C’est ça l’amour: Bouli Lanners joue sur la corde sensible
Portrait bienveillant d’un homme qu’une rupture a plongé dans un profond désarroi, C’est ça l’amour trouve en Bouli Lanners un interprète inspiré, le comédien s’y exposant fragile et généreux…
À voir Bouli Lanners se fondre dans l’environnement de C’est ça l’amour, le second long métrage de Claire Burger, on a l’impression qu’il y avait là, sinon une évidence, une rencontre programmée. Au moment de travailler pour la première fois avec un comédien professionnel, la cinéaste lorraine confesse d’ailleurs n’avoir guère hésité: « J’étais curieuse de ce qu’un acteur professionnel pouvait apporter au film, mais je voulais aussi que ce comédien puisse s’ancrer dans le territoire que je filmais: Forbach, à la frontière allemande, au nord-est de la France. J’ai assez vite regardé du côté des Belges et j’ai pensé à Bouli Lanners pour incarner Mario. Bouli est lui aussi frontalier, il parle plusieurs langues, dont le dialecte pratiqué dans ma région. C’est quelqu’un qui a énormément d’enfance et une immense sensibilité. » La suite coulant de source, ou presque, l’acteur se remémorant, un large sourire aux lèvres, un premier contact téléphonique: « J’étais en tournage, je l’ai appelée, et le premier truc qu’elle m’a dit, tout de suite, c’est: « On m’a donné ton nom, mais tu sais, je préfère travailler avec des non-professionnels ». J’ai trouvé l’attaque vraiment bien, et je lui ai répondu: « Tu sais, tu n’as qu’à faire comme si je n’étais pas un professionnel ». Ça l’a fait rire et l’a détendue, on s’est rencontrés et ça a tout de suite collé. »
Un tournage en immersion
Avec C’est ça l’amour, Bouli Lanners s’aventure hors de sa zone de confort, pour incarner Mario, un homme que le départ de sa femme, le laissant avec leurs deux filles adolescentes, plonge dans un désarroi profond. Afin de s’y préparer au mieux, l’acteur-réalisateur (il devrait entamer prochainement le tournage de son premier film en anglais, Wise Blood) a privilégié l’immersion. En veillant, dans un premier temps, à se rapprocher de celles qui allaient être ses enfants de cinéma, Justine Lacroix et Sarah Henochsberg, les invitant à séjourner chez lui pour construire leur famille de substitution -« il fallait vraiment que l’on recrée le quotidien, trouver une intimité« -, résultat probant de naturel à la clé. En se plongeant ensuite dans la réalité de Forbach, en amont puis pendant le tournage. « J’y suis resté tout le temps, dans une ville pas sexy du tout, hyper-austère, avec une paupérisation terrible dans la population, une communautarisation très forte de toutes les nationalités différentes, le choc encore présent d’un déclin économique récent. Tous les magasins sont pratiquement fermés, il n’y a plus rien, tu ne peux pas trouver un resto où il y ait des légumes. J’allais m’en acheter à la supérette, sinon j’allais prendre huit kilos. C’était dur de rester à Forbach, mais j’en avais besoin, j’étais hyper-concentré, je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Il fallait que je tienne mon personnage de A à Z, tout le temps. »
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Un passage obligé, prix d’une aventure exaltante qui le fait considérer avec le recul C’est ça l’amour comme « le plus dur des tournages que j’ai faits, mais aussi le plus intéressant artistiquement, parce que l’immersion était complète ». « Claire a une façon de travailler qui vient du documentaire. Et, ne travaillant qu’avec des comédiens non-professionnels, je ne pouvais vraiment m’appuyer sur personne, parce que j’ignorais comment les choses allaient se faire. Et puis, surtout, ce n’était pas organisé comme un tournage classique: en général, lorsqu’on filme, il y a l’éclairage, la machinerie, un axe lumière, et quand on change l’axe de la caméra, on bascule la lumière, et le comédien se retire et se repose un peu. Là, rien de tout ça: elle tournait avec une caméra extrêmement performante en termes de luminosité. Quand on commençait à tourner, on n’arrêtait plus, il se passait parfois une heure entre « Action » et « Coupez ». On reprenait, on refaisait, et moi, je jouais tout le temps. »
L’héritière de Pialat
Manière, bien sûr, d’arriver au plus près de la vérité d’un personnage en creux auquel l’acteur apporte un luxe de nuances, faisant ressortir sa fragilité sans pour autant verser dans le pathos -de la dentelle doublée d’une gageure. « Mario est un mec normal, ce qui est dur à jouer. Claire Burger met en scène une classe moyenne, certainement le truc le moins sexy à filmer. Autant le prolétariat le plus dur t’amène, d’un point de vue narratif, des ressorts pouvant conduire à une situation extrême et donc intéressante, autant filmer la bourgeoisie ou la noblesse est sexy, autant la middle-class n’offre pas de ressorts dramatiques incroyables. » Dénué d’esbroufe, le film n’en touche pas moins à quelque chose de sensible, embrassant avec justesse et bienveillance son horizon en crise, et les expressions diverses qu’y trouve l’amour, maladresses incluses. « C’est ça l’amour est vraiment plein d’amour, observe encore Bouli Lanners. Un peu comme chez Pialat. Même si c’était quelqu’un d’austère, il parlait d’amour. Il aimait les gens et pour moi, Claire est un peu son héritière, non reconnue. Elle n’en parle jamais, et dirait certainement le contraire, mais il y a pour moi dans son travail quelque chose de Pialat. Tourner avec elle a vraiment constitué un grand bonheur. »
Un moment d’exception aussi, auquel a succédé un indispensable break de plusieurs mois. « Quand tu vis une expérience comme celle-là, artistiquement aussi forte, tu n’as pas envie de te retrouver après sur un autre tournage et de rentrer dans des schémas classiques avec des comédiens qui viennent cachetonner. » On serait, du reste, enclin à y voir une forme d’éthique, celle voulant aussi que Bouli Lanners ait renoncé, depuis plusieurs années, aux comédies populaires n’ayant d’autre objet que de cartonner au box-office, pour se consacrer exclusivement à des projets plus audacieux. « J’ai pris de l’assurance, ce qui me permet de faire aujourd’hui des films que je n’aurais pas osé faire avant. Il y a quelques années, je ne me serais pas senti la légitimité de tourner un film comme celui-ci. Et maintenant, oui: j’en suis à un âge où il y a plein de choses que je n’ai plus envie de faire, et où je suis ouvert à toutes les expériences nouvelles. » À bon entendeur…
C’est ça l’amour
De Claire Burger. Avec Bouli Lanners, Justine Lacroix, Sarah Henochsberg. 1h38. Sortie: 27/03. ****
Après avoir tracé le portrait d’une femme libre et forte dans le film collectif Party Girl, Caméra d’Or à Cannes en 2014, Claire Burger s’attelle, dans C’est ça l’amour, à celui d’un homme fragile, au coeur d’une famille en crise. Soit Mario (Bouli Lanners), fonctionnaire à la ville de Forbach que le départ de sa femme Armelle (Cécile Remy-Boutang) après 20 ans de mariage a laissé totalement désemparé. Et tentant vaille que vaille de garder la tête hors de l’eau, arrimé à l’espoir chimérique de son retour, non sans élever leurs deux filles adolescentes, subissant les reproches de la cadette, Frida (Justine Lacroix), tandis que l’aînée, Niki (Sarah Henochsberg), a des rêves d’indépendance plein la tête.
Soit la matière fébrile d’un film sensible envisageant ce désordre familial avec un appréciable souci de vérité (la complicité entre Bouli Lanners, vulnérable comme rarement, et ses deux jeunes partenaires non-professionnelles est tout simplement bluffante), à quoi la réalisatrice ajoute la bienveillance du regard. Il y a là, inscrite à fleur d’émotions multiples, une chronique d’une belle et délicate justesse, débordant du cadre du drame intime pour vibrer d’une dimension sociale et affirmer, l’air de rien, le pouvoir libérateur et porteur de lien social de l’art et la culture. Soit un film modeste en apparence, mais pas moins essentiel pour autant…
Présenté en ouverture de Un Certain Regard, Party Girl, de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, devait marquer l’édition 2014 du festival de Cannes, repartant de la Croisette avec la Caméra d’Or récompensant le meilleur premier long métrage. Quatre ans plus tard, Burger a choisi de voler de ses propres ailes, et c’est au Lido de Venise que l’on découvre C’est ça l’amour, programmé aux Journées des Auteurs de la Mostra. La cinéaste française y trace le portrait de Mario, un homme encaissant de plein fouet le choc de la séparation d’avec sa femme, déflagration le laissant seul et démuni avec leurs deux filles adolescentes. « Au moment où cette idée a germé, j’étais moi-même en rupture amoureuse, vivant les déflagrations que l’on peut connaître en tant qu’adulte après de très longues relations. Ça m’a fait revisiter un peu la séparation de mes parents quand j’étais plus jeune, mais avec la capacité que je n’avais pas à l’époque d’en comprendre la complexité. J’ai eu envie, pour ce deuxième film, de faire quelque chose de très simple, et de partir d’une chose commune, universelle pour aller chercher autour de l’intériorité, l’intimité, en essayant d’être au plus près de la question du jeu des comédiens et de l’incarnation de l’émotion. » Ou comment, tout en s’étant inspirée des lignes de force de sa propre histoire, en élargir le spectre.
Partiellement autobiographique, le film l’est à plus d’un titre. Par son cadre, Forbach, où Claire Burger a grandi, et où elle a situé tous ses films à ce jour. Par ses personnages aussi: Justine, renvoyant à l’adolescente qu’elle était, et Mario, empruntant largement à son père, dans son rapport à la culture et à la transmission notamment: « Ce n’est pas un film hommage, mais mon père était un très gros consommateur de culture, mais vraiment pas d’une façon élitiste ou bourgeoise, et ça a forgé ma sensibilité. Pour beaucoup de gens en province -pas que les notables, mais les profs, les petits fonctionnaires-, la culture fait partie de leur possibilité de s’élever, pas socialement, mais de se construire et de vivre des émotions. Même si j’étais en grande rébellion contre lui, je me rends compte que mon père m’a remplie et m’a construite, en grande partie avec l’art. »
Le portrait d’un homme sensible
Particularité de Mario, c’est aussi un personnage en creux, à l’opposé quelque part d’Angélique, la flamboyante héroïne de Party Girl. « C’était l’une des difficultés du scénario. Il était hyper-important de trouver un acteur qui, en termes d’incarnation, de sensibilité et d’émotions, pourrait être très généreux parce que c’est un personnage qui subit beaucoup, et je m’en amuse même un peu. Bouli Lanners était vraiment celui qu’il me fallait, parce qu’il a cette enfance, mais aussi ce charisme et cette fragilité qui font qu’on l’aime immédiatement. » Et de fait, le comédien signe ici l’une de ses compositions les plus abouties, évoluant avec un naturel rare dans un environnement de non-professionnels. La cinéaste a aussi veillé à ne l’encadrer que de femmes, fortes pour la plupart, ses filles, son ex-épouse, la directrice de la troupe de théâtre Atlas et même une camionneuse croisée sur une aire d’autoroute. Et d’expliquer: « Après avoir travaillé dans Party Girl la question d’une héroïne libre, indépendante, refusant de s’occuper de sa famille, j’avais envie de prendre le contrepoint et de voir ce qui se passait du côté des hommes. De parler d’un homme qui soit un peu loin des clichés de la virilité, et de le faire aujourd’hui, dans une période où les femmes sont dans une espèce de transition, de quête de pouvoir, et de placer cet homme sensible face à cette forme de révolution, avec des femmes fortes alentour. Je trouvais intéressant de parler d’un homme qui vit ce changement de ligne de force, pas d’une façon caricaturale en se posant la question de sa masculinité, mais juste de ces rapports humains… »
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