À la découverte de la Queer Horror!

Rökkur, d'Erlingur Thoroddsen, 2017 © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Le sous-genre qui monte dans le cinéma d’horreur, c’est la Queer Horror, qui peut être gore ou davantage psychologique mais a forcément pour principaux personnages des gays, des lesbiennes et des trans. Plus esthétique que politique, la tendance remonte en réalité aux années 1930 et concerne aussi quelques blockbusters et autres classiques. Ce Crash Test S06E34 a dévalé le terrier aux infos et vous résume tout ce qu’il faut en savoir!

« Going down a rabbit hole« , « dévaler un terrier« , voilà bien ce qui reste l’un des grands plaisirs de l’Internet, bien plus enrichissant que les foires d’empoigne de réseaux sociaux. C’est la base même de tout le bazar: surfer sur un sujet, se laisser porter par la vague. Comme Alice, dévaler la pente souterraine qui mène au Pays des Merveilles. Ou, en l’occurrence, à la Queer Horror, découverte pour moi aussi récente qu’enthousiasmante. Comme son nom l’indique, c’est un sous-genre du cinéma d’horreur dont la particularité est d’avoir pour principaux personnages des gays, des lesbiennes et des trans. Cela existe évidemment depuis des lustres (on y revient plus loin dans la chronique) mais je n’ai donc découvert ça que très récemment et voici comment j’y suis arrivé. Depuis mon trip en Islande, il y a deux ans, je suis sur Twitter The Reykjavik Grapevine, le compte associé à un journal gratuit local. Il y a peu, on y conseilla fort quelques récents films islandais, dont Rokkür, sorti en 2017 par Erlingur Thoroddsen. Une bien sale affaire. L’un des très rares films d’horreur (plutôt psychologique) à m’avoir réellement foutu très mal à l’aise. Alors, d’accord, on n’est pas (encore tout à fait) au niveau de la partie de Lost Highway avec Bill Pullman, à celui de l’éprouvante Échelle de Jacob ou de l’anxiogène trilogie dite des « appartements maudits » de Roman Polanski. N’en demeure pas moins que Rokkür m’a donc fait bien pétocher. Il se présente d’abord comme un drame gay assez glacial avant de glisser vers quelque chose de plus paranoïaque, cauchemardesque et finalement ouvert à de multiples interprétations, ce qui n’arrange rien au malaise. Le scénario tient-il du fait divers sordide? De la schizophrénie? De la culpabilité délirante? Du surnaturel? Peu importe, d’autant que le flou est justement l’une des forces du film, en plus de son image léchée et de son ambiance sonore stressante. Le tout signé Erlingur Thoroddsen, donc. Comme je n’avais jamais entendu parler de ce type, je me suis lancé dans une petite recherche.

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J’ai donc d’abord découvert cette étiquette que je ne connaissais pas: la Queer Horror. Qui ratisse large, du moins si on en croit la réponse fournie par Google quand on entre le terme dans sa barre de recherche. The Haunting (1963) en est, vu son personnage de lesbienne assumée ne cherchant pas à subvertir quiconque au sexe entre femmes, ressort scénaristique plutôt rare pour l’époque. Interview avec un Vampire relèverait également de la Queer Horror. De même que Les Prédateurs/The Hunger, avec Catherine Deneuve et David Bowie. Ainsi que L’Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie et un épisode de la franchise Chucky. Bref, il semblerait bien que les militants identitaires d’aujourd’hui multiplient encore plus les étiquettes et inventent de nouveaux sous-genres que jadis les journalistes musicaux anglais spécialisés en musiques électroniques. Gaffe toutefois à faire remarquer l’universalité du propos de Rokkür! N’allez jamais avancer aux militants identitaires qu’une rupture amoureuse mal vécue et les phénomènes de hantise peuvent aussi concerner les hétérosexuels, comme je l’ai vu sur je ne sais plus quel forum. C’est que l’on vous accuserait en retour vite fait bien fait d’avancer que l’homosexualité des personnages de ce genre de films relève du surtout gimmick! La Queer Horror n’est pas forcément politique au moment de se concevoir mais elle a tendance à le devenir au moment de se consommer. L’identité sexuelle des personnages compterait donc éventuellement plus que ce qui leur arrive. Un autre terrier en soi, ça: la critique ciné est-elle encore véritablement de la critique ciné quand on ne juge plus le film pour ce qu’il est mais pour qui il représente? Peut-on aussi vraiment parler de sous-genre ultramoderne et quasi révolutionnaire quand on sait que l’introduction de personnages gay et pas forcément clichés dans le cinéma de genre remonte en réalité aux années 1930?

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Au fil de mon exploration m’est aussi apparue une cocasserie: l’appropriation culturelle par la communauté gay du Babadook, personnage maléfique d’un film d’horreur australien de 2014 qui ne relève pourtant pas du tout de la Queer Horror. Cela remonte à fin 2016, quand une blague sur Tumblr s’est transformée en mème, à savoir que le Babadook était forcément gay vu sa personnalité dramatique, sa façon flashy de s’habiller et son influence disruptive sur la structure familiale traditionnelle. Grosse couillonnade au deuxième degré qui n’en a pas moins amené certains critiques plutôt sérieux à envisager un sous-texte réellement gay friendly au film, avec pour résultat immédiat de faire du personnage diabolique une icône queer. Tant qu’à causer du Babadook, j’ai d’ailleurs aussi appris qu’à moins d’un très bon scénario (ou d’un contrôle fiscal un peu sévère), il n’aurait jamais de suite, du moins tant que sa réalisatrice Jennifer Kent en posséderait une partie des droits. Quant à Erlingur Thoroddsen, il semblerait bien que sa côte continue de monter dans le monde du cinéma d’horreur, plutôt queer mais de plus en plus mainstream. Interviewé par Queer Horror Movies au sujet du scénario de Midnight Kiss, écrit il y a deux ans pour la série anthologique Into The Dark, il défendait ainsi l’idée d’un thriller érotique où le corps des hommes serait aussi objectifié que celui des femmes dans les classiques du genre, ceux où la poitrine de Sharon Stone tenait le rôle principal. Une envie davantage motivée par la « sensualité homo » qu’un geste plus strictement politique, selon le réalisateur. Qui, aux dernières nouvelles, est maintenant lancé dans la réalisation de son troisième film, The Piper, basé sur une approche moderne de la légende du Joueur de flûte de Hamelin; personnage qui, pour rappel, combine trois spécialités: la musique, la dératisation et l’infanticide. Autant dire que l’on voit d’ici l’interprétation à venir: un musicien hors norme ayant sur les jeunes une influence culturelle de nature à les éloigner à jamais de leurs familles sera-t-il perçu comme plus ou moins queer que The Babadook? Personnellement, vu l’exemplaire travail sur le son dans les films de Thoroddsen, je m’en fiche assez de cette réponse. Imaginer le bruit des ongles des gamins sur la paroi de la grotte alors qu’ils y sont prisonniers dans le noir à jamais, en revanche, me donne déjà un petit goût acide à l’arrière de la bouche. Et me dresse le queer chevelu dans le cou, huhu!

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