Cannes 2013: Une palme et des motifs

Léa Seydoux, Abdellatif Kechiche et Adèle Exarchopoulos (La vie d'Adèle). © Belga
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Bilan, tendances et perspectives du 66e festival de Cannes, une édition de haut vol ayant couronné en La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, un film remarquable, lancé à l’assaut de la vie dans un élan communicatif.

Une manifestation ayant pour invitée d’honneur Kim Novak, la star de Vertigo, ne peut qu’être née sous une bonne étoile, écrivions-nous en coda à la présentation de la 66e édition du Festival de Cannes. A l’autopsie, ce postulat s’est vérifié cent fois plutôt qu’une, pour faire de ce millésime 2013 l’un des meilleurs depuis fort longtemps, la sélection de Thierry Frémaux tenant largement les promesses esquissées sur le papier. Une qualité d’ensemble que reflète d’ailleurs judicieusement le palmarès tout en équilibres -géographique, cinéphile et thématique- concocté par le jury de Steven Spielberg; distribution des prix ayant, conformément à l’attente, couronné La vie d’Adèle-Chapitre 1 et 2 d’Abdellatif Kechiche, et dont l’on regrettera, tout au plus, que James Gray en soit -mais c’est en passe de devenir une fâcheuse habitude s’agissant du réalisateur américain- le grand oublié.

Fin de règne

Riche en transports esthétiques et en émotions intenses, le festival l’aura également été en enseignements. L’on n’en attendait pas moins, à vrai dire, d’une manifestation prenant le pouls de la planète cinéma, et permettant de jauger le regard porté par cette dernière sur son environnement. A cet égard, l’on peut considérer que l’une des grandes tendances de ce cru 2013 en fut exposée dès l’ouverture par The Great Gatsby, de Baz Luhrmann, consacrant, sous les paillettes, la fin d’un monde. Ce motif, on en trouvera de multiples déclinaisons, de La grande belleza, de Paolo Sorrentino, contemplant la décadence d’une microsociété vouée au culte de sa propre vacuité, au Nebraska, d’Alexander Payne, arpentant un paysage américain en pleine décrépitude; de l’aristocratie déconfite de Un château en Italie, de Valeria Bruni-Tedeschi, à l’humanité zombifiée qu’observent, désabusés, les vampires de Jim Jarmusch –Only Lovers Left Alive, en effet.

Il y a là, prégnante, une atmosphère de fin de règne, comme en écho à une réalité violente et implacable, régulièrement abordée frontalement. C’est le Mexicain Amat Escalante qui évoque l’emprise destructrice des cartels de la drogue dans le radical Heli; l’Espagnol Diego Quemada-Dies qui ne s’encombre pas de faux-fuyants pour évoquer l’enfer vécu par trois ados guatémaltèques partis à la poursuite d’un hypothétique eldorado américain – cette Jaula de oro qui referme l’horizon de son film; ou encore Jia Zhangke qui dépeint une Chine livrée à la corruption et à la violence, physique et morale, dans A Touch of Sin. Et l’on ne parle même pas de Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn, qui semble faire de cette violence, encore, son ressort unique, dissimulé sous quelque salmigondis ésotérique. Ce monde-là est dur, dont les inégalités se font chaque jour plus criantes, et qui trouvent ici des expressions diverses -grinçante dans Borgman, d’Alex van Warmedam; mélodramatique dans The Immigrant, de James Gray; sensible dans Like Father, Like Son, de Hirokazu Kore-eda.

Du reste, et tant qu’à dresser un état des lieux du monde tendance blafard, la sélection ne s’est pas privée de tordre le cou à quelques mirages dont nous sature l’air du temps bling-bling. La cupidité érigée en art de vivre? La course à l’argent prend un tour ultra-violent chez Takashi Miike, dans un Shield of Straw où la promesse d’une prime d’un milliard de yens à qui exécutera un tueur d’enfants, transforme de paisibles Japonais en apprentis psychopathes. Cela, quand elle ne s’avère pas bien dérisoire, comme dans le chef du vieux bonhomme parti chercher le gros lot d’une loterie pour gogos dans le Nebraska, sa pseudo bonne fortune libérant toutefois de nombreuses convoitises. La célébrité, objet de tentation et de fantasmes dont Andy Warhol promettait son quart d’heure à chacun? La belle affaire, tournée en dérision tant par Steven Soderbergh (Behing the Candelabra) que par les frères Coen (Inside Llewyn Davis); par Sofia Coppola (The Bling Ring) que par Ari Folman (The Congress), en une série d’instantanés d’humeurs variables.

La vie d’Adèle, chapitres 3 et 4

Au-delà de la photographie, l’affaire se corse, inévitablement, d’enjeux moraux, suivant une ligne oscillant de la culpabilité au pardon, ce motif central aux films de Asghar Farhadi (Le passé), Arnaud Desplechin (Jimmy P.), Abdellatif Kechiche ou James Gray encore; et jusqu’à l’intégrité rigide d’un Michael Kohlhaas (Arnaud des Pallières), cet homme prêt à mettre un pays à feu et à sang, pour rétablir son droit bafoué. Celui-là, qui sera confronté aux limites de son action, apparaît toutefois emblématique d’une volonté de s’emparer de son destin. C’est là, en effet, le leitmotiv d’une large majorité des films présentés, comme en écho à l’extrait de Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln) de John Ford, proposé par Arnaud Desplechin dans son Jimmy P. Face à l’adversité de l’existence, la Suzanne de Katell Quillevéré; Ewa, The Immigrant de James Gray; la Jeune et jolie Isabelle de François Ozon; le Llewyn Davis des frères Coen; le Grigris de Mahamat-Saleh Haroun; le Gary du Grand Central de Rebecca Zlotowsky; et l’on en passe, comme Gatsby, les gamins de Like Father, Like Son ou les amants vampires de Jarmusch, tous ont en commun de ne pas s’en laisser conter, avec des fortunes diverses d’ailleurs.

Evoquant, devant une assistance rattrapée par l’émotion, l’ironie du destin de Vertigo, malmené par la critique lors de sa sortie, avant d’être aujourd’hui plébiscité comme meilleur film de l’histoire du cinéma, Kim Novak aura cette formule: « Quand on croit à quelque chose, il ne faut pas abandonner, mais continuer à y croire. Ne renoncez jamais à vos rêves. » On ne saurait mieux dire, et à cet égard, l’image la plus forte du Festival restera peut-être celle d’Adèle, vêtue de sa robe bleue, et partie d’un pas décidé à l’assaut de la vie. A suivre, qui sait, dans les chapitres 3 et 4.

Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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