7 Days in Entebbe: « La vie est généralement plus complexe que la version officielle »

"J'ai voulu aborder le film de manière à montrer que la vie est généralement plus complexe que la version officielle." © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Revenant, 40 ans après les faits, sur le raid d’Entebbe, le cinéaste brésilien José Padilha signe un film d’action efficace tout en ouvrant diverses pistes de réflexion sur le conflit israélo-palestinien.

Révélé il y a un peu plus de dix ans par Tropa de Elite -l’histoire de bataillons de la police brésilienne luttant contre les trafiquants de drogue dans les favelas-, Ours d’or au festival de Berlin 2008, José Padilha s’est, depuis, multiplié sur les terrains les plus divers. Après une suite au film qui l’avait fait connaître (L’Ennemi intérieur), on le vit ainsi signer le documentaire Secrets of the Tribe, sur les Indiens Yanomami, avant de s’atteler, avec moins de bonheur, à un remake du RoboCop de Paul Verhoeven, ou encore de produire et diriger le pilote de la série Narcos, pour Netflix, plate-forme pour laquelle il a créé récemment O Mecanismo. On ne l’imaginait guère, en dépit de cette polyvalence, s’emparer, quelque 40 ans après les faits, de l’Opération Thunderbolt, du nom du raid que devait mener l’armée israélienne sur l’aéroport d’Entebbe, en Ouganda, en 1976, afin de libérer les otages du vol Air France Tel-Aviv-Paris, détourné par un commando terroriste pro-palestinien. Padilha n’est pas le premier à revenir sur cette « action d’éclat » -Irvin Kershner, notamment, s’y était collé quelques mois après les faits-, mais son 7 Days in Entebbe, s’il a la texture urgente et tape-à-l’oeil de son cinéma, envisage aussi les événements dans une perspective inédite. Explications du cinéaste brésilien.

S’intéresser au conflit israélo-palestinien, de quelque manière que ce soit, c’est aussi s’exposer à la controverse. Cette réflexion vous a-t-elle effleuré en vous attelant à ce film?

Je ne suis pas à l’origine du projet. Tim Bevan (producteur, entre autres, de The Danish Girl, The Theory of Everything ou encore Dead Man Walking , NDLR) m’a envoyé le scénario, c’est lui qui s’est lancé dans cette aventure. Si j’ai accepté, c’est parce que je n’ai pas vraiment d’agenda dans ce conflit. On ne parle guère de la Palestine au Brésil, ce n’est pas vraiment un problème. Je pense d’ailleurs que l’une des raisons pour lesquelles ils ont fait appel à moi, tient au fait que je pouvais adopter un regard non partisan. En lisant le scénario de Gregory Burke, j’ai constaté qu’il avait embrassé une perspective inédite. En général, le point de vue privilégié en Israël célèbre l’héroïsme de Yoni Netanyahu, le frère de l’actuel Premier ministre, qui commandait l’opération pendant laquelle il a été tué. Et il s’agit invariablement de l’histoire d’une intervention incroyable, entretenant la mythologie voulant qu’Israël puisse résoudre ses problèmes par la voie militaire. Le scénario s’emploie lui à montrer les terroristes, les deux Allemands Wilfried Böse et Brigitte Kuhlmann, et Fayez Abdul-Rahim Jaber et Jayel Naji al-Arjam, leurs homologues palestiniens, sous un angle permettant de décrypter leurs actions.

À savoir?

7 Days in Entebbe:
© Getty Images

Les Palestiniens étaient clairement là pour des raisons personnelles: des membres de leur famille avaient été tués, ils avaient perdu leurs terres au profit d’Israéliens, ils agissaient dans le cadre d’un conflit et leur action avait quelque chose de viscéral. Les Allemands, pour leur part, le faisaient au nom de l’idéologie, pour le marxisme dans le contexte de la Guerre froide -quelque chose de totalement différent. Un élément m’a frappé, quand j’ai lu le scénario, mais aussi le livre Operation Thunderbolt, du professeur britannique Saul David, c’est qu’ils rapportaient qu’au dernier moment, lorsque l’armée israélienne est intervenue, Böse avait eu la possibilité de tuer de nombreux otages. Il n’avait qu’à balancer une grenade, mais s’est abstenu, enjoignant au contraire aux prisonniers de se coucher. En admettant cela, on réalise que si cette opération a constitué un succès militaire, c’est aussi parce que les otages avaient réussi à insinuer le doute dans l’esprit des terroristes. Cela rendait les choses intéressantes à mes yeux. J’ai tenu à vérifier ces assertions: je me suis rendu en Israël pour rencontrer des témoins. J’ai parlé à d’anciens otages, au mécanicien de bord Jacques Lemoine, et ils m’ont confirmé cette version des faits. J’ai voulu aborder le film de ce point de vue, pour montrer que la vie est généralement plus complexe que la version officielle.

Quelle licence avez-vous prise avec les faits?

Nous avons pris certaines libertés parce que ce film n’est pas un documentaire, mais j’ai veillé à ne pas altérer les éléments fondamentaux qui ont été reconstitués du mieux que nous pouvions les comprendre, ce qui ne signifie pas qu’ils soient rigoureusement exacts. Si certains faits sont avérés, un doute subsiste pour d’autres: tous les otages s’accordent par exemple pour dire que Böse ne supportait pas qu’on le traite de nazi, c’était un gauchiste aux idéaux opposés, et qu’il voulait discuter de l’idéologie avec eux pour les convaincre du bien-fondé du marxisme. Une attitude un peu dingue dans le chef d’un terroriste, mais soit. Le profil de Brigitte était différent: pour 60 à 70% des otages, elle se comportait comme une nazie, mais pour 30% d’entre eux, cette attitude était liée au fait qu’elle perdait manifestement pied. Tandis que Böse essayait de discuter avec eux, elle s’en abstenait, et je n’avais donc que peu d’éléments à son propos. C’est pourquoi Gregory Burke a imaginé cette scène où elle part téléphoner, qui est purement fictive mais qui permet d’exprimer qu’elle est devenue folle, ne pouvant plus supporter les événements. D’autres éléments fictionnels ont été ajoutés, comme le dialogue entre Böse et Jaber, dont on ne peut être certain, mais qui permet d’expliquer les divergences dans les positions des preneurs d’otages allemands et palestiniens -il y avait beaucoup plus en jeu pour ces derniers.

N’avez-vous pas craint d’humaniser les terroristes à l’excès?

Il s’agit d’êtres humains, aussi horribles soient leurs actes. Cela posé, les attaques terroristes perpétrées dans ce conflit sont non seulement immorales, et devraient à ce titre être rejetées, parce qu’on y exerce la violence à l’égard d’innocents, mais elles sont aussi stupides. Quand on mène une attaque terroriste contre Israël, on ne fait que renforcer l’aile droite israélienne et éloigner la perspective de négociations, la situation ne faisant donc qu’empirer. C’est juste stupide. Mais les terroristes sont des individus suivant leur propre logique et si on ne prend pas la peine de l’étudier, on ne saura jamais comment l’aborder. Je collabore sur un projet avec un des agents de la CIA ayant contribué à la capture du leader d’Al-Qaïda en Irak, Al-Zarqaoui. Il a interrogé des Irakiens qui lui ont indiqué où il se cachait et il a été tué. Cet homme travaille dans ces agences fédérales depuis de nombreuses années et il m’a dit qu’on ne gagnerait jamais la guerre contre la terreur si on ne comprenait pas la manière de penser des terroristes. En premier lieu, il faut empêcher les terroristes de le devenir, et je pense que la façon dont nous les avons dépeints dans ce film peut y contribuer, parce qu’à la fin, on voit qu’ils se disent: « Fuck, qu’est-ce que j’ai fait? »

Outre les interactions entre les ravisseurs et les otages à l’intérieur du terminal, le film s’attache à la dimension politique de l’affaire en s’attardant sur les discussions au sein du cabinet israélien…

Deux logiques s’y affrontent: Shimon Peres n’accepte pas les négociations par définition, tandis que Yitzhak Rabin entretient la possibilité de négociations parce qu’il n’entrevoit pas de solution militaire dénuée de risques, ou ayant suffisamment de chances de réussir. En voyant cela, on réalise combien il est difficile pour un politicien israélien de négocier, parce que le coût politique est immense. Les Israéliens et les Palestiniens sont en conflit depuis de longues années, et d’un côté comme de l’autre, il y aura toujours des politiciens pour émerger, et proclamer: « je serai celui qui vous sauvera de l’ennemi ». C’est la position classique de l’aile droite. Et cela vaut en Israël comme en Palestine. Quand Rabin a voulu négocier les accords d’Oslo, la droite a créé un environnement tellement hostile à son égard qu’il a fini par être assassiné parce qu’il essayait d’obtenir la paix. Mais quand, en 2000, Ehud Barak, lors du sommet de Camp David, a fait une proposition dont le monde entier estimait que les Palestiniens devraient l’accepter, Yasser Arafat n’a, d’après Bill Clinton, pas voulu la prendre en considération. S’il l’avait fait, sa position en Palestine aurait été menacée. Un cycle ayant à voir avec la politique mais aussi avec la peur rend ces négociations impossibles.

Pourquoi avoir introduit dans le film Echad mi Yodea, une chorégraphie d’Ohad Naharin exécutée par la Batsheva Dance Company?

J’apprécie la danse, et je connaissais le travail de cette compagnie. La chorégraphie montre des danseurs monter sur scène dans des tenues orthodoxes. Ils répètent des gestes suggérant une douleur qu’ils s’infligent, avant de se dévêtir de ces habits, à l’exception de l’une d’entre eux, qui n’arrête pas de tomber encore et encore de sa chaise, comme si on lui tirait dessus, et qu’elle mourait à nouveau. J’y ai vu une incroyable métaphore pour exprimer visuellement le fait que la seule façon d’arriver à une solution pacifique était que les deux parties abandonnent cette position orthodoxe se trouvant être celle de l’aile droite…

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