Au coeur des « baby gangs »

Piranhas expose des jeunes soumis à une double pression: intérieure avec la Camorra, extérieure avec une société qui les abandonne.
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Dans Piranhas, Claudio Giovannesi filme l’irrésistible ascension des très jeunes et très violents mafieux à Naples. Rencontre et critique.

Claudio Giovannesi est romain, mais il connaît bien la réalité de ce Naples populaire où se déroule son nouveau film, Piranhas. Il y adapte le roman de Roberto Saviano La Paranza dei bambini, après avoir déjà mis en scène deux épisodes de la série télévisée Gomorra, tirée du livre le plus fameux de l’écrivain. L’un et l’autre ouvrage traitent des ravages causés par la mafia locale, la Camorra. Avec Piranhas, c’est la montée des « baby gangs », composés de membres très jeunes et hyper-violents, qui est abordée avec force. « Quand Roberto Saviano lui-même m’a proposé de filmer son roman, je lui ai répondu OK, tout en disant clairement que je n’allais pas faire un « Gomorra Junior ». Je voulais filmer ces jeunes non pas comme des criminels mais comme des adolescents, comme nos fils, comme nos frères. Et sans me faire leur juge. »

Le cinéaste a passé quasi deux ans à Naples. « D’abord pour y écrire le film, puis pour effectuer le casting (six mois à lui seul) et enfin pour tourner« . « Des faits très semblables à ceux qu’évoquent le livre et le film se sont produits voici quatre ans, suite à l’arrestation de très nombreux membres de la Camorra dont l’absence a ouvert un espace à occuper. Mais chroniquer ces faits réels ne nous intéressait pas. Roberto a choisi la forme du roman pour pouvoir utiliser son imagination, ne pas être prisonnier des faits. Moi, j’avais son texte, et la réalité. Mais aussi la vérité des gamins de Naples que j’avais rencontrés, avec qui j’avais longuement parlé.  » Nombre de ces jeunes gens sont devenus les interprètes du film. « J’ai fait le casting avant d’écrire la version finale du scénario, afin que celle-ci soit le plus possible nourrie par le réel, explique Giovannesi. Je voulais que le film soit joué par des jeunes qui connaissent ce dont il parle, par leur propre expérience ou par celle de leurs amis, de leur quartier. Ce sont tous des gens honnêtes, qui ont un travail ou en cherchent. Aucun n’est un délinquant, mais il y en a dans leur environnement. Je voulais aussi que mes acteurs aient des visages innocents, de manière symbolique, parce que le film parle de la perte de l’innocence… »

Au coeur des

Comme dans ses films précédents Ali a les yeux bleus et Fiore, Giovannesi mêle très intelligemment évocation d’une question sociale et plongée dans l’intimité des gens (famille, amitiés, amours). « Pour moi, rien n’est plus important que les personnages, l’être humain, commente le réalisateur, c’est toujours le centre de mes films. Pas la trame dramatique, pas le genre du film, pas le cinéma. L’être humain! Et sans jamais porter de jugement. Je ne désigne pas les bons et les méchants, comme dans le cinéma hollywoodien. Chaque fois, aussi, je pars de quelque chose de réel. Ainsi j’évoque différents aspects de la société, mais toujours à travers les sentiments des personnages. »

Système

Piranhas expose des jeunes gens soumis à une double pression: intérieure avec la Camorra qui gangrène les quartiers, extérieure avec une société qui ne leur accorde pas vraiment leur chance, et même les abandonne. « L’État est absent de ces quartiers où ils vivent, les institutions sont loin, la formation scolaire fait défaut et il n’y a pas de travail, ou alors au noir seulement, analyse le cinéaste . Alors dans ce contexte, l’organisation mafieuse devient une réelle alternative, pour se trouver une place, une reconnaissance, et surtout de l’argent pour vivre. À Naples, on ne parle pas de mafia ni même de Camorra: on évoque « le Système ». Comme une sorte d’assistance sociale criminelle. Quoi d’anormal à ce que certains se tournent vers ça quand la société de consommation leur fait rêver de biens -vêtements de marque, véhicules, sorties en discothèque- qui leur sont inaccessibles? Le crime leur offre la possibilité d’avoir tout ça et tout de suite… »

Au coeur des

Dans Piranhas, on parle en dialecte napolitain. Un élément crucial dans une approche rappelant celle d’un certain Pier Paolo Pasolini, grand cinéaste qui filmait volontiers les mauvais garçons. « Pasolini disait que la langue italienne n’existe pas, que c’est une langue inventée par la télévision, et pour les besoins d’un enseignement centralisé. Ce qui existe vraiment, ce sont les accents et les dialectes. Si tu cherches la vérité des personnages, des êtres humains, tu dois les faire s’exprimer comme ils le font tous les jours. »

Et d’achever sur des mots de Nicolas Philibert, rencontré quelques jours avant notre entretien, et qui disait à Giovannesi: « Dans une société où tout doit être exposé, montré -avec les GSM, les réseaux sociaux-, le cinéma a pour devoir de cacher certaines choses pour définir ce qui est un regard. » « Une grande leçon de cinéma, s’exclame le cinéaste italien, car quand tu fais un gros plan sur un visage, tu masques ce qui entoure la personne, et quand tu choisis tel ou tel objectif, tu détermines ce qu’on verra ou non dans la profondeur. C’est ça le cinéma, c’est ça le regard! »

Piranhas ***(*)

De Claudio Giovannesi. Avec Francesco Di Napoli, Ar Tem, Viviana Aprea. 1h52. Sortie: 04/12.

Elle donne froid dans le dos, cette adaptation d’un roman de Roberto Saviano, auteur aussi de Gomorra. On y voit, à Naples, de jeunes, même très jeunes, prétendants défier ce qui reste des anciens de la mafia locale (la Camorra), l’ancienne génération ayant été décimée ou croupissant en prison. Ces gamins manifestent une brutalité, une absence de scrupule, au moins aussi terrifiantes que celles de leurs aînés. Voire plus… Très efficacement mise en scène par Claudio Giovannesi, Piranhas nous immerge dans une réalité choquante. Cette fiction très documentée sur ce qu’on appelle les « baby gangs » est interprétée par des jeunes non professionnels, venus des quartiers mêmes où se déroule l’action. Leur présence très forte ajoute à l’authenticité d’un spectacle glaçant.

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