un évident plaisir à peser les pour et les contre, à brouiller les pistes au détour de couloirs hôteliers qui sont aussi ceux du temps perdu et faussement retrouvé, avec pour seule constante l’amour de la vie et celui du cinéma. Cheveux en pétard et gueule de bois des lendemains de grands soirs, il revenait pour nous, le jour suivant la projection cannoise du film, sur le désir qui l’a conduit à écrire et réaliser Chambre 212: « Après avoir présenté Plaire, aimer et courir vite en compétition à Cannes l’an dernier, je suis parti travailler aux répétitions d’une pièce de théâtre qui me tenait beaucoup à coeur: Les Idoles. C’est durant ces répétitions que j’ai commencé à écrire Chambre 212. Avec un désir très précis: interroger le cinéma d’aujourd’hui par le théâtre. Il y a toute une tradition de réalisateurs en France, comme Sacha Guitry, Marcel Pagnol ou Jean Cocteau, qui ont travaillé à la fois au théâtre et au cinéma. Mais c’est quelque chose qui s’est perdu. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, le cinéma et le théâtre sont un peu devenus des frères ennemis. Ça circule assez peu, et ça circule d’ailleurs assez peu aussi du côté des comédiens. J’ai donc voulu d’un film qui soit une espèce de main tendue vers le théâtre. D’où son dispositif en vis-à-vis, quasiment en huis clos. D’où aussi ce jeu autour du vaudeville, de cette tradition du théâtre de boulevard de la porte qui claque. Le point de départ du film est là: sur ce cliché de la porte qu’on claque. Ce n’est qu’ensuite qu’il m’importait de toucher peu à peu à quelque chose de plus profond. Mais à travers une mise en scène, et j’insiste beaucoup là-dessus, que je voulais pour le coup éminemment cinématographique. Ce n’est pas pour rien que j’ai décidé que le personnage de Maria vive au-dessus d’un cinéma et qu’elle regarde constamment à travers une fenêtre, qui est aussi un écran. Chambre 212 ne raconte au fond rien d’autre que l’histoire d’une femme qui se fait un film. »

Christophe Honoré:
© Corbis via Getty Images

Une histoire où l’espace confiné de la chambre qui lui tient essentiellement lieu de décor semble ainsi conçu comme un espace purement mental, les portes de la pièce s’ouvrant comme des portes dans l’esprit de Maria. « Tout à fait. Vous savez, c’est la première fois que je tournais en studio. Je me suis toujours inscrit dans un héritage un peu Nouvelle Vague où le studio représente en principe une hérésie, la facilité du cinéma de papa qu’il faut à tout prix éviter. Mais là, pour mon douzième film, j’avais vraiment envie de me frotter au studio, l’enjeu étant effectivement de concevoir cette chambre d’hôtel comme si c’était le cerveau de Maria, avec un côté poupée russe: une chambre dans une autre chambre dans une autre chambre… L’idée c’était vraiment que le spectateur en arrive à oublier que tout ce qui est montré à l’image est absolument construit dans sa tête. Il n’y a aucune réalité en fait, ce n’est même pas un rêve. Ce ne sont que des fantasmes qui s’incarnent. Réaliser Chambre 212, c’était aussi pour moi tenter de répondre à la question: comment filme-t-on quelqu’un qui pense? Et Maria pense à plein de choses différentes, contradictoires. La pensée devait donc circuler dans les couloirs et les chambres comme elle circule dans la tête. »

Une musique commune

Devant la caméra de Christophe Honoré, cinéaste-cinéphile adepte de la citation, le bar du quartier s’appelle -forcément- le Rosebud, soit le sésame du Citizen Kane d’Orson Welles. Mais le film lorgne aussi avec beaucoup de malice le dispositif de Fenêtre sur cour, le classique méta-cinématographique d’Alfred Hitchcock. « Quand vous êtes réalisateur et que vous commencez à écrire une histoire sur des gens qui peuvent espionner d’autres gens depuis l’autre côté de la rue, vous ne pouvez pas ne pas penser à Fenêtre sur cour. Ce serait comme faire un film sur la vie de Jésus et ne pas penser au Nouveau Testament. J’ai revu le chef-d’oeuvre d’Hitchcock avant de me lancer dans cette histoire et c’est vrai que le personnage que joue Chiara est un personnage de voyeuse. Mais ce qui m’intéressait par-dessus tout, chez elle, c’est qu’elle est la voyeuse de sa propre vie. »

Christophe Honoré:

En douze ans à peine, c’est la sixième fois déjà qu’Honoré collabore avec Chiara Mastroianni. À son propos il évoque, bien plus qu’une simple muse, une connexion profondément complice, une complète évidence. « En général, la première fois que j’entends les comédiens dire leur texte sur le plateau, il n’y a pas dans leur bouche la musique que j’avais imaginée en l’écrivant. Parfois c’est mieux, mais souvent c’est moins bien (sourire). Avec Chiara, ce qui est dingue depuis le tout début, c’est qu’elle balance toujours exactement les répliques de la manière dont je les entendais quand j’écrivais le scénario. Il y a une musique commune entre nous, qui relève de l’évidence la plus absolue. C’est toujours comme si elle connaissait autant le film que moi au moment où on le tourne. J’ai d’emblée écrit Chambre 212 pour elle. Au moment de me lancer dans le scénario, j’ai regardé cette photo de Chiara que j’ai dans mon bureau, où elle a un petit sourire rehaussé de son sourcil en accent circonflexe si emblématique, et j’ai pensé à une image de Cary Grant. Je me suis dit: voilà, je vais écrire un rôle à la Cary Grant pour elle. Chiara possède cette force, cette rapidité, cette précision, cet amusement, qui font le délice des comédies américaines des années 40. Et notamment cette espèce de distance heureuse que peut avoir un acteur comme Cary Grant. »

Comme dans les comédies américaines des années 40, il est beaucoup question de chassés-croisés amoureux dans le nouveau film du réalisateur breton, le numéro 212 de la chambre qui lui donne son titre faisant ironiquement écho à celui de l’article du code civil selon lequel « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance« . Et Christophe Honoré d’y aller d’une ultime tirade sur son sujet fétiche: « Le vrai souci, au fond, ce n’est pas tant l’amour que l’on porte aux gens que l’amour que les autres nous portent. Et comment cet amour que les autres nous portent est toujours suspecté de n’être pas assez fort, pas à la hauteur ou d’être absent. C’est étrange également de constater à quel point le sentiment amoureux change et en même temps perdure au fil du temps. On a tous été amoureux fous quand on avait 15 ans, et force est de constater que cet amour-là vit toujours quelque part en nous quand on en a 50. C’est bien toute la complexité de l’amour: il s’accorde à un temps qui n’est pas forcément celui de la relation.« 

Chambre 212. De Christophe Honoré. Avec Chiara Mastroianni, Benjamin Biolay, Vincent Lacoste. 1h30. Sortie: 09/10. ***(*)

3 questions à Chiara Mastroianni

Christophe Honoré:

Comment avez-vous rencontré Christophe Honoré?

Il avait besoin de quelqu’un qui sache chanter pour un petit rôle dans Les Chansons d’amour. D’habitude, quand un réalisateur vous contacte, il vous dit: « Je vous ai vue dans tel film, et je voudrais travailler avec vous. » Christophe, lui, m’a dit: « J’ai entendu ton disque, et je veux travailler avec toi. » C’était plutôt original comme approche (sourire). Je n’avais que quelques jours de tournage sur le film et j’étais triste au moment de quitter le plateau. Christophe m’a alors soufflé: « On va retravailler ensemble. » J’ai pensé qu’il disait ça pour être gentil, mais il a fait plus que tenir sa promesse. Avec lui, je ressens une énorme confiance. On n’a pas besoin de se parler beaucoup pour se comprendre.

Comment avez-vous abordé le personnage de Maria dans Chambre 212?

Christophe voulait que l’on construise ensemble un personnage féminin façonné par des attributs qui connotent d’habitude la masculinité. Nous avons beaucoup travaillé sur un langage du corps très libre qui, associé à des dialogues très écrits, très littéraires, amène un décalage, une spontanéité et aussi une forme de légèreté, je pense, au film.

Vous avez réellement été mariée à Benjamin Biolay: n’était-ce pas délicat pour vous de rejouer avec lui les couples fragilisés à l’écran?

Après une rupture, l’amour évolue et prend d’autres formes. Avec Benjamin, on a toujours continué à faire des choses ensemble après notre séparation. On a écrit, enregistré des disques, fait des concerts… J’aime l’idée que l’affection très singulière que l’on se porte puisse continuer à s’exprimer autrement. C’est la première fois que nous tournions ensemble et j’ai vraiment été très surprise par ce qu’il amenait à son personnage. Une certaine tendresse, par exemple, que je ne lui avais jamais vu montrer à l’écran. Et puis ça m’a bien fait marrer de le voir faire des lessives, parce qu’il n’a sans doute jamais ouvert une machine à laver de sa vie. En ce sens, c’était vraiment un rôle de composition pour lui (sourire).

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