Bernadette Lafont, lumière du cinéma français

Bernadette Lafont est décédée à l'âge de 74 ans. © Reuters
FocusVif.be Rédaction en ligne

Bernadette Lafont est morte à 74 ans. En 2007, elle fêtait ses 50 ans… d’actrice et revenait pour Le Vif/L’Express sur ces cinq décennies où elle éclaira le cinéma français. Avec charme et talent.

Mieux qu’une star, une figure. Voilà cinquante ans que Bernadette Lafont marque de sa personnalité le cinéma français. Aujourd’hui, elle en a 68. Durant l’été 1957, elle en avait 18, face à un autre débutant, François Truffaut, qui la dirigeait dans leur premier film à tous les deux, Les Mistons. Depuis, cette fille d’un pharmacien nîmois, égérie de la Nouvelle Vague, puis de la jeune garde des cinéastes post-68, a joué dans plus de 120 longs-métrages. Une carrière en forme d’auberge espagnole, où les classiques croisent les nanars, où le rire côtoie la tragédie. Douillettement installée dans son appartement du Marais, elle égrène, avec son timbre « arlettyen », quelques-uns des souvenirs jalonnant cinq décennies de la vie d’une « artiste fantaisiste et rigoureuse en même temps, dixit Truffaut, jamais démagogique, droite chandelle jamais vacillante ». Et sa flamme brille autant que celle d’une étoile.

1957-1966: La Nouvelle Vague

« Mon père répétait qu’il aimait les gens connus et reconnus. Et je souhaitais lui faire plaisir. Mais, à cette époque, si on désirait faire du cinéma, il valait mieux être blonde, avoir un petit nez et une taille de guêpe… Moi, j’étais brune, avec un nez pas vraiment minuscule, un type méditerranéen. Des producteurs voulaient m’éclaircir les cheveux, me refaire un peu le visage… J’ai toujours refusé. D’autant que les Chabrol, Truffaut et compagnie s’arrangeaient bien de mon naturel. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague n’ayant jamais fait de cadeau aux metteurs en scène installés, ces derniers me l’ont fait payer. Ils me préféraient Françoise Arnoul, Brigitte Bardot… De plus, je n’étais pas dans le circuit. Quand je me suis séparée de Gérard, j’ai eu des maris et des amants qui étaient peintre ou sculpteur, plutôt que réalisateur ou producteur. »

1967-1976: Des rôles qui choquent

« Je découvre le Living Theater. Des Américains qui ont révolutionné le théâtre moderne, avec Antonin Artaud comme référence. En 1967, ils montent Frankenstein, d’après Mary Shelley, à Cassis. Je défilais dans la rue avec Taylor Min, proche d’Andy Warhol, pour annoncer le spectacle… J’étais tellement speed qu’ils me demandaient tous ce que je prenais: rien. Je les retrouvais à Paris, à la Coupole, où se rendaient également Bulle Ogier, Jean Eustache, Philippe Garrel… La suite, des Idoles [Marc’o, 1968] à La Maman et la putain [Jean Eustache, 1973], s’est déroulée naturellement. En 1969, je joue la désormais célèbre Fiancée du pirate [Nelly Kaplan]. Je dis « désormais » car, si les critiques furent formidables, le succès n’a pas été au rendez-vous. Le film était interdit aux moins de 16 ans et intriguait. J’y jouais une pute mais pour la bonne cause. Les gens ont été beaucoup plus outrés par Une belle fille comme moi [François Truffaut, 1972], dans lequel j’interprétais une criminelle, qui ne pensait qu’à sa gueule et qui restait impunie à la fin. Truffaut voyait en elle la revanche de l’Enfant sauvage. »

1977-1986: Les années théâtre

« Date essentielle: en 1978, Pierre Romans me propose de jouer aux Amandiers de Nanterre dans La Comtesse sanglante, un Gilles de Rais au féminin. Après plusieurs tentatives avortées, je m’épanouis enfin au théâtre. Le cinéma, c’est merveilleux. Mais, quand on a dépassé le narcissisme, les gâteries, les compliments et qu’on aime jouer, c’est assez chiant, finalement. On ne fonctionne que par petits bouts, au gré du réalisateur. De celui-ci j’attends avant tout qu’il soit sympathique. Ainsi, On n’est pas sorti de l’auberge [1982] ne restera pas dans les annales, mais Max Pécas était un homme délicieux, bien plus correct que certains metteurs en scène plus cotés. Pour l’agent que j’avais à l’époque, je n’étais pas un cadeau. Pour un film, il a même dit que j’étais à Katmandou afin de filer le rôle à quelqu’un de plus docile. »

1987-1996: La vie sans Pauline

« Durant l’été 1988, je perds ma fille Pauline. On me demande souvent comment j’ai tenu moralement. Mais j’avais mon autre fille et mon fils, dont la petite Anna est née un mois plus tard. La vie a repris le dessus. Ce qui m’a beaucoup aidée aussi, ce sont les ateliers cinéma à Nîmes, que j’avais commencés un mois avant la catastrophe. J’y ai rencontré des jeunes qui m’ont apporté beaucoup de chaleur. Et, un an plus tard, je renouvelais l’expérience en mettant sur pied les Ateliers de créations audiovisuelles et scéniques (Acas), à Sommières (Gard). Les jeunes artistes sont toujours venus vers moi. Comme Marion Vernoux, en 1993, avec Personne ne m’aime. J’ai besoin que ça bouge, que ça grouille autour de moi. »

1997-2006: Les cheveux blancs

« En 2003, on me remet un césar d’honneur. Très émouvant. Plutôt que de remercier mes parents, je me suis adressée à mes petits-enfants. Les producteurs des Petites Vacances [Olivier Peyon, 2006], touchés par ce discours, ont pensé à moi pour me proposer le rôle principal du film, une grand-mère perdue. D’où ces cheveux très blancs, que j’ai gardés depuis. Et puis, l’année dernière, je rencontre un vrai succès populaire avec Prête-moi ta main [Eric Lartigau], où je retrouve Charlotte Gainsbourg, plus de vingt ans après L’Effrontée – un autre succès, c’est dire si notre collaboration fonctionne à merveille. Bref, cette décennie se termine plutôt bien. »

2007-2057: Les rôles comme ils viennent

« En septembre, je tourne dans deux films: Mes amis, mes amours, de Lorraine Levy, d’après le roman de son frère [Marc], et Nos 18 Ans, d’Eric Assous, où je serai la mère de Michel Blanc, une grand-mère un peu exubérante. Pas de premiers rôles, mais cela n’a pas d’importance. Un personnage comme celui des Petites Vacances suffit à mon bonheur. C’est grâce à ce film que Samuel Labarthe m’a proposé de réaliser, à la rentrée, un documentaire sur moi. J’en suis extrêmement flattée. Pour mes cinquante autres années de carrière, c’est un bon début! »

50 ans de cinéma

26 octobre 1938 Naissance à Nîmes.

1957Les Mistons, de François Truffaut, et Le beau Serge, de Claude Chabrol.

1960Les Bonnes Femmes, de Claude Chabrol.

1969La Fiancée du pirate, de Nelly Kaplan.

1973La Maman et la putain, de Jean Eustache.

1986 César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Effrontée, de Claude Miller.

1987Masques, de Claude Chabrol.

1994Personne ne m’aime, de Marion Vernoux.

2006Prête-moi ta main, d’Eric Lartigau.

Christophe Carrière (L’Express)

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