Blackhat, zoom sur ces films qui ne sortent pas

Chris Hemsworth et Wei Tang dans Black Hat de Michael Mann © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Blackhat, le nouveau film de Michael Mann, ne sort pas sur les écrans belges. Un phénomène plus courant qu’il n’y paraît, même si ne touchant qu’exceptionnellement des auteurs de ce calibre. Regard sur un marché en mutation.

Le quotidien Libération s’en émouvait dans ses éditions du 25 mars, au détour de son analyse hebdomadaire du box-office français: « Quant au Hacker (Blackhat en vo, ndlr) de Michael Mann, il a beau atteindre les 710 entrées par écran, il souffre d’une très faible programmation (84 copies) au regard du statut du cinéaste. » En l’espèce, le public hexagonal aura pourtant été mieux loti que son homologue belge, puisque le film, après avoir longtemps figuré sur les listes de sorties de Sony Pictures (qui distribue le catalogue Universal en Belgique), en a été rayé, se voyant purement et simplement privé de sortie en salles. Un choix que la multinationale n’a pas souhaité commenter, se retranchant derrière un laconique: « Nous sommes une société commerciale, et c’est une décision commerciale »; on a connu ses représentants plus prolixes lorsqu’il s’agissait d’alimenter le buzz autour de la pantalonnade The Interview, jouant la rengaine sortira/sortira pas sur tous les tons.

Mais soit, circulez, il n’y a rien à voir, ou peu s’en faut, et tant pis pour ceux qui viendraient à s’interroger -comme sur le Forum d’Allociné où l’on pouvait lire « qu’est-ce que c’est que cette distribution foireuse? » ou autre « Une blague, cette distribution »-, ou mieux encore à vouloir voir le film: au prix du Thalys, voilà qui fait cher du ticket d’entrée. On peut toutefois supputer que les chiffres désastreux de Blackhat aux Etats-Unis (sorti sur 2567 écrans le 18 janvier, il avait fait 4,4 millions de dollars de recettes sur sa première semaine d’exploitation, autant dire une misère, rapportée à un budget de 70 millions) auront contribué à faire tomber le couperet. Et cela, même si Public Enemies, le précédent opus du réalisateur américain, avait fait une carrière plus qu’honorable en nos contrées, terminant l’année 2009 à la 21e place du box-office national, avec des recettes de quelque 2,5 millions de dollars…

Figures imposées

Paris, mercredi 1er avril, sur le coup de 14h. On ne se bouscule pas dans les travées du Grand Action, un cinéma du Quartier Latin, l’une des cinq (sic!) salles de la capitale française à encore programmer Hacker en troisième semaine d’exploitation. Le sabotage, par un virus informatique, de la centrale nucléaire de Chai Wan, bientôt suivi de celui de la bourse d’échange de Chicago, entraînant une flambée des prix du soja, incitent enquêteurs chinois et américains à mettre en place une cellule de crise commune. Non sans recourir aux services d’un hacker célèbre purgeant pour l’heure une lourde peine de prison, Hathaway (Chris Hemsworth), chargé de démêler un écheveau pour le moins nébuleux. Et l’action de se déployer entre Hong Kong et les Etats-Unis, avec des détours par la Malaisie et l’Indonésie…

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On retrouve assurément la griffe du réalisateur de Heat dans ce polar alambiqué à l’esthétique racée, adoptant une carnation électrique pour s’immiscer dans les méandres de la cyber-criminalité, dont Mann entreprend la déconstruction méthodique. Mais si l’entreprise est ambitieuse, le film ne répond que partiellement à l’attente, question de distance notamment. Le réalisateur joue de la déconnexion pour parler d’un monde ultra-connecté, au risque de l’évanescence, et cela même si Hacker suit une progression allant de l’abstraction à la frontalité. A quoi l’on ajoutera un casting problématique, dans le chef en tout cas de Chris « Thor » Hemsworth, acteur à la gamme d’expressions pour le moins limitée, s’acquittant de figures imposées sans plus de charisme que d’ambiguïté, jusqu’aux flambées de violence finales. Pas du grand Mann, en tout état de cause, un peu comme si le réalisateur nous refaisait le coup de Miami Vice. Et certes pas la promesse d’un carton au box-office, ceci expliquant peut-être cela…

Trop de films, trop peu d’écrans

Nombreux sont, à vrai dire, les films à ne pas sortir sur les écrans. Mais plus rares, toutefois, sont ceux dûment répertoriés sur les listes des distributeurs à passer à la trappe de la sorte, a fortiori s’agissant d’un auteur du calibre de Michael Mann. Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Ainsi, au milieu des années 90 déjà, An Awfully Big Adventure, de Mike Newell, qui sortait alors du succès de Four Weddings and a Funeral, et retrouvait d’ailleurs Hugh Grant pour l’occasion, était resté sur les étagères de son distributeur, la Columbia pour ne point la nommer. Quelques années plus tard, c’est Belga pour le coup qui, espérant tenir là un nouveau Full Monty, envoyait une escouade de critiques belges à Londres pour y découvrir Whatever Happened to Harold Smith?, et rencontrer le réalisateur Peter Hewitt de même que l’acteur Tom Courtenay, avant de renoncer à sortir le film.

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Deux exemples parmi beaucoup d’autres d’une tendance qui a gagné en ampleur. Et si personne ne s’inquiètera outre mesure de la non-sortie de The Wedding Ringer ou autre Goodnight Mommy, il en va autrement quand il s’agit de Trash, dernier opus en date de Stephen Daldry, l’auteur, quand même, de Billy Elliot, The Hours et The Reader, connaissant le destin, autrefois frappé d’infamie, d’un « direct to DVD » (lire la critique dans le Focus n°15 du 10 avril). Dans une économie mouvante, la question concerne aujourd’hui aussi bien majors que distributeurs indépendants. Ainsi, par exemple, ABC – September Film (Mommy, La Grande Bellezza, L’Inconnu du lac, Still Alice…) a-t-il renoncé à sortir en salles The Search, de Michel Hazanavicius. « Une décision découlant des résultats catastrophiques du film en France », explique Henk Cluytens, sales manager pour la Belgique de la société belgo-hollandaise. Et un raisonnement qui avait déjà valu en son temps pour Post Tenebras Lux, du Mexicain Carlos Reygadas, pourtant auréolé du Prix de la Mise en scène lors du festival de Cannes 2012.

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Autre cas de figure, les films qui restent sur le carreau parce qu’au potentiel jugé insuffisant -ainsi de In Order of Disappearance, du Norvégien Hans-Peter Molland, qui fera néanmoins la clôture du BIFFF dans quelques jours. « Le coût d’une sortie, même limitée, peut être estimé à 5000 euros, poursuit-il. Il faut donc des rentrées de 12.000 euros pour amortir les dépenses. » Soit quelque 1800 spectateurs, et pas une mince affaire avec un parc de salles limité: « Trop de films sortent, et il y a un manque patent d’écrans art et essai. Un film comme Kreuzweg, malgré les deux prix obtenus à Berlin et une presse abondante, n’a tenu que deux semaines à Bruxelles, après, c’était au revoir et merci, une catastrophe pour nous. Mais nous avons aussi de bonnes surprises, et Le Meraviglie, par exemple, pour lequel on tablait sur 5000 entrées a dépassé les 10.000. Je ne suis pas triste… » Et l’on ne parle même pas, là, de La Grande Bellezza, resté plus d’un an à l’affiche pour totaliser près de 50.000 spectateurs…

A la tête de Cinéart, distributeur pour le Benelux des films des frères Dardenne, Ken Loach ou autre Michael Haneke, Stephan De Potter ne tient pas vraiment un autre discours. « Il y a sept ou huit sorties par semaine, et le public se focalise sur un blockbuster et un film art et essai, le reste passe complètement à la trappe. Du coup se pose la question des frais de sortie, qu’on essaye de minimiser… » Une volonté pouvant passer par des modes de diffusion alternatifs: ainsi, Kill List, de Ben Wheatley, avait-il fait l’objet de sorties simultanées en salles, VOD et DVD /Blu-ray, là où, plus près de nous, Goal of the Dead, de Thierry Poiraud et Benjamin Rocher, faisait l’objet d’un duo VOD/DVD. De quoi accréditer l’idée que le « direct to VOD » reste pour l’heure surtout affaire de films de niche. « Mais cela va changer, observe Stephan De Potter. Les tentatives sont de plus en plus fréquentes, et aux Etats-Unis, elles concernent aussi des films « solides ». Il n’y a pas de raison que cela n’arrive pas chez nous, la tendance est lancée. Le marché a énormément changé, et on doit s’adapter. Même si on achète en fonction de la salle, qui reste le maillon le plus important dans la chaîne. » Histoire aussi que les cinémas ne deviennent pas un no Man(n)’s land…

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À lire également: Kill List, Marfa Girl… La distribution cinéma court-circuitée.

Dans le Focus du 10 avril, retrouvez également notre critique de Trash de Stephen Daldry, ainsi que de 4 films disparus des tablettes des distributeurs.

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