Expo: Music Palace à la villa Empain, indicible musique

Ephemera, 2009, édition de 28 folios en 90 ex., 40 x 60 cm chaque. © Christian Marclay. Courtesy MFC-Michèle Didier, Paris.
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Avec Music Palace, la Fondation Boghossian programme une exposition de premier ordre. Réflexions vibrantes autour d’une onde de choc.

« (…)La musique, à l’inverse, est trop en deçà du monde et du désignable pour figurer autre chose que des épures de l’Être, son flux et son reflux, sa croissance, ses éclatements, ses tourbillons.« (1) La phrase est de Maurice Merleau-Ponty. S’il en a eu connaissance préalablement, elle hante le visiteur qui risque le pied au coeur de la nouvelle exposition de la Fondation Boghossian. Dans ce véritable palais Art Déco, l’impressionnante matière première artistique compilée, à mi-chemin entre l’Occident et l’Orient, s’épuise à répondre à une question: « Qu’est-ce que la musique? » Une interrogation qui en engendre d’autres, telles que « quels sont les effets de la musique sur les corps? » ou encore « quels rapports la musique entretient-elle avec le pouvoir? ». De réponses définitives, on comprend qu’il n’y en aura jamais vraiment, il faut se contenter d’ébauches car, comme le soulignait le philosophe français évoqué au début, on est ici « en-deçà du désignable« . A cet endroit précis où les mots ne peuvent pas grand-chose. Ce profond décalage entre le thème abordé et l’incapacité d’en circonscrire l’étendue constitue toute la richesse de Music Palace. A ce titre, le sous-sol du lieu où se produit l’évènement fournit une série d’oeuvres particulièrement emblématiques: Trou Noir, signé par Arnaud Maguet, artiste omniprésent tout au long de la scénographie de Diana Wiegersma. Réalisés à partir d’éclaboussures d’aspirine en train de se dissoudre dans l’eau, ces dessins suggèrent combien l’être de la musique est inatteignable, un puits sans fond. De l’impossible communion que l’on a rêvé d’effleurer ne reste au final que… la gueule de bois de la veille. Une perspective aussi mélancolique qu’abyssale.

Lancinante vibration

Ce qui frappe lorsque l’on parcourt les trois niveaux de l’exposition, c’est une lancinante vibration qui sourd d’on ne sait où. Il faut un peu de temps pour localiser ce bruit de fond comminatoire. Il s’agit de The Musical Cabinet, une oeuvre puissante du Gantois Joris van de Moortel. Cette installation en forme d’imposant cylindre résonne de tout son volume. A l’intérieur, des instruments de musique et des néons, disposés à côté d’une platine patinant sur un disque endommagé, composent d’étranges entrailles sonores. L’oreille perçoit également des accords répétitifs émanant d’un piano Bösendorfer, transformé en totem à peluches par le plasticien Charlemagne Palestine. L’entêtante mélodie mène doucement à la transe, façon de faire ressentir par le corps l’essence même de la musique. Arnaud Maguet, encore lui, propose une autre oeuvre qui s’écoute. Les Amants Stéréo fait place à deux enceintes vintage diffusant les voix déformées, comme d’outre-tombe, de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, qui viennent hanter les rares silences d’une époque grignotée par le bruit. Mais Music Palace ne se donne pas qu’à écouter, nombreuses sont les tentatives de faire voir la musique. Depuis Robert Longo et ses Men in the Cities, qui matérialisent les secousses générées par la musique, jusqu’à Dan Graham et Rock My Religion, expliquant comment la musique s’est opposée au puritanisme américain. Sans jamais l’atteindre, Music Palace esquisse un portrait sublime du phénomène musical. ˜

(1) L’oeil et l’esprit, Gallimard, 1964, 95 pages.

  • Music Palace, Villa Empain, 67 avenue Roosevelt à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 08/02/15
  • www.villaempain.com

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