Aquarius, magnifique portrait de femme

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Second long métrage de Kleber Mendonça Filho, Aquarius arpente la réalité brésilienne, convoquant des émotions multiples sur les pas d’une femme refusant de s’en laisser conter.

Ce n’est pas tous les jours qu’une montée des marches se transforme en happening politique. Autant dire que la projection officielle d’Aquarius, en mai dernier à Cannes, aura marqué les esprits, l’équipe du film investissant le Palais munie de calicots éloquents, les « Stop coup in Brazil« ou « Le Brésil n’est plus une démocratie » déployés en signe de contestation contre la suspension de la présidente Dilma Rousseff. Et le festival d’apparaître, plus que jamais, comme une fenêtre sur le monde…

Politique, le second opus de Kleber Mendonça Filho, déjà réalisateur du remarqué Les Bruits de Recife, l’est sans conteste. Comme l’observe le cinéaste brésilien, par ailleurs intarissable sur la situation de son pays « dramatiquement divisé« , « tout devient politique de nos jours« , jusqu’aux scènes de la vie quotidienne. Ces dernières pavent joliment Aquarius , un film se jouant des catégories comme du formatage, sa dimension critique s’épanouissant dans les méandres d’un mélo familial empruntant également, au gré de ses multiples détours, à un cinéma de genre dont le réalisateur se dit friand (il arbore d’ailleurs un T-shirt Cannibal Holocaust au moment de l’entretien). « Au cinéma, les films politiques sont généralement ceux qui abordent une question de front, pose-t-il. Comme Michael Moore dans Bowling for Columbine, un film spectaculairement politique. Mais si vous regardez Roger and Me, même s’il s’agit d’un film conflictuel, il y évoque aussi une communauté et ce qui lui arrive. Je suis plus porté vers ce genre de démarche, et Aquarius est à mes yeux encore moins frontal que ce dernier. » Ce qui fait aussi son incontestable richesse.

Chassez le politique…

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Filho y retrace l’histoire d’une femme à la soixantaine solaire, secouée lorsque des promoteurs immobiliers entreprennent de la déloger de l’Aquarius, immeuble à front d’océan de Recife dont elle est la dernière occupante. « Son histoire m’a été inspirée par ma contrariété en voyant combien l’espace urbain, à Recife, est devenu désordonné -un constat valant dans la plupart des villes du Brésil et d’Amérique latine. Rien à voir avec l’Europe, où il y a un souci de préservation. Pour vous donner une idée, l’immeuble dans lequel nous avons tourné le film est vieux de 61 ans, et c’est le plus ancien de toute cette zone. Un peu comme dans L.A. Story (réalisateur venu de la critique, Kleber Mendonça Filho truffe son propos de citations de films, NDLR), quand Steve Martin, se rendant chez un voisin, constate: « Well, certaines de ces maisons ont été construites avant 1971. » C’est une bonne représentation des Amériques. La notion de démolition me perturbe énormément, j’y suis très sensible…« 

Sentiment accru dès lors qu’avec ces immeubles voués à la disparition, c’est aussi une part de la mémoire et de l’âme qui s’en va, sacrifiée pour le coup sur l’autel du néo-libéralisme outrancier -à quoi Clara, l’héroïne d’Aquarius, ne veut se résoudre. A cet égard, le film aurait tout autant pu s’intituler Rester vertical(e). Alain Guiraudie-Kleber Mendonça Filho, même combat, parallèle qui a le don d’enchanter le second: « Tout à fait. Rester vertical -qui, au passage, est un titre fantastique- ne signifie rien d’autre pour moi que rester en vie. Si l’on se couche, on meurt: il faut objecter quand il y a lieu de le faire, et prendre position. Clara refuse de se retrouver dans les cordes, même si le risque est bien présent. Mais elle sait qu’elle ne le mérite pas, elle est dans son droit et n’a donc pas à être sur la défensive. C’est une chose de se défendre, presque physiquement, c’en est une autre d’entrer dans une argumentation pouvant donner à penser que vous avez tort parce que vous cherchez à vous justifier. J’en ai été le témoin avec les récents développements de la situation brésilienne…« Chassez le politique, et il revient au galop…

En cinéaste cinéphile, Kleber Mendonça Filho a fait appel à une icône du cinéma brésilien pour incarner cette femme, à savoir Sonia Braga, inoubliable interprète de Dona Flor et ses deux maris de Bruno Barreto, du Baiser de la femme araignée d’Héctor Babenco, mais aussi de Milagro de Robert Redford, ou encore de The Rookie de Clint Eastwood. « Je n’ai pas écrit le scénario en pensant à elle, parce que j’avais l’espoir insensé de pouvoir trouver une non-professionnelle pour jouer Clara. Quand nous avons changé notre fusil d’épaule, je me suis tourné vers Sonia, et c’est la meilleure décision que j’ai prise. Elle est étonnante à tous points de vue: en tant que personne, en tant qu’actrice et en tant que visage de cinéma. »

La comédienne illumine, en effet, les 2 heures 20 que dure ce film étonnant, présentant de multiples facettes et cette part de mystère dont elle ne se départit jamais. « J’ai toujours voulu que le personnage central du film soit une femme, poursuit le réalisateur. Les visages féminins me semblent plus porteurs de défis et contribuent à accroître la tension d’un film. Certainement dans l’environnement très machiste de sociétés qui continuent à entretenir des préjugés à l’égard des femmes, ce qui vaut assurément pour le Brésil. Je n’ai pas cessé de penser à l’une des premières scènes que j’ai écrites, où elle fait une sieste sur un hamac, la sonnette retentit, elle se lève, ouvre la porte, et on voit cette petite femme faire face aux trois hommes qui se tiennent à l’extérieur. Cette simple image m’a donné envie de faire un film autour d’un personnage féminin…« 

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