Cherche acteur atteint de neurofibromatose de type 1 pour rôle célèbre. David Bowie s’abstenir.

John Hurt en Elephant Man dans le film de David Lynch. © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

À l’avenir, le British Film Institute n’accordera plus de subventions aux films dont le « méchant » porterait des cicatrices au visage. C’est que sinon, ça encourage les enfants à jeter des pavés sur les gens qui ont vraiment des balafres. Puisqu’on vous le dit. Justice sociale en roue libre et John Hurt « mauvais » Elephant Man, voilà le Crash Test S04E14.

Ceci n’est pas une blague: à l’avenir, le British Film Institute n’accordera plus de subventions aux projets de films dont le « méchant » porterait des cicatrices au visage. La décision a été prise en soutien à une campagne de sensibilisation du nom de #IamNotYourVillain lancée par Changing Faces, une organisation britannique qui lutte notamment contre la discrimination et la stigmatisation des personnes aux visages déformés par des accidents et des maladies. « Le cinéma est un catalyseur de changement, a déclaré Ben Roberts, le directeur du BFI, et c’est pourquoi nous nous engageons à ne plus avoir de représentations négatives de cicatrices et de différences faciales dans les films que nous finançons. Cette campagne s’inscrit directement en résonance avec les critères de diversité standards du BFI, qui en appellent à des représentations à l’écran ayant du sens. Nous soutenons totalement la campagne #IamNotYourVillain de Changing Faces et nous exhortons le reste de l’industrie du film à en faire de même. »

Stigmatiser le méchant à cicatrices comme étant un encouragement à stigmatiser les gens ayant réellement des cicatrices est sinon un peu facile, voire complètement con.

Bref, si l’industrie du film avait suivi cette politique plus tôt dans l’histoire du cinéma: pas de Darth Vader, pas de Tony Montana, pas de Freddy Krueger, pas de Toxic Avenger, par de Ernst Stavro Blofeld et pas de Joker à la sauce Nolan. Tout ça pour éviter que dans la rue, après avoir vu de tels films, les enfants pointent du doigt des personnes défigurées en leur criant des imbécillités et en leur jetant des pavés… Alors, bien sûr, la cicatrice au visage est une très grosse ficelle hollywoodienne et ce n’est donc pas forcément inopportun d’encourager les scénaristes à trouver d’autres petits trucs pour visuellement surligner les tourments internes d’un personnage. De là à pratiquer la censure économique afin de mettre au pas les esprits récalcitrants… Pourquoi d’ailleurs s’arrêter aux cicatrices? C’est qu’au cinéma, je dirais que la bonne grosse balafre fait partie de la panoplie de l’infamie au même titre que les crânes chauves, les moustaches soignées, les tatouages d’araignées, les trois quarts de cuir, le sexe sadomasochiste et le concubinage avec des ressortissantes de pays asiatiques. Comme le relève un article un peu pince-sans-rire du site de Forbes, dans un film, le « méchant » est aussi souvent plus intelligent, mieux habillé et plus éduqué que le héros, qui n’a lui bien souvent que sa force animale sur laquelle compter au moment de sauver le monde. En viendra-t-on donc un jour à arrêter de financer les films qui présentent des méchants malins tirés à quatre épingles, vu que dans la vie de tous les jours, cela pourrait stigmatiser les personnes intelligentes bien habillées?

Stigmatiser le méchant à cicatrices comme étant un encouragement à stigmatiser les gens ayant réellement des cicatrices est sinon un peu facile, voire complètement con. Déjà, c’est partir du postulat que les gens et les enfants sont à la base débiles et cruels et qu’ils ont donc besoin d’être mieux conditionnés par la culture qu’ils consomment. Bref, on nous refait le coup du sauvage sans âme à vite évangéliser sous peine de le laisser sous l’emprise de Satan. C’est aussi affirmer quelque chose qui n’est pas vrai puisque non, non, non, non, la cicatrice d’un méchant hollywoodien n’est pas systématiquement utilisée pour surligner sa malignité. Ainsi, dans la saga Star Wars, quand sont dévoilées les déformations physiques de Darth Vader, elles humanisent et fragilisent complètement un personnage jusque-là considéré comme le Mal absolu et invincible. Rien à voir avec Tony Montana, dont la balafre ne fait pas spécialement peur mais est plutôt là pour annoncer que ce type n’a vraiment peur de rien. Et chez Nolan, ce n’est pas le fait que le Joker ait des cicatrices au visage qui est pétochant, c’est que ce taré se les soit lui-même infligées. Et puis, il ne faudrait pas non plus oublier que les défigurations ne définissent pas systématiquement un « méchant »; entendu que des gueules aussi cassées que Nick Fury, Aldo Raine, Edward Scissorhands, Tyrion Lannister et autres Joffrey du Peyrac ne font absolument pas partie du Côté Obscur. Autrement dit, y compris au moment de sortir les clichés à la pelle, le cinéma populaire s’avère tout de même un tout petit peu plus varié, voire même subtil, y compris dans sa facilité, que ce prétendent pourtant des associations comme Changing Faces au moment de chicaner la place de la déformation faciale dans la culture pop.

Un Elephant Man, ça trompe énormément

David Bowie en Elephant Man à Broadway, 1980.
David Bowie en Elephant Man à Broadway, 1980.© ISOPIX/AP/Marty Lederhandler

Sur bien des points, il faut dire que cette association reste quoi qu’il en soit irréprochable. Changing Faces offre un soutien psychologique aux femmes défigurées par des attaques à l’acide, aide des personnes défigurées à se trouver un nouveau boulot et publie tout un tas de documentation utile à destination de celles et de ceux qui se remettent d’un grave accident alors que leur apparence physique est irrémédiablement transformée. À côté de ce travail immensément utile, l’association a toutefois cru bon de se rattacher au train fou de la guerre culturelle en cours, d’oeuvrer dans la justice sociale et de pratiquer un intense lobbying pour que la minorité dont elle s’occupe ait droit à une représentation culturelle respectable et respectée. D’organisation sérieuse et charitable, Changing Faces est donc aussi devenu l’un de ces lobbies gnangnans qui bataillent pour qu’au cinéma, les rôles de vampires gay soient obligatoirement joués par des acteurs homosexuels nés en 1689. Je plaisante à peine: au mois d’août dernier, des représentants d’organisations proches, aidant elles aussi les personnes « différentes », ont ainsi bruyamment chicané le choix de la BBC d’offrir dans son remake à venir de The Elephant Man le rôle de Joseph Merrick à Charlie Heaton (Stranger Things) plutôt qu’à quelqu’un comme Adam Pearson; un acteur anglais qui souffre d’une condition proche de celle dont était atteint Merrick.

Sur le fond, c’est vrai que l’on peut se demander pourquoi Pearson n’a jamais été contacté par la production. Pourquoi des acteurs défigurés ou handicapés restent cantonnés à des rôles secondaires ou anecdotiques alors que des Daniel Day Lewis et des Sean Penn remportent des Oscars quand ils jouent des rôles de personnes handicapées? Mais faut-il vraiment recourir au jeu de l’outrage et de l’outrance au moment d’inviter à réfléchir sur de tels sujets? Est-ce que la directrice de l’une de ces associations ne se tire pas dans le pied à la chevrotine quand elle soutient le plus sérieusement du monde que faire tenir le rôle de Joseph Merrick à un acteur ne souffrant pas de difformités est aussi scandaleux que d’offrir le rôle d’un Noir à un Blanc? Est-ce très malin de sous-entendre qu’Adam Pearson serait forcément un Elephant Man plus légitime que ne l’ont été John Hurt au cinéma et David Bowie et Bradley Cooper au théâtre? Ne cherchez pas les réponses, on les connaît: ces associations ont moins à faire de l’art que de la justice sociale. Elles se fichent bien davantage de la qualité des oeuvres que de la possibilité d’y placer leur idéologie politique. Un bon Elephant Man est un Elephant Man qui fait pleurer des rivières et génère des tonnes d’empathie. Que le rôle principal soit tenu par un acteur sous six kilos de prothèses, par Bowie et Cooper en caleçons, par quelqu’un qui souffre réellement du Syndrome de Protée ou par le Schtroumpf grognon en tutu ne devrait dès lors n’avoir qu’une importance très secondaire. À moins, bien entendu, d’avoir d’autres idées derrière l’oreille que de simplement vouloir produire la meilleure oeuvre artistique possible.

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